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Intervention de Christian Saint-étienne

Réunion du 9 mars 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Christian Saint-étienne :

Avant d'exposer les points de divergence avec mes collègues, je dirai les quelques points de vue sur lesquels je suis en accord avec eux – en premier lieu sur le fait que l'Allemagne n'est pas un exemple en tout. La France a des atouts considérables ; seulement, ces atouts forment un potentiel dont on ne joue pas, si bien que nos performances demeurent calamiteuses. Au passage, la politique de désinflation compétitive de l'Allemagne nous a coûté en dix ans un demi-point de croissance chaque année selon les calculs de l'OFCE ; il s'agit, j'en suis d'accord, d'une politique de désinflation non coopérative.

Mes collègues se sont livrés à un exercice plutôt normatif, leur analyse de la situation conduisant à dénoncer une organisation politique, comme le montre la condamnation par M. Dominique Plihon de l'ordo-libéralisme allemand. Tous les deux ont contesté les bons résultats de l'Allemagne ; il n'empêche que ces résultats existent et qu'il faut mesurer les conséquences de ce succès peut-être mal acquis. Quelles sont-elles ? D'une part, l'Allemagne a pris le leadership absolu de l'Union européenne, se montrant d'une arrogance impitoyable à l'égard des pays de l'Union aux performances économiques défavorables, ce qui a des conséquences politiques majeures ; d'autre part, la réflexion sur la modification des politiques européennes se fait sur la base de l'agenda allemand.

Je le redis, la France a des atouts considérables : une population nombreuse, un taux d'épargne des ménages particulièrement élevé et des professionnels très qualifiés, qui ont pour particularité de mieux réussir ailleurs que chez nous. C'est le signe d'une crise systémique : si l'on réunit un très bon ingénieur français, un très bon financier français et un très bon spécialiste des biotechnologies français, ils produisent ensemble 5 à l'étranger, mais seulement 2 en France. En d'autres termes, nous formons des individus exceptionnels mais notre organisation fait que la somme de leurs talents produit moins que ce que l'on pouvait espérer.

La situation de notre pays n'est pas bonne ; il y a donc urgence à agir. Pourtant, mes collègues parlent de long terme, comme si nous avions le temps, et comme si nous avions une chance de modifier les équilibres européens. Or la donne européenne est d'une extrême dureté, elle ne va pas changer et elle n'est pas favorable aux intérêts français.

La situation de la France se caractérisée par une triple crise. Avec un déficit structurel de 6 % du PIB, la crise de nos finances publiques est d'une ampleur historique – comparable, selon moi, à celle de la fin de l'Ancien Régime –, et rien n'est fait pour amorcer une décrue. Nous allons, dans les dix-huit mois à venir, au devant d'une crise d'une ampleur inédite et nous connaîtrons plus tôt que nous ne le pensons notre « Octobre grec », puisque notre dette publique est financée à 70 % par des investisseurs étrangers, notamment des fonds américains. On notera incidemment que ceux qui critiquent notre endettement s'empressent d'acheter notre dette…

Par ailleurs, dix-huit des vingt-sept pays membres de l'Union européenne ayant choisi pour stratégie de développement la compétition fiscale, nous sommes engagés dans une crise de compétitivité fiscale majeure. Cette évolution de la construction européenne avait été théorisée par la Grande-Bretagne et inscrite dans le traité de Maastricht négocié pour la France par François Mitterrand. En 2007, l'Allemagne a rejoint le camp de la compétition fiscale et nous évoluons désormais dans un univers européen dominé par ce concept qu'appuie la Commission européenne. Il est vrai qu'à long terme une politique coopérative permettrait d'obtenir des résultats très supérieurs à ceux que nous observons aujourd'hui. Mais, étant donné l'état de nos finances publiques, dans un contexte idéologique où la concurrence fiscale est tenue pour une bonne chose, les Allemands nous considèrent désormais avec condescendance. Ils jugent que la France mène ses affaires de manière scandaleuse et pensent que nous sommes devenus un partenaire très fragile ; ils ont perdu confiance, nous le font sentir, et interprètent chaque discours en faveur du modèle coopératif comme un aveu de faiblesse, ce qui les pousse à accentuer la concurrence.

La troisième crise d'ampleur historique que nous connaissons est celle de notre système productif. Je ne peux partager le diagnostic d'ensemble porté par Michel Husson à ce propos, puisque notre part relative des exportations de la zone euro s'est effondrée elle aussi. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), nous avons perdu un tiers de nos parts de marché en dix ans ; c'est, selon moi, l'équivalent, sur le plan économique, de la défaite militaire de 1940, et c'est ce qui explique les considérables difficultés de la France, ses millions de chômeurs et le déficit de ses comptes.

Pour remédier à cette situation, trois priorités s'imposent. Puisque notre déficit extérieur traduit le fait que, structurellement, notre consommation est supérieure à notre production, nous devons pour commencer rétablir le primat de la production sur la consommation.

Il nous faut aussi réhabiliter la taxation de la consommation, et donc la TVA. Cette réhabilitation est en cours chez nos voisins, en Allemagne comme au Royaume-Uni – où la commission réunie sous la présidence du Prix Nobel d'économie James Mirrlees a publié en novembre 2010 un rapport démontrant le bien-fondé et l'efficacité de cet impôt. Le maintien d'un taux de TVA réduit est une stupidité ; il faudrait au contraire fixer un impôt à la consommation à un taux relativement élevé, à compenser par une allocation directe aux ménages les plus démunis. On éviterait ainsi l'aubaine qui permet aux plus riches de nos concitoyens d'acheter des produits alimentaires en ne payant que 5,5 % de TVA alors qu'ils auraient les moyens de payer une taxe de 19,6 %, voire davantage.

Enfin, nous devons être en mesure de résister à la concurrence fiscale.

Le Conseil d'analyse économique, s'attachant à expliquer les raisons de l'effondrement relatif des exportations françaises, a pointé l'absence, en dépit de tous nos efforts, de ces milliers de grosses PME qui irriguent le tissu industriel allemand. Derrière nos grands groupes industriels – au demeurant de moins en moins français – nous font défaut les quelque 15 000 entreprises de 300 à 400 personnes qui nous donneraient les 3 à 4 millions d'emplois qui nous manquent.

Nous devons mener une indispensable politique de salut public pour faire face à une Union européenne qui, par la somme des initiatives qu'elle prend, tend à déconstruire la République française, ce que nous n'avons pas de raison d'accepter. Nous sommes porteurs d'un message ; nos institutions diffèrent des institutions allemandes mais ne leur sont pas inférieures ; notre taux de natalité et notre taux d'épargne montrent qu'existe en France un dynamisme individuel. Il nous faut donc reconstruire, ensemble, un collectif disparu.

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