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Intervention de Dominique Plihon

Réunion du 9 mars 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Dominique Plihon :

Je traiterai du modèle allemand et du Pacte de compétitivité avant de décrire la vision alternative du fonctionnement de l'Europe qui me paraît devoir être privilégiée.

Lorsqu'il s'agit de concurrence internationale, nous souffrons d'une tendance au mimétisme. Un temps, le modèle danois de flexisécurité fut donné en exemple ; c'est maintenant le modèle allemand de compétitivité qu'il faudrait importer. Cette tentation peut se comprendre puisque l'Allemagne est notre principal concurrent, mais elle est dangereuse. Trois raisons font que transposer en France le modèle allemand ne serait pas une bonne démarche.

En premier lieu, la théorie institutionnaliste nous apprend que les performances d'un pays donné s'expliquent très largement par son histoire et ses institutions, qui forment un ensemble cohérent, non transposable ; prétendre imiter un pays en lui empruntant celles de ses politiques ou formes d'organisation qui fonctionnent le mieux est à la fois dénué de sens et périlleux.

Ensuite, l'augmentation, réelle, des performances allemandes depuis dix ans résulte d'une vigoureuse politique de l'offre fondée sur un ensemble de facteurs – flexibilité accrue du marché du travail, réduction du coût social du travail par l'instauration d'une TVA sociale, délocalisations… – qui se sont traduits par une précarisation accrue. Or les politiques de l'offre, puisqu'elles supposent de prendre des parts de marché aux pays concurrents, sont par nature des politiques non coopératives : elles n'ont pas un effet « gagnant-gagnant » mais, comme le montre la montée des déséquilibres entre pays membres de l'Union européenne et de la zone euro, un effet « gagnant-perdant ». La politique de l'offre serait-elle généralisée qu'elle tirerait la croissance et l'emploi au sein de l'Union européenne vers le bas, une situation « perdant-perdant ».

Enfin, le modèle allemand est, à bien des égards, peu enviable. Avec un taux de croissance moyen de 1,4 % de 1996 à 2008 contre 2,2 % en France, l'Allemagne a été, dans l'Europe des Quinze, le pays dont la croissance a été la plus faible et celui qui a créé le moins d'emplois depuis vingt ans. Celui, aussi, où la hausse des inégalités de revenus a été la plus élevée d'Europe, Bulgarie et Roumanie exceptées. Celui, encore, où le salaire moyen hors inflation a stagné, où la part des salaires dans la valeur ajoutée a baissé, où le pourcentage de chômeurs indemnisés a fortement chuté – il est passé de 80 % à 35 % –, tout comme la part des investissements dans le produit intérieur brut (PIB). En bref, tous les clignotants ne sont pas au vert en Allemagne.

Certes, le taux de chômage a baissé dans ce pays de 10 % en 2005 à 7,3 % en 2008, mais ce succès politique doit être nuancé : il a été obtenu par l'augmentation du travail à temps partiel, souvent contraint, pour une grande partie des travailleurs – le volume d'heures travaillé a baissé malgré l'amélioration du taux de chômage – et par l'effet d'une décroissance démographique inquiétante pour l'avenir de l'Allemagne. La France est, à cet égard, dans une situation un peu plus favorable.

J'en viens au Pacte de compétitivité proposé par Mme Angela Merkel le 4 février dernier et approuvé par M. Sarkozy, pacte qui a précisément pour objectif de généraliser les préceptes allemands aux autres pays européens en les amenant à conduire une politique salariale et budgétaire restrictive. Il contient deux mesures phares : l'abolition de l'indexation des salaires sur les prix – ce qui, dans une période comme celle que nous connaissons, avec l'augmentation du prix des matières premières importées, conduirait à une perte de pouvoir d'achat – et l'obligation d'inscrire dans la Constitution la limitation de la dette publique.

Dans la droite ligne de la logique ordo-libérale allemande, il s'agit de créer des règles contraignantes pour discipliner les pays membres de l'Union européenne. Ces règles concernent non seulement les politiques publiques mais aussi l'endettement des ménages et des entreprises, que l'on entend contrôler.

Ce document appelle des objections de deux ordres. D'abord, l'application de ces principes aurait des effets pervers pour la zone euro – ce pourquoi le Pacte de compétitivité a été très fraîchement accueilli par un grand nombre de pays membres. Si la politique économique restrictive menée par l'Allemagne depuis dix ans pour améliorer sa compétitivité n'a pas eu de conséquences dramatiques sur la zone euro, c'est parce que dans le même temps l'Espagne, la Grèce, l'Irlande et l'Italie ont connu une croissance forte tirée par leur consommation intérieure. Si, à l'avenir, tous les pays européens devaient adopter la politique restrictive recommandée par le Pacte de compétitivité, certains pays verraient sans doute leurs exportations progresser mais l'anémie européenne serait certaine dans les autres pays de la zone euro, auxquels interdiction serait néanmoins faite de s'endetter pour se procurer des ressources pourtant indispensables.

Ensuite, ce pacte est fondé sur la poursuite de la politique menée jusqu'à présent, celle de l'intégration européenne par les règles voulue par l'ordo-libéralisme allemand. Mais cette approche conduit à une impasse. Brider les politiques économiques nationales, c'est empêcher les États membres de l'union monétaire de mener des politiques contra-cycliques quand elles sont nécessaires et de jouer un rôle d'ajustement et de stabilisation. Les règles communes ne doivent pas être trop restrictives ; il faut laisser aux États des marges de manoeuvre.

Un autre mode de fonctionnement de l'Union européenne doit prévaloir, tel que les États membres retrouvent une capacité d'initiative beaucoup plus forte. Cela n'irait pas à l'encontre d'une plus grande efficacité économique, bien au contraire. Or, rien dans ce plan ne permettrait d'instaurer l'indispensable gouvernement politique européen, alors que la sortie de crise et même la survie de l'Union européenne passent par d'autres formes d'organisation. La coordination des politiques économiques fondée sur le principe de la solidarité des pays membres doit l'emporter sur la « méthode ouverte de coordination », autrement dit la concurrence entre les États. La conception néolibérale de la gouvernance européenne qui a prévalu jusqu'à ce jour doit être abandonnée. Il faut créer les mécanismes, les instances politiques et les instruments européens qui permettront de lancer les grands programmes communautaires nécessaires à l'indispensable relance européenne.

Outre que rien ne figure à ce sujet dans le Pacte de compétitivité, les politiques qu'il décrit sacrifient très largement les objectifs sociaux. Or l'Europe ne peut poursuivre son intégration, ni donc se développer, sans approfondir son modèle social, qui ne peut reposer sur la seule logique du marché. Si l'on veut que l'Union européenne survive et prospère, la concurrence sociale et fiscale à tout prix n'est pas une solution ; or le Pacte de compétitivité, en généralisant la politique de l'offre, la renforcerait.

Il faut donc agir sans ce pacte qui aggraverait des politiques dont on a vu qu'elles mènent à une impasse. Alors que, les populations se sentant maltraitées et laissées pour compte, on assiste à la montée menaçante du nationalisme et du populisme, l'adhésion des peuples à la poursuite du projet européen implique une autre vision.

Des mesures – symboliques dans un premier temps – permettraient de créer ce sursaut à court terme : la création d'un salaire minimum européen modulé selon le niveau de PIB par habitant de chaque pays, mais aussi l'instauration de la taxe européenne sur les transactions financières votée hier par le Parlement européen. Si elle était appliquée, cette disposition permettrait d'augmenter, comme il se devrait, le budget européen, et ainsi de financer des politiques coordonnées ambitieuses. De telles mesures sont indispensables pour permettre à l'Union européenne d'affronter les défis auxquels elle se trouve confrontée : définir une politique commune d'éducation et de recherche bien plus vigoureuse qu'elle ne l'est actuellement et financer la transition écologique. Faute de quoi, l'Union européenne doit s'attendre à de graves problèmes. Le Pacte de compétitivité n'est pas à la hauteur des enjeux.

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