Je vous remercie pour cette invitation, que j'interprète comme une reconnaissance de l'intérêt des travaux de l'Institut de recherches économiques et sociales.
Selon certains, si la France perd des parts de marché, c'est que sa compétitivité est en baisse, et il faut la rétablir en réduisant le coût du travail. C'est remettre implicitement en cause un modèle social jugé trop coûteux au regard des exigences de la compétitivité.
Or les indicateurs traditionnels que sont, d'une part, les prix relatifs des productions françaises et, d'autre part, l'évolution de la demande mondiale adressée à l'économie française ne peuvent expliquer le recul des parts de marché de la France à partir du milieu des années 2000. C'est une énigme, mais le fait est que l'équation économétrique classique ne fonctionne plus. Comme le montre l'étude par la Commission européenne des performances comparées des économies des pays membres, la France n'est pas la seule concernée : les cas atypiques abondent. Ainsi, en dépit d'une baisse de compétitivité, les Pays-Bas gagnent en part de marché ; l'Espagne perd en compétitivité mais maintient la sienne ; la dévaluation de la livre est sans effet sur la part de marché du Royaume-Uni, qui continue de baisser. Seule l'évolution de l'Allemagne et de l'Italie est conforme au modèle traditionnel : la première augmente sa compétitivité-prix et gagne des parts de marché, la seconde perd sur les deux tableaux.
D'autres facteurs structurels doivent donc être pris en compte. Au nombre de ces éléments, il y a le taux de change de l'euro. On constate en effet une forte corrélation entre la perte de compétitivité de la France et celle du taux de change entre l'euro et le dollar ; la dévaluation relative du dollar entre 2000 et 2005 a conduit à une perte de compétitivité de l'économie française qui n'a pas été rattrapée depuis lors.
Autre facteur d'importance : l'accélération de la mondialisation. Depuis le début des années 2000, les pays émergents gagnent des parts de marché ; cela signifie qu'en corollaire, d'autres pays en perdent, dont la France – un peu plus que les autres, soit, mais sans que cette évolution la touche spécifiquement. C'est l'Allemagne qui, en maintenant ses parts de marché dans ce contexte, fait figure d'exception.
La structure de la demande constitue un troisième et fort élément d'explication. En Allemagne, la consommation des ménages est pratiquement étale depuis l'an 2000 ; au cours de la même période, elle a augmenté d'environ 20 % en France, où elle est le moteur de l'économie. Que la consommation intérieure soit gelée en Allemagne permet de consacrer les capacités productives du pays aux exportations. Les modèles économiques des deux pays sont donc très différents.
Quatrième élément : les dépenses de recherche et développement (R&D), autre variable à prendre en considération. Dans ce domaine, la France, où elles représentent 2,1 % du PIB, est en retard sur l'Allemagne, où elles s'élèvent à quelque 2,7 % du PIB. De plus, la répartition de cette dépense diffère, la part assumée par le secteur privé étant beaucoup plus faible en France qu'en Allemagne. Un des arguments du rapport de Rexecode sur la compétitivité comparée de la France et de l'Allemagne récemment remis au ministre de l'industrie est que la baisse du taux de marge de l'industrie française au cours de la dernière décennie l'a contrainte à réduire son effort de R&D. C'est omettre l'ampleur prise pendant la même période par un phénomène qui n'est pas propre à la France : la préférence donnée à la finance, qui s'est traduite par l'augmentation considérable de la distribution nette de dividendes. À ce jour, les dépenses de recherche et développement ne représentent plus qu'un quart des dividendes nets versés, contre un tiers en l'an 2000. Autrement dit, les dépenses de R&D ont été plafonnées et les dividendes nets versés augmentés.
Selon Rexecode, il faudrait, pour que la France récupère sa perte de compétitivité face à l'Allemagne, « faire baisser de 5 à 10 % les coûts de production pour l'industrie sur notre territoire par une mesure de réduction des charges pesant sur le travail, financièrement compensée autant que possible par une réduction significative des dépenses publiques. » Cette proposition emblématique, fort peu détaillée, découle d'une analyse incomplète et donc d'un mauvais diagnostic, puisque la compétitivité-prix française n'est pas en cause.
Outre cela, absolument rien ne garantit que des allègements de cotisations supplémentaires seraient consacrés à l'augmentation de la compétitivité mesurée par les prix, car ce type d'incitation est aveugle. Il n'existe aucune manière de cibler ces allégements sur les secteurs industriels exposés à la compétition mondiale, comme le soulignait, en 2006 déjà, un rapport non publié de la Cour des comptes indiquant que tous les allégements bénéficient prioritairement à des activités non directement soumises à la concurrence internationale. Aucun moyen ne permet de maîtriser les effets réels d'une telle mesure.
Par ailleurs, la période actuelle, caractérisée par une très grande difficulté à rééquilibrer le budget, est-elle la mieux choisie pour procéder à des allégements supplémentaires des cotisations sociales des entreprises, que les finances publiques seraient appelées à compenser ?
Une telle mesure présenterait de grands risques. Le premier, alors que notre modèle social a déjà été passablement écorné et que la perspective de créations d'emplois à court et moyen termes ne se dessine pas, est celui de l'aggravation de la régression sociale. Le deuxième risque est celui de la régression économique – quelles seraient les répercussions sur la consommation de l'instauration d'une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sociale ? Le troisième risque, c'est l'entrée dans une spirale non-coopérative européenne, alors que c'est de la démarche inverse dont l'Union européenne a le plus grand besoin.