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Intervention de Pierre Gattaz

Réunion du 8 juin 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Pierre Gattaz, président du directoire de Radiall, président du Groupe des fédérations industrielles, GFI, président de la Fédération des industries électroniques, électriques et de communication, FIEEC :

Je suis en effet le patron de Radiall, société familiale spécialisée dans la connectique. Sur notre site de Château-Renault, trois cent cinquante personnes fabriquent des connecteurs. Nous sommes leaders mondiaux pour approvisionner Boeing et Airbus. Si nous avons pu conquérir le marché de Boeing depuis dix ans, c'est parce qu'en France, l'écosystème Airbus-Safran-Thales nous avait permis de créer de nouvelles technologies et de nous développer. D'où ma première observation : pour se développer à l'exportation, il est fondamental qu'existe une base d'écosystème et de marché en France et en Europe ; quand elle disparaît, il très difficile pour les petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire de survivre. À l'inverse, la crise de la filière des télécommunications en 2001 nous a fait beaucoup souffrir ; nous avons perdu une cinquantaine de clients en France – que nous avons essayé de suivre en Chine. Nous avons fait en sorte de compenser la baisse du chiffre d'affaires dans ce secteur par d'autres marchés – militaire, spatial, aéronautique –, mais d'autres n'y sont pas parvenus : sur les trente connecticiens français qui existaient il y a vingt ans en France, il en reste quatre – Radiall, entreprise familiale, et trois autres qui appartiennent à des groupes financiers. En Allemagne au contraire, il y avait cinquante entreprises familiales de connectique il y a vingt ans, et il y en a toujours autant. Pourquoi cette différence ? Telle est la question à laquelle j'ai voulu réfléchir.

Bien sûr, il y a les problèmes de charges et de compétitivité. Mais avant toute chose, il faut des commandes. À la Fédération des industries électroniques, électriques et de communication, nous avons donc beaucoup travaillé sur les filières d'excellence du futur : il faut une ambition industrielle pour la France. Je mène ce même combat dans le cadre du Groupe des fédérations industrielles depuis un an. Dans notre pays, il ne s'agit plus de produire des vélos et des cafetières mais d'explorer les besoins sociétaux de base. Nos concitoyens, qui vont vivre de plus en plus vieux, ont des besoins de santé, d'accompagnement, de sécurité – aussi bien dans les transactions financières que sur la route ; ils ont besoin aussi, pour vivre mieux, que l'on améliore l'efficacité énergétique. À ces besoins correspondent des opportunités industrielles fantastiques : les réseaux électriques du futur, la route intelligente – qui tuerait moins et provoquerait moins d'accidents –, la santé – avec la « e-santé », la télémédecine, l'imagerie et toutes les solutions imaginables pour améliorer les soins tout en réduisant la facture – ou la rationalisation de l'éclairage urbain. Nous avons tout ce qu'il faut en France – technologies, ingénierie – pour développer ces secteurs, qui comptent déjà des champions capables de jouer le rôle de locomotives, ainsi que des entreprises de taille intermédiaire et des petites et moyennes entreprises prêtes à accompagner le mouvement. Il y a cinq ans, ce discours était inaudible : on ne va pas revenir à l'époque des plans, me disait-on. Mais il ne s'agit pas du tout de cela : nous ne voulons pas, bien entendu, nous voir imposer par quelques hauts fonctionnaires un choix industriel, comme à l'époque du plan machine-outil ou du plan Calcul ; nous souhaitons que, tel le MITI japonais (Ministry of International Trade and Industry), l'État favorise ces réflexions et que les acteurs que nous sommes se mettent d'accord avec les chercheurs et avec l'Éducation nationale pour développer quelques filières. La Conférence nationale pour l'industrie, où je suis l'adjoint de M. Jean-François Dehecq, essaie de mettre en place ces filières stratégiques. Rappelons une fois encore l'importance de l'industrie : elle représente 85 % de l'innovation, 80 % du commerce extérieur ; un emploi industriel crée deux emplois de service, l'industrie représente 15 % du produit intérieur brut (PIB) mais en ajoutant les services associés ou induits, on atteint 30 % à 35 % du PIB. Si l'industrie va mal, toutes les activités qui lui sont liées iront mal aussi.

La crise aura eu le mérite de nous ouvrir les yeux. À côté de nous, le modèle allemand fonctionne merveilleusement bien : les industriels allemands innovent, exportent, créent des emplois. En France, l'industrie a connu dix années calamiteuses. En tant que dirigeant d'entreprise, j'ai vécu le départ des clients hors de France, j'ai connu le discours, y compris dans les cercles patronaux, selon lequel l'avenir n'était pas dans l'industrie, mais dans les services et « l'économie de l'intelligence ». Or ces services ne peuvent fonctionner qu'avec des infrastructures efficaces – réseaux électriques intelligents, réseaux haut débit…

Notre combat est celui de l'emploi : l'économie française dans son ensemble ne peut bien fonctionner que si le socle industriel ne disparaît pas ; quant à l'emploi industriel lui-même, nous sommes persuadés qu'il est possible de le conserver et même de le développer. L'exemple de Radiall en témoigne : pour pénétrer le marché américain de l'aéronautique, j'ai créé au Mexique une usine de trois cents personnes ; et je me suis aperçu qu'entre deux crises, je créais aussi trente emplois à Château-Renault. Une spirale vertueuse est possible : lorsqu'un marché existe en France ou en Europe, on va conquérir la Chine ou l'Inde ; et grâce à ces parts de marché nouvelles, la rentabilité augmente et permet d'innover. Or l'innovation, qu'il s'agisse de Recherche & Développement ou de process de fabrication, peut se faire en France.

Les propositions du groupe des fédérations industrielles pour redresser l'industrie française s'organisent autour de trois axes.

Tout d'abord, il faut définir une nouvelle ambition pour l'industrie, via la Conférence nationale de l'industrie ; malheureusement, celle-ci ne dispose pas de moyens suffisants. Le lancement de onze filières stratégiques – auxquelles vont sans doute s'en ajouter deux ou trois autres – représente du travail. On ne peut pas faire un MITI avec des bouts de chandelle… Il reste que la conférence, cadre de discussions fructueuses entre le patronat, les syndicats et l'État, est le bon instrument pour définir un cap.

Ensuite, pour concrétiser l'ambition et libérer la croissance, il est indispensable de pérenniser le crédit impôt recherche, de faire en sorte que les entreprises de taille intermédiaire aient accès aux facilités de trésorerie accordées aux petites et moyennes entreprises. Le dispositif, ne l'oublions pas, a permis de garder en France des sociétés telles que Microsoft ou Google. C'est un outil formidable – qu'il faudrait peut-être élargir à l'innovation : sans doute sommes-nous plus créatifs que les Allemands, mais nous sommes défaillants pour le passage de l'idée à la réalisation.

Il faut aussi, pour libérer la croissance, agir sur le coût du travail. En la matière, notre industrie avait il y a dix ans un avantage sur l'Allemagne de 12 % à 15 % ; aujourd'hui, nous sommes tombés à zéro. Si rien n'est fait, il y a fort à craindre que dans cinq ou dix ans, le coût du travail soit bien plus élevé en France qu'en Allemagne, ce qui serait dramatique. Pour réduire le coût du travail, nous ne prônons pas du tout une baisse des salaires nets ; en revanche, nous demandons d'agir sur les charges : s'il y avait une seule mesure à prendre, ce serait de transformer les 33 milliards d'euros de charges qui sont liés à la politique familiale en points de taxe sur la valeur ajoutée – quitte à exempter certains produits de première nécessité – ou de contribution sociale généralisée. Si nous voulons des entreprises dynamiques, qui créent de la richesse et de l'emploi en France, capables d'affronter un environnement mondial très dur, nous devons savoir prendre une décision courageuse comme celle-ci – faute de quoi ce sont les entrepreneurs qui vont se décourager, abandonner et partir à l'étranger. Une telle mesure aurait pour effet de renchérir les importations de Chine ou d'Inde, qui rencontrent fort peu de barrières en Europe – alors qu'à l'inverse, pour exporter dans ces pays, nous sommes confrontés à de multiples contraintes : c'est tout le problème de la réciprocité dans les échanges, qu'il conviendrait également de régler.

Notre objectif est de faire repartir l'emploi industriel en France, grâce à l'innovation. Il faut aussi savoir gérer les effectifs, en pratiquant la flexisécurité : nous ne sommes plus dans le monde des Trente glorieuses, nous allons de crise en crise ; mais le licenciement à l'anglo-saxonne n'est pas notre modèle, il faut plutôt suivre le modèle allemand, négocier avec les partenaires sociaux un chômage partiel, en profiter pour dispenser des formations. En France, les chefs d'entreprise ont encore trop peur d'embaucher, par crainte de ce qu'ils feront de leurs salariés à la prochaine crise. Bien entendu, il est également indispensable de promouvoir l'apprentissage et l'alternance.

Enfin, il me paraît impératif de simplifier et stabiliser la réglementation française – fiscale, sociale et environnementale. Un enfant de cinq ans est capable de se servir d'un iPhone, les ingénieurs d'Apple ayant désormais compris la nécessité d'exempter l'utilisateur des éléments de complexité, en les intégrant dans l'appareil lui-même ou en les laissant dans les réseaux extérieurs. Pourquoi ceux qui établissent les réglementations ne pourraient-ils pas faire de même ? Il y a trois ans, au sujet des heures supplémentaires, il nous a fallu lire et comprendre une note de Bercy de 80 pages… Les chefs d'entreprise ont besoin d'un environnement stable – il ne faut pas changer la loi sans cesse – et simplifié : cela me paraît un bon programme pour les décennies qui viennent.

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