Au problème de compétitivité que rencontre la France, assez bien identifié, s'ajoute celui de la compétitivité de l'Europe, moins souvent évoqué. J'aborderai donc la problématique française à travers une approche européenne.
La vie de notre industrie dépend très largement de domaines relevant d'une responsabilité européenne exclusive ou partagée. Il en va ainsi de la politique de la concurrence et du marché unique, partagée mais largement décidée à Bruxelles ; de la politique des normes, notamment environnementales ou sanitaires, également partagée mais dans laquelle l'Union européenne a un poids très important ; enfin, de la politique du commerce et des échanges internationaux de marchandises, pour laquelle l'Union européenne a une compétence exclusive, gérant toutes les négociations internationales pour le compte des États membres. Depuis une trentaine d'années, ces politiques ont été essentiellement tournées vers l'intérêt du consommateur et ont largement oublié l'acte de production et le producteur. C'est ce qui explique sans doute en partie la position de l'Union européenne dans les négociations de l'Organisation mondiale du commerce. Je pense notamment à celles qui, voilà un peu plus d'une dizaine d'années, ont débouché sur l'entrée dans l'organisation de pays occupant aujourd'hui une place majeure mais qui étaient alors considérés comme émergents, et sur un phénomène de mondialisation asymétrique : lors de ces négociations, nous avons fait énormément de concessions, en abaissant la quasi-totalité de nos barrières tarifaires, dans l'espoir, en contrepartie, d'entrer sur ces marchés nouveaux, mais nous avons été quelque peu déçus.
C'est le premier choc que l'industrie française et européenne a eu à subir à la fin des années 1990 et au début des années 2000. La Chine, entrée dans l'Organisation mondiale du commerce en 2001, connaît depuis dix ans un taux de croissance du commerce extérieur de 15 % à 25 % par an – soit de 20 % en moyenne. La part de ce pays dans les échanges mondiaux est passée en moins de dix ans de 7 % à 14 % et devrait atteindre 25 % dans la décennie à venir – évolution cohérente avec l'importance de ce pays, mais d'une grande brutalité pour les autres partenaires mondiaux. L'irruption de la Chine dans le commerce international a en outre créé un fantastique déficit des balances commerciales en Europe. Le déficit cumulé européen s'élève à 1 100 milliards d'euros et pourrait atteindre dans cinq ans 1 800 milliard ou 2 000 milliards d'euros si le rythme actuel se poursuit. À cela s'ajoutent les problèmes que posent le taux de change de la monnaie chinoise et des pratiques commerciales parfois éloignées de nos usages.
Le deuxième choc, à peu près simultané, est l'élargissement de l'Europe, dont nous n'avons pas entièrement mesuré les conséquences : différentiels sociaux très importants avec les anciens pays membres ; divergences d'intérêts en matière industrielle, certains pays assez peu industrialisés voyant bien l'avantage pour eux de profiter d'une production mondiale à bas coût ; extrême complexité de la prise de décision à l'échelle des 27 pays de l'Union européenne ; surveillance du marché intérieur rendue encore plus difficile.
Pour la France, ces deux chocs ont entraîné des délocalisations, en particulier pour les approvisionnements, des pertes d'emplois, une baisse de la rentabilité qui a entraîné une diminution des ressources utilisables pour l'investissement, ainsi que des transferts ou des disparitions de savoir-faire.
L'Europe n'a pas eu de véritable réaction politique face aux effets de ces deux chocs. Malgré les rapports assez nombreux produits par la Commission, le Conseil des ministres n'a pas traité les problèmes. La situation est d'autant plus difficile à régler qu'il faut trouver un consensus à 27. Nous Français, devons nous employer à développer une force de proposition et de conviction ; Gouvernement, parlementaires et industriels doivent fixer des objectifs clairs pour notre industrie, dans une vision de long terme. Tous les acteurs doivent être rassemblés autour d'une stratégie cohérente – la Conférence nationale de l'industrie est là pour cela.
Enfin, au niveau international, nous avons besoin d'une régulation de la concurrence, aujourd'hui inexistante. Il est certes important de réguler l'économie financière, mais il faut aussi réguler l'économie réelle.