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Intervention de Jean-François Dehecq

Réunion du 8 juin 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Jean-François Dehecq, vice-président de la Conférence nationale de l'industrie :

Les États généraux de l'industrie procédaient d'une volonté conjointe des pouvoirs publics et des partenaires sociaux, ce qui a été déterminant pour la manière dont ils se sont déroulés et dont fonctionne la Conférence nationale de l'industrie (CNI). Celle-ci rendra au début de 2012 son premier rapport, conformément au décret du Premier ministre cosigné par neuf ministres – nombre de signatures qui montre que ce qui touche à l'industrie n'est pas toujours simple.

La conférence met à parité de droit de dialogue les pouvoirs publics – avec neuf ministres représentés en séance plénière –, les salariés – avec un collège composé de dix syndicalistes représentant les cinq syndicats représentatifs – et les employeurs – avec un collège réunissant quinze dirigeants, représentant les syndicats professionnels de différents secteurs d'activité, auxquels s'ajoutent cinq ou six personnalités qualifiées, ainsi qu'un député, un sénateur et un membre du Parlement européen. Cette enceinte permet aux participants, issus de différents horizons, de se rencontrer et d'échanger dans un cadre qui n'est pas celui d'un face-à-face conflictuel. Comme les États généraux, en effet, la conférence est destinée à formuler des propositions et en aucun cas à mener des négociations – ce que les partenaires sociaux n'auraient jamais accepté.

Les États généraux, qui ont mobilisé cinq mille personnes à travers la France, ont été un grand succès. Ils ont commencé avec des groupes de travail de trente à quarante personnes examinant à Paris une dizaine de sujets. Très vite la démarche s'est étendue aux régions, d'abord avec l'idée de conférences régionales organisées sous l'égide des préfets ; et finalement toutes les régions se sont autosaisies de la question et 183 groupes de travail se sont constitués, produisant en trois mois 7 000 pages de recommandations, lesquelles ont été synthétisées en un document d'une cinquantaine de pages, puis en un résumé de sept pages.

Je ne m'attarderai pas sur les grandes constatations. Le recul de l'emploi industriel et celui de la position de l'industrie française sont des évidences. Nous devons cependant éviter de nous comparer sans cesse aux Allemands, dont la progression a été liée à des raisons très particulières. Il est au moins aussi important de constater que l'emploi industriel et la position de l'industrie ont décru deux fois moins vite en Italie qu'en France, ainsi quand notre pays perdait 10 points, l'Italie n'en perdait que 4 ou 5.

Autre constat : la faiblesse de la dynamique d'investissement. L'industrie a peu investi au cours des dernières années. Quant à la recherche, elle est concentrée dans quelques secteurs ; beaucoup d'autres n'en font guère, ce qui empêche l'innovation, donc la création de marchés.

Nous avons également souligné la difficulté des petites et moyennes entreprises à devenir des entreprises de taille intermédiaire ; du fait des dispositions législatives applicables aux successions, la situation est bien différente de celle de l'Allemagne.

On note également des éléments favorables, comme le rayonnement mondial des grandes entreprises françaises. Cependant ces entreprises créent de l'emploi à l'étranger, vendent à l'étranger et, au titre du bénéfice mondial consolidé, paient des impôts à l'étranger plutôt qu'en France. L'entreprise que j'ai construite s'est, quant à elle, enorgueillie durant des années d'être le plus gros contribuable français – elle l'est du reste toujours – car, si la France ne représentait que 6 % de son marché, elle abritait 35 % des effectifs et 70 % de la recherche. Les profits étaient en France et largement taxés, ce qui est normal et permet de répondre aux besoins de l'État. Oui, nous avons la chance d'avoir de grandes entreprises à rayonnement mondial, mais encore faut-il qu'elles jouent leur rôle dans notre pays.

Les facteurs pénalisants sont avant tout les prélèvements publics. Pour une même somme versée par l'employeur, le salarié perçoit beaucoup moins en France qu'en Allemagne. Mais il ne sert à rien de déplacer vers la fiscalité une part des charges sociales si l'argent ainsi économisé ne va pas à l'investissement ou à l'innovation, voire au pouvoir d'achat. Les décisions qui seront prises devront servir au développement des entreprises.

Autre point très important, souligné dans tous les rapports : l'inadéquation entre la formation et les besoins des entreprises – de plus en plus criante à mesure que l'on descend vers les petites et moyennes entreprises. Les entreprises auraient besoin de « faiseux », et non pas seulement de « causeux », c'est-à-dire au moins autant de titulaires de brevets industriels ou de certificats d'aptitude professionnelle (CAP) que de diplômés d'écoles d'ingénieurs. Ce défaut de formation professionnelle résulte de ce que l'industrie a perdu son aura, que le secrétariat d'État à l'enseignement technique a été supprimé et que l'instauration du collège unique a fait de l'orientation vers l'enseignement technique une punition pour les moins bons élèves.

Ce constat général étant établi, il faut avancer. À cet égard, la conférence nationale de l'industrie rassemble une équipe dont les membres ont par ailleurs une action fort utile, qu'il s'agisse de M. Jean-Claude Volot, de M. René Ricol ou de M. Yvon Jacob. Il faudra du temps pour remettre l'industrie au coeur d'un grand projet commun. Il faut presque une génération pour faire reprendre sens à l'enseignement technique et aux métiers manuels. Ne doutons pas que les Français aimeraient pouvoir faire réparer sur place et rapidement, par des professionnels compétents installés à proximité, leur machine à laver, leur aspirateur ou leur ordinateur !

Par ailleurs, nous avons besoin d'un pacte européen car nous sommes parfois lourdement freinés par l'absence de politique industrielle européenne.

Pour développer l'emploi et les compétences dans l'industrie, il faut déjà savoir ce que c'est que l'industrie. À l'époque des présidents Charles de Gaulle et Georges Pompidou, on parlait énormément d'industrie. De fait, une nation est fière de ce qu'elle produit – et non de ses banques et autres institutions de service. L'image de la France à l'extérieur est donnée par ce qu'elle fabrique. Rétablir cette image est un travail de longue haleine, qui ne se fera pas en six mois ou en un an. Depuis la période que je viens d'évoquer, le ministère de l'industrie s'est peu à peu étiolé, jusqu'à ce que l'on décide que l'on n'en avait plus besoin. Sans doute M. Jean-Pierre Chevènement a-t-il été un ministre de l'industrie qui souhaitait agir, mais il n'est pas resté longtemps à ce poste. Ses successeurs n'avaient pas sa passion de l'industrie et pensaient que l'on remplacerait les emplois industriels par les emplois de service, alors que les services se délocalisent en quelques jours, bien plus facilement encore que l'industrie. Sans industrie, il n'y a plus besoin de services ni de centres de recherche. Les choses sont donc simples : si on défend l'industrie, il y aura des emplois ; si on ne la défend pas, il n'y en aura pas.

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