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Intervention de Guillaume Pepy

Réunion du 16 mars 2011 à 16h15
Commission d'enquête sur la situation de l'industrie ferroviaire française: production de matériels roulants voyageurs et frets

Guillaume Pepy, président de la SNCF :

D'abord, je crois utile de donner quelques « éléments de paysage » sur cette industrie ferroviaire qui est absolument vitale. On peut la résumer en trois chiffres : 4 milliards d'euros, soixante-dix entreprises et 14 000 emplois. Les deux grands constructeurs implantés sur le territoire national que sont Alstom et Bombardier réalisent 70 % du chiffre d'affaires, les PME-PMI se partageant les 30 % restants.

La SNCF au sens large, dont le chiffre d'affaires s'élève effectivement à 30 milliards d'euros, pèse pour moitié dans le chiffre d'affaires de cette industrie, à hauteur de 2 milliards d'euros. Nous sommes numéro 1 européen pour la grande vitesse, numéro 2 européen pour les transports de proximité (métro, bus, TER) et numéro 4 pour la logistique des marchandises. Nous avons donc une responsabilité particulière vis-à-vis de cette industrie. Nous sommes, du reste, nous-mêmes une entreprise industrielle puisque quelque 23 000 de nos salariés sont employés pour la maintenance du matériel ferroviaire dans nos ateliers pour l'entretien (fonction de « station-service »), la réparation (garage) ou la transformation des trains afin de leur donner une seconde, voire une troisième jeunesse.

Nous sommes le premier client mondial d'Alstom et de Bombardier, ce qui révèle l'importance de l'engagement financier des régions, de la SNCF et de toutes les autorités organisatrices.

Sur ces quelque 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires réalisés avec la SNCF, 1,5 milliard concerne le matériel roulant et les 500 millions restants, les équipements de signalisation, d'infrastructure ou électrique, les achats de pièces et tout ce qui touche à la rénovation.

Il est de notre responsabilité de nous assurer, à chaque moment, que l'industrie ferroviaire française est parmi les tout premiers leaders mondiaux. Il en va de notre intérêt d'avoir un partenariat étroit avec ce secteur, dont nous sommes le premier client. Nous sommes extrêmement attentifs à la solidité du tissu des PME-PMI, car chacun sait que la faiblesse de l'industrie ferroviaire tient au risque qu'un seul composant d'un rapport qualité-prix insuffisant ne pénalise la valeur du train. La valeur de la chaîne industrielle des sous-traitants commande donc directement la performance du train.

En tant qu'entreprise publique, nous avons également une responsabilité en termes d'aménagement du territoire et d'emploi. Nous avons aidé à trouver des solutions à des dossiers comme ceux de Lohr Industrie, Cannes-la-Bocca Industries, Compin. Dès lors que les considérations économiques sont raisonnables, nous exerçons donc notre responsabilité.

Nous sommes également très engagés dans le développement durable et agissons, aux côtés des industriels, pour que le train de l'avenir soit « écodurable », ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui en termes de recyclage ou d'origine des composants.

Le centre de gravité de l'industrie ferroviaire se déplace actuellement vers l'Asie, qui est devenue à la fois le premier client et le premier fournisseur mondial de matériel. Ce déplacement est très brutal, en raison du choix, qui a été fait par la Chine, de privilégier le ferroviaire sur la route et l'air.

Le deuxième constructeur mondial du ferroviaire est chinois : il s'agit de CSR (China South Locomotive and Rolling Stock Corporation Limited), l'une des deux grandes compagnies chinoises de production de trains.

La maturité des marchés est très différente en fonction des types de matériels. Pour le transport des marchandises, la capacité de production française et européenne excède la demande. Chacun s'oriente vers la production à bas coût dans les pays de l'Est voire en Inde. Un des grands acteurs du Nord-Pas-de-Calais, qui produit encore en France, a été racheté par un groupe indien. Le marché des transports de la vie quotidienne dans les villes, les agglomérations et les régions explose. Ce marché d'avenir est également le plus mondialisé et le plus compétitif. Des exemples : Alstom a le Coradia, Bombardier le Spacium, Siemens l'Avanto, Stadler le FLIRT. Ces plateformes de matériel ont une vocation mondiale.

Le TGV est un marché de niches, c'est-à-dire spectaculaire et symbolique qui incarne les qualités les plus achevées mais qui est limité en termes quantitatifs. Il se produit seulement quelque soixante trains à très grande vitesse chaque année en Europe.

L'avenir de l'industrie ferroviaire française dépend assez largement de la demande solvable des autorités organisatrices pour les trains régionaux, du bilan économique de la SNCF et du développement du marché ferroviaire lui-même. Le redressement progressif des fondamentaux économiques de la SNCF, grâce notamment au travail effectué par Pierre Blayau dans le domaine du fret, en vue de respecter notre engagement d'un retour à l'équilibre en 2014, nous encourage évidemment. Les actions structurelles que nous menons doivent permettre à la SNCF d'être « le bon client » d'une industrie ferroviaire française pérenne.

L'inquiétude concerne tout d'abord le TGV : chacun sait ici que j'ai plusieurs fois tiré le signal d'alarme sur l'évolution du modèle économique français. Elle concerne ensuite le coût du matériel ferroviaire sur toute sa durée de vie : ce coût, en France comme en Europe, contrairement à notre attente, est tendanciellement à la hausse. Nous pensions que les matériels neufs, une fois les investissements effectués, coûteraient moins cher que les anciens sur toute leur durée de vie : cet espoir a été trompé. Les matériels modernes contiennent une grande quantité de systèmes informatiques et de techniques sophistiquées qui résistent difficilement au temps. L'entretien des trains coûte malheureusement de plus en plus cher. C'est une mauvaise surprise. Notre obsession, aujourd'hui, est donc celle du coût de possession des matériels sur leur durée de vie. Nos choix se feront dans l'intérêt des autorités organisatrices et de la SNCF.

L'avenir de l'industrie ferroviaire française dépend non seulement de la SNCF, de la RATP, de Veolia ou d'autres acteurs, mais également de la compétitivité de la filière aux plans européen et mondial. Elle repose sur deux facteurs. Le premier est la réputation : nous travaillons main dans la main avec l'industrie ferroviaire française. Pour reprendre votre expression, monsieur le président, nous souhaitons « chasser en meute », pour autant que les règles de l'OMC et celles de l'Union européenne, qui sont plus strictes, nous le permettent. Nous soutenons l'industrie ferroviaire française et européenne.

L'industrie ferroviaire française doit également se fixer le cap de la mondialisation et de la consolidation – c'est le second facteur. Il y a un très grand nombre de fabricants en Europe : cinq ou six de très grande taille, une dizaine de taille moyenne ou de petite taille. Face aux Chinois, qui n'ont en tout et pour tout que deux grandes sociétés de construction ferroviaire pour un projet s'élevant à 100 milliards de dollars, l'industrie européenne devra se fédérer et trouver des partenariats. Dans les vingt prochaines années, les acteurs isolés trouveront difficilement leur place.

Je ferai quelques propositions. Nous souhaitons jouer un rôle dans le pilotage de la filière, du fait que nous pesons, comme je l'ai dit, pour moitié dans son chiffre d'affaires. Ensuite, la France doit être plus présente dans la « bagarre de l'influence européenne » qui se joue actuellement à Bruxelles et à Strasbourg, notamment sur la question des normes techniques. Troisièmement, si l'Europe doit appliquer ses règles en matière de concurrence, elle ne devrait par pour autant oublier de conduire une politique européenne de compétitivité dans le secteur ferroviaire, qu'il s'agisse du choix des technologies ou des segments de marchés, de la recherche, des pôles de compétitivité, des anneaux d'essais ou des centres techniques, afin de contribuer au succès de son industrie ferroviaire.

Il faut également que l'État et les pouvoirs publics assurent de nouveau le pilotage d'un grand programme de recherche sur les transports ; cela a existé dans le passé sous le nom de PCRD ou Programme cadre de recherche et de développement, en vue de favoriser l'innovation dans le secteur. Le pays doit définir des priorités et des lignes directrices : nous ne pourrons pas progresser sur tous les domaines, tous les composants et toutes les gammes de tous les produits.

Enfin, il faut jouer le label France sur les marchés stratégiques mondiaux que sont l'Amérique du Sud ou l'Asie. Cela est d'autant plus indispensable que certains pays européens, tels que l'Allemagne et l'Espagne, appliquent déjà une « stratégie de pays ». L'union appartient à notre culture, elle est dans nos pratiques. Il convient d'en réaffirmer l'utilité. Les grandes « bagarres » du futur seront, pour beaucoup d'entre elles, des « bagarres » entre pays.

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