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Intervention de Bernard Amiens

Réunion du 4 mai 2011 à 16h15
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Bernard Amiens :

- Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, je voudrais vous dire le plaisir que j'ai d'être parmi vous !

Vous avez retracé mon parcours ; je suis en effet également maire d'Arbois et peut-être avant tout un élu confronté aux problèmes de la jeunesse. La mienne est déjà loin mais je suis conforté dans l'idée que notre jeunesse est en danger.

Ce danger prend des formes de plus en plus complexes et inquiétantes. La drogue est devenue un produit culturel, un « business » juteux, un mode d'expression d'une jeunesse à la dérive.

Chacune des failles, des blessures psychiques de cette jeunesse trouve de plus en plus rapidement refuge dans la drogue et les addictions. C'est le moyen rapide d'occulter le présent et de ne pas l'affronter !

Ce qui m'inquiète particulièrement ce n'est pas la consommation de drogues et d'alcool qui, au fond, n'est pas nouvelle mais le fait que cela touche un nombre grandissant de jeunes et surtout certains que l'on aurait pu croire protégés par un environnement familial stable !

Je suis également inquiet de la prégnance de ce phénomène en campagne ! Je puis même assurer que la proportion de jeunes en grande difficulté est pour le moins comparable à celle des grandes villes. L'offre de produits, qui est la même qu'en secteur urbain, connaît parfois des facteurs aggravants.

La Suisse vend par exemple moins cher que nous les produits comme l'héroïne, la cocaïne, le cannabis mais aussi des drogues de synthèses et du subutex de contrefaçon. Tous ces produits sont devenus très attractifs, moins chers et disponibles en quantité.

II existe d'évidence dans notre vignoble un problème spécifique : nous disposons en quantité de caves qui permettent la germination des plans de cannabis avant qu'ils ne soient replantés à la belle saison en pleine nature dans les bois, les champs de maïs, les jardins. La gendarmerie d'Arbois a saisi 1.000 pieds de cannabis en 2009. Malheureusement, l'opération ne s'est pas reproduite alors que la récolte 2010 a été aussi abondante. 20 % au moins de la production de cannabis fait l'objet d'une production locale. C'est ce qu'on appelle, d'après Internet, les « circuits courts ».

Selon les modes et les disponibilités du moment, on constate aussi des évolutions dans la consommation. L'héroïne qui est bien présente dans le Jura se négocie entre 30 et 40 euros le gramme. On trouve également en abondance des psilocybes, champignons hallucinogènes qui poussent sur nos premiers plateaux, ainsi que des amanites tue-mouches.

Notons encore que les rave parties sont très fréquentes dans nos régions, du fait de nos importantes surfaces de forêts. La législation n'impose pas la déclaration en préfecture de ces rassemblements lorsqu'ils comptent moins de 500 personnes.

La consommation l'alcool est également phénoménale. Je le constate avec les services techniques qui ramassent les canettes consommées en association avec le fameux Red Bull qui, selon la publicité, « permet de voler ».

Selon moi, la prévention est insuffisante, voire inexistante sur certains secteurs. La répression manque de moyens et les élus sont cantonnés aux actions de réparation des dégâts alors qu'ils devraient s'occuper de prévention en amont.

Mon avis est partagé par d'autres élus : nos campagnes ne disposent pas de moyens suffisants de lutte contre ces fléaux, drogues et alcool.

La révision générale des politiques publiques étant passée par là, la gendarmerie a subi des réductions de moyens et l'on doit se contenter d'opérations coups de poing comme celle de 2009.

Il existe également des inégalités de moyens entre les villes et les campagnes. Nos campagnes ne disposent pas de travailleurs sociaux en prévention spécialisée, par exemple. Il y a selon moi un déficit d'engagement des conseils généraux, dont c'est pourtant une des compétences au titre de l'aide sociale. Pour le Jura, la prévention spécialisée n'existe que sur les trois villes les plus importantes : Dole, Lons-le-Saunier et Saint-Claude récemment.

De même, trop rares sont les gendarmes formés à la lutte contre les stupéfiants. Quand bien même le seraient-ils, il n'y a pas dans nos campagnes de spécialistes chargés uniquement de ces problèmes, comme c'est le cas en ville avec les policiers.

Je regrette aussi que les centres de formation de travailleurs sociaux ne disposent pas d'un programme spécifique pour former à la lutte contre les drogues et les addictions.

Que dire encore du manque de coordination entre les divers acteurs de la lutte contre les drogues et les addictions ? Les seuls éléments de liens résident dans la mise en place ou non des conseils communaux, intercommunaux ou départementaux de prévention et de lutte contre la délinquance -lorsqu'ils fonctionnent.

Ces instances sont trop éloignées des réalités de terrain et c'est d'abord sur le terrain que le bât blesse. Trop souvent, chacun reste chez soi. Il existe peu ou pas d'échanges entre les parents, les éducateurs de terrain et la police. L'éducation nationale reste trop souvent hermétique : « A chacun sa culture, son pré carré et ses petits secrets » !

Il me semble que l'intérêt de l'adolescent ou du jeune adulte n'est pas pris en compte de la même manière au niveau de ces instances. Il y a trop de clivages entre prévention, soin et répression : on ne communique pas et il n'y a pas d'actions communes.

Les élus sont pour leur part peu informés, parfois peu intéressés, quoi qu'il en soit trop impuissants ou trop seuls pour engager des actions de prévention.

Selon moi, il faut s'attaquer inconditionnellement à tous les trafics. C'est la source du « business ». Quelques grammes de hachisch vendus et le dealer peut aisément passer à l'héroïne ou à d'autres produits ! Le consommateur, lui, est très vite acculé, menacé et s'installe dans des conduites délinquantes pour se fournir l'argent de la drogue.

L'information veut que l'on choque pour lutter contre le tabagisme alors que, pour les drogues et les addictions, on voit peu de communication grand public et d'images chocs. Sont occultés les troubles graves voire irrémédiables pour la santé, sans parler des effets sociaux, notamment sur l'employabilité des jeunes. Certains jeunes présentent des troubles graves de la personnalité qui font redouter des comportements imprévisibles. Il s'agit là de liens de type schizophréniques liés à des consommations excessives de cannabis et au clonage de ces produits qui ont amené la THC à être multipliée par dix ou vingt. Il faut en parler et sortir de la banalisation qui dessert toutes les actions.

Je l'ai dit, nos régions de moyenne altitude permettent de consommer des produits naturels pour se droguer. Les psilocybes et autres amanites tue-mouches ont des effets désastreux sur le psychisme. Là encore l'information est timide et il conviendrait, selon moi, d'engager des actions fortes et régulières pour limiter les plantations sauvages de cannabis dans nos campagnes. Il faut mettre à contribution les chasseurs, les affouagistes, les professionnels de la nature. Je commence à avoir des informations de ces personnes, qui ont également des enfants.

Il est également indispensable et urgent d'engager des moyens importants pour prévenir, réprimer et éventuellement réparer les conséquences dramatiques de ces addictions excessives.

La prévention nécessite un fort engagement des conseils généraux pour que soient développées des équipes de prévention compétentes relevant de l'aide sociale. II conviendrait aussi selon moi que l'Etat soit un vigoureux moteur de nouvelles et efficaces politiques de prévention et informe mieux les familles et les jeunes des conséquences dramatiques de ces addictions. Il faut que l'information passe par l'école et soit relayée par des personnes spécialisées.

II importe aussi d'engager des actions répressives et tenaces à l'encontre des cultivateurs de cannabis, de lutter et de faire connaître le résultat des actions engagées contre les marchands d'illusions et de mort, dont on dit trop souvent qu'ils se réunissent pour leur commerce en toute quiétude dans des espaces connus et bien identifiés par la population. C'est souvent ce sentiment d'impuissance qui laisse à penser que ces trafiquants agissent en totale impunité.

II me semble qu'il conviendrait d'associer largement la population à la lutte contre ce fléau qui n'en finit plus d'abîmer durablement la jeunesse.

II faut aussi que nos campagnes se dotent de centres de soins de proximité pour aider ces jeunes à se soigner. Nos hôpitaux locaux doivent héberger des centres de soins. Il n'y a bien évidemment dans cette intention aucunement l'idée de créer des salles de shoot. Il importe cependant que les toxicomanes puissent se fournir en seringues et préservatifs afin d'éviter toute contamination.

II s'agit donc de leur apporter des soins, des psychothérapies, des cures de désaccoutumance, des séjours de rupture.

Les élus locaux, dans le cadre de leur mission de police, doivent être largement associés à ces actions mais aussi formés et informés pour pouvoir faire reposer leur action sur des dispositifs de prévention soutenus par la puissance publique -conseils locaux de prévention, commissions de sécurité.

II convient aussi d'assurer la coordination de ces actions sur des périmètres élargis, à savoir les communautés de communes, les départements mais aussi les régions. Les actions doivent être cohérentes et couvrir l'ensemble du territoire si l'on veut éviter le repli des toxicomanes et autres trafiquants vers nos campagnes, celles-ci étant démunies de moyens, notamment en forces de police et en travailleurs sociaux.

Voici, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, quelques éléments dont je suis prêt à débattre !

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