- Lorsque nous avons commencé à intervenir auprès des toxicomanes, nous partagions probablement la position que vous venez d'exprimer. C'est l'expérience clinique qui nous a appris que l'on ne pouvait en rester là.
On sait bien que la drogue est une histoire de malheur. C'est bien parce qu'on est dans le malheur que l'on se drogue et non l'inverse ! Les toxicomanes nous ont appris qu'ils sont mal dans leur peau et que la drogue leur permet de ne plus ressentir ce malaise.
Certes, l'idéal serait de ne pas avoir à se poser de questions à propos de la toxicomanie mais tout est fait dans notre société pour que nous nous en posions. Les toxicomanes posent de vrais problèmes sociaux et sanitaires vis-à-vis d'eux-mêmes, de la société et de leur entourage immédiat. Un toxicomane n'est pas forcément un bon père, une bonne mère ou un bon enfant ! Or, c'est notre quotidien.
Nous nous trompons peut-être et j'en accepte l'éventualité. C'est avec prudence et humilité que je fais devant vous le point de nos réflexions. Il me semble que l'on ne peut prohiber massivement un produit si on en autorise un autre. Tous les jours, les toxicomanes nous interrogent sur ce point !
Je pense que l'ouvrage de M. Francis Caballero sur le droit de la drogue constitue une mine de propositions précises sur ce que pourrait être la question de l'accès aux produits. Vous devriez l'auditionner car il a écrit des choses passionnantes, notamment à propos du fait que la drogue est un produit psychoactif qu'on a besoin ni d'activer, ni de commercialiser mais qu'il faut contrôler. Bien évidemment, le modèle ne sera pas le même s'il s'agit de cannabis ou d'héroïne, je suis d'accord avec vous…
Je vous rejoins aussi pour ce qui est d'un contrôle fort. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les toxicomanes ne sont pas très intéressés par la légalisation.
L'expérience du Portugal, qui a décriminalisé l'usage des drogues, me paraît extrêmement intéressante. C'est l'un des pays les plus libéraux en la matière. Il a en effet décriminalisé tout usage privé de drogues, les effets seuls faisant l'objet d'une sanction. La phrase du Comité national d'éthique que je vous ai citée me paraît en cela bien poser le problème.
Quant au tabac, il n'est selon moi absolument pas neutre : le cancer passif du conjoint du fumeur pose un problème au-delà de sa propre consommation ! Pourquoi poursuivre quelqu'un qui transmet le sida à son conjoint par voie sexuelle et ne rien dire à celui qui aura provoqué un cancer du poumon chez son conjoint qui ne fume pas ? Je n'ai pas la réponse mais il faut réfléchir à ces questions ! Légaliser me semble être le seul moyen de réglementer et j'y suis totalement favorable !
Par ailleurs, je ne sais à quel moment on peut parler de succès ou de guérison. N'est-ce pas un succès qu'un toxicomane continue à vivre, même dépendant d'un traitement à long terme ? Les médecins inspecteur de la santé me reprochaient parfois la durée de mes prises en charge. Je répondais qu'au moins, ces personnes continuaient à vivre. C'est bien de cela dont il s'agit !
Concernant la prévention, je ne pense pas qu'il puisse en exister de spécifique en matière de toxicomanie. Je suis d'accord pour qu'il y ait une information sur les produits, comme c'est déjà le cas. La seule prévention que je connaisse, c'est celle des conduites à risques et la promotion de la conduite citoyenne et de l'envie de vivre ! Je ne suis pas opposé au fait que les gendarmes, les médecins ou les éducateurs aillent dans les écoles pour informer les enfants ou les adolescents sur les produits mais la seule prévention qui vaille, c'est la formation des citoyens !