S'agissant des travaux qui nous occupent aujourd'hui, l'absence d'accord final était prévisible, dès lors qu'un des deux rapporteurs avait depuis longtemps, et avec constance, exprimé sa certitude que tous les malheurs de la France provenaient essentiellement du poids des charges sociales, des effets du mode de financement de la protection sociale sur la compétitivité de nos entreprises et des 35 heures.
Or la réduction du temps de travail ne s'appliquait à l'origine qu'aux entreprises de vingt salariés et plus. Son application aux plus petites entreprises était prévue, mais avait dû être reportée. C'est la droite, reconduite au pouvoir en 2007, qui a décidé de généraliser les 35 heures dans le cadre de la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (TEPA), en faisant de la trente-sixième heure le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. C'était même une des premières dispositions adoptées au cours de la législature.
Je constate donc une certaine incohérence dans le discours public. À ceux qui nous reprochent sans cesse d'avoir institué les 35 heures, je demande non seulement pourquoi ils ne les ont pas supprimées dès qu'ils en ont eu l'occasion, mais surtout pourquoi ils les ont généralisées. Je me pose la question depuis quatre ans.
S'agissant de la compétitivité, le Conseil économique, social et environnemental s'est également emparé du sujet, mais contrairement à nous, il est parvenu à un large consensus : seules deux personnalités qualifiées se sont abstenues lors de l'adoption du rapport, auquel sont jointes des contributions très intéressantes.
Ce rapport aborde également la question de la comparaison avec le modèle allemand : « Le choix a été fait de conforter la compétitivité de l'industrie allemande, notamment en limitant les hausses salariales. La part des exportations s'est accrue dans le PIB tandis que la consommation intérieure baissait ou, au mieux, stagnait. » Les Allemands ont donc décidé, à un moment donné, de pratiquer la déflation salariale. Ils sont ainsi parvenus à réduire à leur profit l'écart de coût du travail entre la France et l'Allemagne.
Le rapport du conseil se poursuit ainsi : « Les salaires allemands partant d'un niveau significativement plus élevé, les coûts sont désormais du même ordre de grandeur. Eurostat estime ainsi que, pour l'année 2008, le coût dans l'industrie, la construction et les services (…) était désormais plus faible en Allemagne (28,91 euros) qu'en France (31,53). Pour la seule industrie manufacturière, en revanche, le coût demeurait légèrement plus élevé en Allemagne (33,37 euros contre 33,16 en France).
« Pour être complète, la comparaison nécessite également de tenir compte de la productivité, c'est-à-dire de la production fournie par chaque salarié à quantité de travail identique. Or, en 2010, selon Eurostat, la productivité de la main-d'oeuvre par personne occupée demeurait sensiblement plus élevée en France (indice 120,1 pour une moyenne européenne à 100) qu'en Allemagne (105,2). »
De telles données relativisent l'idée selon laquelle tous nos malheurs trouvent leur origine dans les 35 heures et dans l'écart de compétitivité par rapport à l'Allemagne.
Il est vrai qu'en matière de temps de travail, tous les indicateurs sont discutables. Ainsi, le nombre d'heures de travail par habitant n'est pas un indicateur de la productivité, mais de l'activité économique. Ce qui est important, c'est la productivité et le nombre d'heures travaillées par salarié. Or selon le dernier numéro de la revue de l'Union des industries et métiers de la métallurgie, la durée annuelle effective du travail par salarié est de 1 554 heures au Japon, de 1 620 heures au Royaume-Uni, de 1 469 heures en France et de seulement 1 340 heures en Allemagne.
Il est également intéressant de consulter le bilan conjoncturel publié par la même revue : « Dans les pays de la zone euro, la progression des coûts horaire de la main-d'oeuvre, qui était revenue à 1,2 % sur un an à l'été 2006, s'est accélérée depuis lors, atteignant 3,6 % au deuxième trimestre 2011. Ce mouvement est attribuable à la forte montée des coûts allemands : + 4,8 %, après 2,7 % au premier trimestre, un rythme jamais observé depuis au moins 1997. » Ainsi, l'opération effectuée par l'Allemagne a eu certes un effet ponctuel, mais les choses tendent à revenir à leur équilibre initial. Telle est l'évolution que nous observons aujourd'hui – la note de conjoncture date d'octobre 2011 –, et qui devrait nous donner à réfléchir.
Il me semble donc que cette mission d'information aurait pu explorer d'autres pistes, sans parler des problèmes que l'on a écartés parce que les solutions sont sans doute trop complexes : comment réfléchir à la compétitivité sans s'interroger sur la mondialisation ou sur la politique monétaire ? Notre monde actuel est organisé d'une drôle de façon, avec un pays, la Chine, qui pratique le capitalisme d'État et une politique monétaire ne respectant pas les règles du jeu, sans pour autant que l'Organisation mondiale du commerce ne réagisse. Nous sommes engagés dans une compétition dans laquelle chacun fixe ses propres règles ! Les normes minimales internationales, comme celles de l'Organisation internationale du travail ou du Protocole de Kyoto, ne sont même pas intégrées à celles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), alors qu'elles sont pourtant bien peu contraignantes par rapport à nos propres normes. M. Christian Blanc parlait de régulation ; voilà une première réponse à apporter en ce domaine, notamment au niveau européen. Car si le chacun pour soi continue à régner, continuer à batailler ne nous permettra pas d'échapper à nos difficultés. Il en est de même au sujet de la spéculation. Le décalage entre l'économie réelle et l'économie financière est, à l'heure où les ordinateurs spéculent tout seuls, considérable. Pouvons-nous longtemps continuer ainsi ? Toutes ces questions auraient mérité de figurer dans le débat.
M. Christian Blanc a dit que nous financions notre protection sociale par l'emprunt. C'est vrai, mais n'oubliez pas qu'en novembre 2010, la majorité de l'Assemblée nationale a adopté une loi organique faisant peser 130 milliards de dette sociale sur les générations futures, en prévoyant un remboursement entre 2018 et 2022. Ce n'était d'ailleurs pas la première fois, puisque la même majorité avait adopté une loi similaire en 2005 avant d'être obligée de la défaire. Il est en effet inacceptable de faire payer aux Français de demain nos dépenses de santé actuelles, et à cet égard, la décision prise il y a moins d'un an est particulièrement scandaleuse.
J'en terminerai avec une autre certitude exprimée par M. Pierre Méhaignerie, et qui concerne les relations sociales, un domaine que je connais mieux que celui de l'économie : nos entreprises seraient paralysées par les rigidités sociales. En Allemagne, un comité d'entreprise est créé à partir de cinq salariés ; et quand l'entreprise dépasse les 2 000 salariés, un conseil de surveillance paritaire est élu, qui permet d'associer ces derniers à la stratégie de l'entreprise. C'est un exemple auquel nous ferions bien de réfléchir.
De nombreuses pistes restent donc à explorer. La territorialisation du développement, évoquée par M. Christian Blanc, en est une, même si les pôles de compétitivité constituent un début de réponse. En figeant le débat sur la question du coût du travail – un enjeu dont le rapport du Conseil économique, social et environnemental montre la faible pertinence –, nous n'avons pas été au rendez-vous fixé lors de la création de cette mission. Le débat sera donc tranché lors des échéances politiques à venir.