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Intervention de Pierre Mongin

Réunion du 18 janvier 2012 à 17h00
Commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Île-de-france

Pierre Mongin :

C'est pour moi un honneur que de venir apporter à la représentation nationale la vision de notre entreprise publique sur le réseau express régional d'Île-de-France. L'enjeu est en effet considérable.

La RATP remplit, sur 79 kilomètres et 35 gares de la ligne A et 40 kilomètres et 31 gares de la ligne B, une double tâche de gestionnaire d'infrastructure et d'opérateur de transport – les deux missions étant séparées depuis le 1er janvier 2012 en application de la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires. Nous sommes parfaitement conscients de la responsabilité qui nous incombe du fait de la densité exceptionnelle du trafic sur ces lignes, ainsi que des insuffisances et des lacunes du service que nous offrons actuellement à nos voyageurs, malgré d'immenses efforts que je vais essayer de résumer.

Depuis mon arrivée à la tête de la RATP en 2006, mes deux priorités opérationnelles majeures furent le bon fonctionnement des lignes A et B du RER et celui de la ligne 13 du métro. Avec 6 millions de passagers quotidiens, le métro est un sujet de fierté pour l'Île-de-France, qui a servi, au point de vue de la technique, de la sécurité et de la réglementation, de modèle pour le RER : il s'agissait de faire passer des trains dans la zone dense de l'Ile-de-France, à de hautes fréquences, en assurant la connexion avec le réseau ferré national et en évitant les ruptures de charge. La juxtaposition des systèmes d'exploitation fut une vraie bonne idée, qui permit l'optimisation des infrastructures ferroviaires et une coopération entre les deux opérateurs tant au plan de la technique qu'au plan de la sécurité.

Cette mécanique a parfaitement fonctionné jusqu'il y a dix ans. Ce qui l'a déréglée, c'est l'accroissement considérable de la fréquentation du réseau de transports publics en Île-de-France, qui a contraint les deux opérateurs à livrer une course contre la montre permanente. Pour la seule année 2011, la fréquentation des lignes A et B du RER a augmenté de 2,6 %, ce qui représente 12 millions de passagers supplémentaires pour la seule partie RATP. Néanmoins, nous avons réussi à améliorer le taux de régularité des trains, qui s'est accru, en moyenne annuelle, de 3 points sur la ligne A et de 1 point sur la ligne B, pour atteindre respectivement 86 % et 85 %. Malgré les critiques – légitimes – formulées par un certain nombre de voyageurs, et même s'ils ne me satisfont pas, ces résultats montrent que nous sommes parvenus à stabiliser le dispositif.

Je pense qu'on a fait peser sur ces deux lignes une responsabilité excessive. Les lignes A et B du RER sont structurantes : la croix qu'elles forment supporte l'essentiel des déplacements quotidiens des Franciliens. En dix ans, la fréquentation de la ligne B a augmenté de 35 %, celle de la branche de Chessy de la ligne A de 43 %. Lorsqu'à la demande du STIF, nous avons renforcé en 2008 la desserte des branches de Cergy et de Poissy, afin que les trains puissent circuler avec un intervalle de 3 minutes 20 en heures creuses sur le tronçon central de la ligne A, nous avons dès lors utilisé le dernier potentiel d'élasticité dont nous disposions ; il est désormais impossible de rattraper un incident quelconque sur le programme de transport, sans que cela ait des répercussions sur les voyageurs.

D'une manière générale, le rôle des deux lignes a été de pallier les insuffisances graves de l'aménagement francilien depuis 30 ans. Je pense que la tension actuelle est liée au déséquilibre existant entre la progression considérable de l'habitat à l'est et l'accélération des programmes d'emploi à l'ouest. En 1975, Marne-la-Vallée comptait 100 000 habitants ; on en escompte 350 000 à l'échéance 2020. À La Défense, ce sont 150 000 salariés qui travaillent aujourd'hui dans les tours ; dix projets majeurs vont amener 30 000 à 40 000 emplois supplémentaires d'ici à 5 ans, ce qui fera tache d'huile sur Nanterre, Rueil, Bezons et La Garenne-Colombes, des communes qui accueillent un nombre croissant de salariés. Ce phénomène de balancier entre l'Est et l'Ouest provoque un déséquilibre de la ligne entre le matin et le soir.

Les précédents gouvernements avaient veillé à conserver des marges de manoeuvre. En 1997, on avait décidé d'acheter des rames à deux niveaux, les MI 2N, afin de soulager la pression sur les trains. Le seul grand projet de transports depuis 30 ans, la décision prise par Michel Rocard de créer la ligne 14, a permis de soulager une partie de la ligne A. Enfin, on a décidé de prolonger par étapes la ligne E du RER, ce qui a apporté de l'oxygène. Mon sentiment est que l'on est revenu aujourd'hui à la case départ : l'effet positif de ces investissements a été annihilé par la croissance.

Pour faire face à cette situation, nous sommes fortement mobilisés. Avec de nombreux élus franciliens – parlementaires, conseillers régionaux, maires –, nous avons pesé sur la décision de créer un nouveau réseau de transport structurant en Île-de-France. Grâce au lancement du Grand Paris et à la décision de prolonger la ligne E entre les stations Gare-Saint-Lazare et Mantes-la-Jolie, on peut être optimiste quant au devenir de la mobilité organisée en transports publics en Île-de-France à l'horizon 2020-2025. Nous avons l'espoir que l'arc nord et l'arc sud, cette espèce de « métro périphérique » – comme j'avais appelé ce projet avant le lancement du « Grand Paris Express » –, soulageront les deux réseaux en croix centraux. D'ici là, nous sommes conscients qu'il convient de prendre des mesures pour ne pas se laisser déborder par la situation, étant entendu que tout incident d'exploitation a des répercussions sur l'ensemble du réseau.

Nous avons eu un retour d'expérience très précis sur les événements du 9 janvier ; j'en ai moi-même rendu compte en détail à la ministre, Mme Kosciusko-Morizet. L'incident est consécutif à une panne électrique totale – phénomène très rare – survenue sur l'un des vieux trains qui sont en cours de remplacement. Cette panne a mis le conducteur dans l'impossibilité absolue de communiquer avec les voyageurs, puisqu'il n'y avait plus de sonorisation. Heureusement, j'ai doté la RATP du système de radio numérique mobile TETRA : grâce à cet équipement, que tous les agents travaillant sur les voies et en exploitation possèdent, le conducteur a pu communiquer avec le Poste de Commandes centralisées (PCC). On a immédiatement envoyé depuis la station Étoile une équipe de secours, qui a emprunté une rame circulant dans la direction opposée pour rejoindre celle qui était en panne. Après quinze à vingt minutes de travail, le diagnostic a conclu à l'impossibilité de redémarrer le train par l'arrière ; le courant a cependant été rétabli dans la moitié de la rame. En passant devant les portes, les agents ont dit aux voyageurs que la RATP était navrée de l'incident et ils leur ont demandé de garder leur calme et de ne pas bouger.

Parallèlement, il fallait gérer le reste du trafic d'Île-de-France, ainsi que les répercussions de l'incident : faire tourner les trains de la ligne A à la station Étoile afin d'assurer la desserte de Paris et de l'est de l'Île-de-France, dégager les quais, renforcer la ligne 1 – dont l'automatisation a permis de travailler en mode « heure de pointe » jusqu'à 23 heures –, coordonner nos efforts avec la SNCF, en faisant appel à un train classique pour évacuer les voyageurs bloqués à La Défense vers Saint-Lazare, canaliser les foules qui s'étaient amassées dans les gares impactées par l'événement. La salle opérationnelle intermodale que j'ai créée a grandement facilité la gestion de l'incident.

Au bout de trois quarts d'heure, alors que le train de secours était en chemin, des voyageurs, agacés par l'attente – certes insupportable –, ont décidé de sauter par-dessus les portes et se sont égaillés dans les voies, sans savoir quelle direction emprunter puisqu'ils étaient au milieu du tunnel. Dès lors, ce fut un grand désordre : il devint impossible d'acheminer le train de secours, il fallut stopper complètement la circulation des trains, et toutes les opérations d'évacuation se sont faites à pied, en faisant sortir les voyageurs par les deux trains bloqués derrière la rame en panne. La manoeuvre fut longue, puisqu'elle a duré trois heures, mais on n'a déploré aucune victime. Si le PCC n'avait pas réagi avec célérité et efficacité, vu l'heure de pointe, il y aurait pu y avoir 6 ou 7 trains bloqués. Toutefois, je reconnais qu'une telle qualité de service est inacceptable ; il convenait de présenter nos excuses aux voyageurs et de leur garantir, non pas le risque zéro, car c'est impossible en matière de panne, mais du moins que des mesures visant à réduire la probabilité que de tels événements se reproduisent seraient prises. C'est ce que j'ai fait.

La qualité du service passe, selon moi, par la qualité du dialogue social. La RATP est aujourd'hui une entreprise apaisée. En 2011, on a compté 0,29 journée de grève par salarié, soit le taux le plus bas de toute la profession du transport en France – la situation est dans ce domaine bien meilleure à Paris qu'à Londres. Dans la situation actuelle, nous considérons que les mouvements sociaux ne sont plus une cause de rupture du service public. Cela suppose toutefois que la direction générale et la direction opérationnelle portent une attention constante à la qualité du dialogue social au sein de l'entreprise.

Par ailleurs, j'ai lancé en 2008 un plan d'action avec des mesures de proximité. Des agents d'encadrement ont été placés sur les quais à fort trafic, aux heures de pointe. En recourant à des contrats d'accompagnement dans l'emploi – ce qui montre que nous nous préoccupons de l'insertion sociale –, nous avons mis en place les « gilets verts », c'est-à-dire des personnes qui aident à la fermeture des portes et assurent la sécurité du départ du train. Nous avons également recruté des secouristes qualifiés, une des causes de dysfonctionnement étant les malaises de voyageurs, en raison de l'hypoglycémie, de la fatigue ou de la chaleur ; il s'agit en général de cas bénins, mais qu'il faut pouvoir traiter sans attendre l'arrivée des pompiers, car cela bloque la circulation des trains.

J'ai également lancé un plan d'action en faveur de la maintenance préventive ; les moyens qui lui sont dévolus ont considérablement augmenté depuis 5 ans. La maintenance préventive représente un investissement de 10 millions d'euros par an sur la ligne B et de 20 millions sur la ligne A, soit un montant de 50 à 60% supérieur au strict nécessaire. Elle comprend le contrôle systématique des rails par ultrasons, la mise en place d'un nouveau système de contrôle des caténaires par infrarouge, et le remplacement bisannuel des rails du tronçon central de la ligne A – quand les usages ferroviaires voudraient qu'il ait lieu tous les 25 ans. En 2014, nous devrons remplacer les voies et le ballast du tunnel central de la ligne A, ce qui nécessitera de travailler plus de 3 heures par nuit.

Autre investissement important pour les voyageurs, nous avons décidé en 2006 d'installer des caméras de vidéoprotection sur l'ensemble de nos sites. Résultat : le réseau de la RATP est aujourd'hui le premier réseau vidéoprotégé de France. Les seules lignes A et B du RER disposent de 3 000 caméras. Ce moyen de surveillance, qui a permis de renforcer considérablement la sécurité dans le RER, sera généralisé sur tous les trains neufs.

Tout cela ne suffit cependant pas : le plus important est d'apporter une réponse aux problèmes de capacité, qui se posent en des termes différents sur les deux lignes.

S'agissant de la ligne A, le problème a été traité lors du conseil d'administration de la RATP de mars 2009, qui a décidé le remplacement progressif de tous les trains qui n'ont pas encore été rénovés, les MI 84, par des trains à deux étages, les MI 09. Le 5 décembre dernier, le Président de la République a inauguré, en compagnie du président du STIF, M. Jean-Paul Huchon, la mise en circulation commerciale du premier train MI 09 sur la ligne A ; deux nouveaux éléments seront injectés chaque mois sur la ligne. En l'espace de 30 mois, nous aurons ainsi réussi à concevoir le train, à l'industrialiser et à le mettre en service. Cela permettra d'augmenter de 50% la capacité de chaque rame, d'optimiser l'utilisation des quais avec des trains de 225 mètres de long, d'améliorer l'accessibilité des rames grâce à des portes de 2 mètres de large et, à terme, d'homogénéiser l'ensemble du parc. Il s'agit d'un énorme investissement pour la RATP – 2 milliards d'euros –, mais cela donnera 15 ans d'oxygène à la ligne A.

Sur la ligne B, les intervalles entre les rames étant plus importants, la solution la moins coûteuse et la plus efficace consiste à augmenter le nombre de trains en circulation. Cette ligne a longtemps souffert de la coupure, à la station Gare-du-Nord, entre le domaine de la SNCF et celui de la RATP. Depuis le 9 novembre 2009, la ligne est interopérée, première étape d'un processus d'unification de sa gestion. Ce fut un chantier coûteux, notamment sur le plan social – les mouvements sociaux ont duré trois ans –, mais je pense que le franchissement de cette étape est une source de satisfaction pour le STIF.

Le 5 décembre 2011, le Président de la République a demandé que les trois opérateurs publics – RATP, SNCF et RFF – approfondissent l'idée d'une structure de pilotage unique, dans le respect des compétences de chacun. « La RATP et la SNCF proposent à présent de placer l'exploitation de la ligne B sous l'autorité d'une seule équipe commune. C'est une orientation que je ne peux que valider », a-t-il ajouté. Le 9 février, avec Guillaume Pepy, nous allons donc lancer un groupe de travail mixte pour tenter de passer d'une exploitation partagée à une exploitation commune, qui devra apporter des solutions à court terme, d'abord, pour fiabiliser l'information voyageurs, ensuite, pour réduire les délais de traitement des incidents. Nous avons l'idée d'instituer un pilotage technique commun de la ligne, et probablement une gouvernance nouvelle. Naturellement, ce projet prendra tout son intérêt lorsque RFF aura achevé ses travaux au nord, consistant à construire des voies dédiées à la ligne B jusqu'à Charles-de-Gaulle et Mitry.

Il y a urgence, car les circulations sont très nombreuses dans ce secteur. Or c'est RFF qui contrôle le robinet de la ligne B, à savoir l'aiguillage qui se trouve, sur le territoire de la RATP, à la station Gare-du-Nord, et qui permet de choisir entre l'injection de trains de la ligne D et l'injection de trains de la ligne B du RER. Le paradoxe du système actuel, c'est que ni la RATP ni la SNCF ne maîtrisent la circulation de leurs propres trains.

En outre, le passage prévu de 8 à 12 trains à l'heure sur la ligne D, alors que la SNCF vient de mettre en place le cadencement, qui n'est pas nécessairement compatible techniquement avec une circulation à l'intervalle, crée potentiellement un risque supplémentaire pour la fiabilité et la régularité de la ligne B. La seule solution, malheureusement longue et coûteuse, serait de doubler le tunnel central pour que chaque ligne ait son tronçon réservé. Cela suppose toutefois des investissements massifs qui n'ont pas été programmés, notamment dans le cadre du Grand Paris.

Il existe donc une contradiction technique : sur les 20 kilomètres du corps central de la ligne A, on a une gestion du type métro, avec une très forte fréquentation – on y transporte davantage de voyageurs que sur les 160 kilomètres de la ligne D – et une circulation à l'intervalle ; en revanche, sur les branches – qu'elles soient RATP ou SNCF –, on doit tenir un engagement sur les horaires. Tant que cette contradiction technique ne sera pas résolue, on rencontrera des problèmes, puisque l'on a choisi de perdre en élasticité pour amortir la charge. Dans le cadre des schémas directeurs de l'Île-de-France, il conviendrait de réfléchir à la possibilité de s'engager sur une durée d'attente sur le quai, et non sur un passage des trains à horaire fixe. En d'autres termes, il faudrait faire du métro partout. Cela demandera du temps et du travail, mais c'est à ce prix que nous pourrons réduire la tension sur les lignes A et B du RER.

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