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Intervention de Gilbert Pépin

Réunion du 11 mai 2011 à 16h15
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Gilbert Pépin, biologiste, expert près la Cour d'appel de Paris, agréé par la Cour de cassation, expert près le tribunal administratif de Paris :

Absolument. Elles font suite à des décès considérés comme douteux par le médecin qui ne délivre pas le permis d'inhumer.

L'étude dite DRAMES sur les décès en relation avec l'abus de médicaments et de substances, pilotée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, a rassemblé tous les experts toxicologues judiciaires se consacrant exclusivement à l'autopsie. Nous étions dix-neuf. Avec l'accord de la Chancellerie, nous avons mis en commun tous nos résultats. Au total, 218 décès ont été reliés directement à l'usage soit de médicaments de substitution, soit de stupéfiants. La répartition est la suivante : l'héroïne est impliquée dans 62 décès, la cocaïne dans 16, l'ecstasy dans 2, l'association de deux ou trois substances illicites dans 33. Au total, ces 113 cas représentent 51,8 % de l'ensemble. Les autres cas concernent, pour 19 d'entre eux, les opiacés licites : morphine pour les soins, codéine, en vente libre en pharmacie, sufentanil et tramadol, antidouleurs prescrits par les médecins. Il faut aussi citer les traitements de substitution aux opiacés : la méthadone compte pour 62 cas, la buprénorphine pour 20, l'association des deux pour deux cas, et enfin la kétamine et le GHB pour deux cas aussi chacun.

Ces 218 cas ne couvrent pas la France entière, mais tout de même 70 % du territoire, je pense.

Ces données font ressortir que la France enregistre beaucoup moins de morts du fait des opiacés que les autres pays européens. Cette situation est due à la politique de substitution – 125 000 personnes sont sous buprénorphine et 50 000 sous méthadone – qu'elle conduit, et pour laquelle elle a de l'avance sur ses partenaires. Ces morts étaient beaucoup plus nombreuses lorsque j'ai débuté et, à cette époque, les statistiques officielles souffraient de fortes sous-évaluations.

Alors que nous pouvons penser que nos chiffres sont plutôt sûrs – légalement, les morts sous stupéfiants dans les hôpitaux doivent être déclarées –, le laboratoire que je dirige comptabilise à lui seul, dans une petite région du Royaume-Uni où il travaille pour les services officiels, plus de morts que ces 218 que nous avons recensés.

Depuis vingt-cinq ans, au rythme de deux fois par semaine, j'ai participé comme expert à 1 600 procès d'assises. L'ensemble des paramètres étant exposé par les avocats, je découvre avec stupeur que même lorsqu'elle n'est pas la cause de la mort, la drogue est à l'origine d'un grand nombre de cas de criminalité. Les meurtriers, mais aussi les victimes, sous l'emprise de la drogue, ne savent pas ce qu'ils font. L'agent le plus horrible est le cannabis. Détendus, les sujets n'ont plus conscience du danger. Un porteur de canif va agresser en riant un porteur de revolver qui va le tuer en riant tout autant !

Je vais cinq à dix fois par mois en visite en maisons d'arrêt. Des auteurs de crimes, souvent atroces, m'y déclarent ne pas comprendre ce qui s'est passé, reconnaissent le caractère effroyable de leurs actes et expliquent être contents d'être en prison, parce que depuis qu'ils y sont, ils sont sortis de l'enfer de la drogue. Si bien sûr la drogue circule parmi les détenus, elle y est chère et très rare. Au bout du compte, contrairement à ce qui se dit, la prison les sèvre et ils en sont heureux. Je vis depuis longtemps cette réalité qui est à peu près unique en France. En effet, l'éthique commande de ne pas laisser souffrir les gens. Si une personne arrêtée est porteuse d'une ordonnance médicale, son traitement lui sera bien sûr fourni. Mais si elle est consommatrice de drogue, elle ne le révélera pas forcément. Elle manifestera alors sa souffrance mais, en l'absence de données médicales, le médecin de la prison ne lui prescrira qu'un anxiolytique. Au bout d'une semaine, ce détenu sera sevré.

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