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Intervention de professeur Michel Reynaud

Réunion du 11 mai 2011 à 16h15
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

professeur Michel Reynaud, psychiatre, secrétaire général du collège universitaire des enseignants d'addictologie, chef du service de psychiatrie et d'addictologie du groupement hospitalier universitaire Paul Brousse :

Pour compléter la définition de la dépendance donnée il y a de cela une quarantaine d'années par le professeur Claude Olivenstein, on pourrait dire qu'elle est la rencontre entre un produit plus ou moins addictogène, un individu plus ou moins vulnérable et un environnement plus ou moins « facilitateur ». Certains produits sont plus addictogènes que d'autres : les risques de dépendance sont de 80 % à 90 % pour le tabac, de 70 % à 90 % pour l'héroïne, de 50 % à 60 % pour la cocaïne, de 5 % pour l'alcool et de 2 % ou 3 % pour le cannabis. Des éléments de plus en plus nombreux donnent à penser que les consommateurs qui deviennent dépendants présentent une vulnérabilité génétique, mais cette vulnérabilité est complexe, mettant en jeu plusieurs gènes, la réaction des circuits cérébraux et le métabolisme cellulaire. Elle est en outre aggravée par l'effet de situations personnelles. La recherche clinique nous apprend en effet que des sujets ayant connu des souffrances, un stress, un malaise ou une difficulté dans les relations avec autrui deviennent plus facilement dépendants. Ainsi le stress post-traumatique augmente-t-il le risque de dépendance de 50 %.

On considère généralement qu'il existe deux types de personnalités vulnérables à la dépendance : il y a, d'une part, ceux qui recherchent des sensations, qui ont besoin de vivre des situations fortes et de connaître une excitation permanente, qui sont plutôt des hommes, et, d'autre part, ceux qui ont à apaiser une souffrance ou un malaise et qui sont plus habituellement des femmes. Lorsque le produit fournit une grande satisfaction ou apaise une souffrance plus ou moins permanente, le sujet a davantage tendance à y revenir. Nous ne sommes donc pas égaux devant les produits. Si l'environnement joue un rôle dans l'incitation et la consommation, il existe donc, vraisemblablement, des vulnérabilités individuelles cumulant des vulnérabilités génétiques, sur lesquelles nous devons poursuivre les recherches, et des vulnérabilités liées à l'histoire personnelle, au malaise, au stress et aux violences subies – la plupart d'entre nous ont expérimenté les effets bénéfiques de l'alcool face à un chagrin d'amour : eh bien, ceux qui éprouvent une souffrance due à l'abandon sont davantage portés à revenir à l'alcool lorsqu'ils l'ont « trouvé ».

Tous les produits ne sont pas non plus « égaux » et les dangers du cannabis ne peuvent être comparés avec ceux de l'héroïne ou de la cocaïne. Soignant de nombreux patients dépendants au cannabis dont certains présentent une schizophrénie aggravée par cette drogue, je ne les minimise pas mais, statistiquement, ces cas sont en quantité minime. Le risque est davantage un risque social, lié à l'illégalité des circuits parallèles et à la délinquance qu'entretient la consommation du produit, qu'un risque de santé publique. Ce dernier est bien supérieur avec l'alcool qui, à la fois, procure le plus de plaisir et entraîne le plus de dommages – les encéphalopathies liées à l'alcool sont infiniment plus nombreuses que les schizophrénies liées au cannabis. Le tabac, quant à lui, est également très addictogène et tue beaucoup. Il « accroche » par le besoin qu'on en a, en particulier quand on est anxieux ou déprimé, mais il n'induit aucune complication sociale ou trouble de comportement.

Peut-on devenir dépendant des produits de substitution aux opiacés ? Les produits qui « accrochent » sont ceux qui provoquent de l'attente et un plaisir rapide, puis viennent à manquer, comme les relations passionnément amoureuses ou les jeux d'argent. Les barbituriques hypnotiques, comme le Rohypnol, le Valium ou le Stilnox, produits rapidement absorbés et disparaissant rapidement de l'organisme, provoquent des dépendances. En revanche, le Gardénal, le Lexomil et les autres produits à longue durée de vie ne produisent pas cet effet de « shoot » et de manque. Lorsqu'ils lui font défaut, le sujet éprouve un syndrome de sevrage, mais sans le besoin compulsif d'y revenir qui caractérise l'addiction et la toxicomanie. C'est le cas de la méthadone ou du Subutex – lequel peut néanmoins être utilisé aussi de façon toxicomaniaque. La méthadone, opiacé de synthèse, permet de stabiliser le fonctionnement cérébral et le système de récepteurs altérés par l'héroïne sans provoquer les mêmes effets comportementaux. Lorsque le patient n'est pas prêt à être sevré de méthadone, la prise de celle-ci présente donc plus de bénéfices que le sevrage qui induirait des risques de rechute.

S'il reste statistiquement vrai que, dans la plupart des cas, le sevrage absolu est indispensable pour les alcooliques profondément dépendants, on sait aussi à présent que certains patients, moins dépendants parce que présentant moins de vulnérabilités personnelles, reviennent à des consommations contrôlées. C'est du reste le résultat recherché avec les produits actuellement en cours de développement. Il est donc difficile d'appliquer un modèle de l'abstinence totale et nous devons pouvoir disposer d'une palette de prises en charge pour adapter nos propositions aux différents types de patients – ce qui suppose aussi des praticiens correctement formés.

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