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Intervention de professeur Michel Reynaud

Réunion du 11 mai 2011 à 16h15
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

professeur Michel Reynaud, psychiatre, secrétaire général du collège universitaire des enseignants d'addictologie, chef du service de psychiatrie et d'addictologie du groupement hospitalier universitaire Paul Brousse :

Je dirige un service de psychiatrie et d'addictologie ainsi qu'une équipe de recherche, et j'ai en effet occupé la présidence tournante de la fédération qui regroupe la quasi-totalité des associations de professionnels du secteur – j'en suis actuellement l'un des vice-présidents.

Permettez-moi de vous remettre le Livre blanc qui sera soumis le 8 juin à notre conseil d'administration. Il représente la synthèse du travail mené par nos associations membres en vue de définir une politique de prévention, une législation et des stratégies de développement des structures de soin médico-social et de réduction des risques.

Face à la variété des addictions, il serait illusoire d'imaginer qu'il existe une réponse unique, une panacée. Nous avons donc intérêt à disposer d'une large palette d'outils pour leur prise en charge et c'est en ce sens que nous poussons, dans notre Livre blanc comme dans nos propositions. Je précise que nous avons entrepris ce travail à notre propre initiative alors que nous avions été missionnés par le Président de la République pour élaborer un plan relatif aux addictions, qui a été repris par M. Xavier Bertrand, ministre chargé de la santé, en 2005.

Le terme « addictions » n'a été substitué à ceux de « toxicomanie » et d'« alcoolisme » qu'au début des années 2000, pour signifier que l'on s'intéresse désormais également aux comportements pathologiques et aux situations antérieures à la dépendance, ainsi qu'aux phénomènes de consommations multiples. L'autonomie de l'addictologie comme discipline dotée de services hospitaliers et universitaires est donc très récente, de sorte que nous n'avons pu encore changer les représentations sociales des problèmes de consommation dont elle traite. L'opposition quasi frontale entre prévention ou soin et répression, entre produits licites et substances illicites, découle en effet de représentations idéologiques et ne correspond plus à l'état de la science. Nous militons pour un débat plus sociétal – qui gagnerait à se tenir après l'élection présidentielle pour éviter toute instrumentalisation – sur les mesures à prendre pour réduire les dommages, en utilisant tous les moyens validés. Les membres de nos associations sont à l'image de la société, partagés entre partisans d'une extrême rigueur et laxistes ; cependant, il n'en est pas qui soient prohibitionnistes : aucun ne croit à la possibilité d'une société sans alcool ni tabac, cannabis, cocaïne ou héroïne. Nos propositions visent donc à définir des stratégies aussi pragmatiques que possible, s'appuyant sur le consensus social le plus large.

Les propositions qui poseront problème sont celles qui concernent la prévention et la législation. La première priorité est de poursuivre le plan de prise en charge et de prévention des addictions qui n'a pas été repris parmi les priorités présidentielles et va arriver à son terme cette année. Nous espérons que les candidats à l'élection présidentielle souhaiteront reprendre la réflexion.

Un accord entre l'ensemble des parties semble plus facile à trouver concernant l'accès aux soins. Nos propositions à cet égard portent sur la modification des représentations pour les patients et leurs familles, les stratégies d'aide à leurs associations, le renforcement de l'addictologie de premier recours, notamment les actions à mener auprès des généralistes, parfois peu intéressés par les addictions. Une vingtaine de propositions concernent le renforcement du dispositif médico-social existant – qui recouvre notamment, outre les communautés thérapeutiques, les consultations à destination des jeunes consommateurs, les centres d'hébergement et de réinsertion sociale et les centres thérapeutiques résidentiels, soit toute une palette de moyens adaptés à la diversité des patients qui peuvent parfois être à la fois alcooliques et toxicomanes.

Nous proposons également le renforcement de l'addictologie hospitalière. Celle-ci, qui ne date que de 2005, s'organise en trois niveaux : des équipes de liaison et de soins, pour une réponse de proximité, dans tous les hôpitaux possédant un service d'urgences ; des services de référence, avec des lits d'hospitalisation spécialisés, pour la prise en charge d'addictions en situation complexe ; des services universitaires, enfin. Alors que les équipes de liaison se sont bien développées au cours des cinq dernières années et qu'ont été mises en place près des deux tiers des structures hospitalières censées couvrir chacune un bassin de 500 000 habitants, un tiers seulement des régions disposent de structures universitaires ; or, faute de formations cohérentes, la prise en charge peut ne pas reposer sur les meilleures stratégies validées et être marquée par l'idéologie.

D'autres propositions portent sur des problèmes ignorés par le plan précédent. Ainsi, afin de faciliter les rapports entre l'addictologie et la psychiatrie, nous proposons pour cette dernière également une organisation en trois niveaux, avec des équipes de liaison pour « donner une culture » sur les addictions, des équipes spécialisées et des équipes universitaires. Quant aux addictions comportementales, elles n'ont pu être clairement théorisées qu'au prix d'une réflexion qui a permis de partager leur prise en charge entre addictologie et psychiatrie : il s'agit de comportements d'excès tels que les troubles des conduites alimentaires ou le jeu pathologique qui, selon le mécanisme propre à tout comportement addictogène, se développe à proportion que l'accès aux jeux d'argent devient plus facile, via internet. Il conviendra de compléter les dispositifs par un travail de prévention, de repérage des addictions et d'organisation des soins.

Une autre priorité consiste à développer un enseignement et une recherche efficaces. De fait, les moyens dont dispose l'addictologie en France sont, par habitant, cent fois moindres qu'aux États-Unis.

Nos propositions devraient, hormis quelques éléments liés aux représentations, et abstraction faite du coût, recueillir l'assentiment des différentes tendances de notre société et pouvoir être reprises dans leur programme par tous les candidats à l'élection présidentielle. Nous sommes parvenus à un moment de l'histoire où nous pouvons envisager un changement de paradigme consistant, d'une manière pragmatique, à centrer la politique sur la réduction des dommages.

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