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Intervention de Bernard Petit

Réunion du 30 mars 2011 à 16h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Bernard Petit, sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière à la direction générale de la police nationale :

Je tiens à votre disposition les organigrammes des services de police judiciaire (hommes et structures), ainsi que le bilan des saisies et celui des interpellations d'usagers et de trafiquants pour les années 2009 et 2010.

Pour ma part, j'ai à connaître de l'activité de plusieurs structures : l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants ; l'Office central de lutte contre le crime organisé ; l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière ; le service interministériel d'assistance technique, en charge des infiltrations dans les réseaux ; le service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique de la criminalité organisée, qui tente de définir des stratégies pour informer les décisionnaires ; la plate-forme d'identification des avoirs criminels.

Dans cette importante activité, assez complexe, l'aspect financier n'est plus jamais détaché de l'aspect criminel. Jusqu'en 2006, un distinguo était opéré entre les enquêtes criminelles et les enquêtes financières ; aujourd'hui, ce n'est plus le cas : elles sont systématiquement simultanées. Cette réforme très importante permet de saisir le patrimoine et les avoirs criminels le plus rapidement possible.

Bien qu'il existe des milliers de produits stupéfiants – rien que pour 2010, quarante nouvelles molécules susceptibles d'être utilisées par des consommateurs ont été détectées et identifiées –, la consommation et le trafic en France restent organisés autour de trois produits phares : le cannabis (herbe et résine), la cocaïne et l'héroïne.

Certes, les drogues de synthèse (ecstasy et dérivés d'amphétamines) sont un sujet de préoccupation et des saisies et des interpellations sont menées. De nouvelles molécules apparaissent tous les jours, commercialisées sur internet par des réseaux très difficiles à identifier, sans compter que celles qui ne sont pas classées rapidement permettent à des gens d'entrer dans la toxicomanie de façon légale ! Néanmoins, d'après les statistiques, les drogues de synthèse n'ont pas le même impact que la cocaïne, l'héroïne et la résine de cannabis.

La France est, en Europe, un marché de consommation de stupéfiants de première importance, estimé entre 2 et 2,5 milliards d'euros. Le premier marché est celui du cannabis : entre 200 et 300 tonnes de résine doivent être acheminées chaque année pour satisfaire la consommation française, ce qui représente une valeur comprise entre 800 millions et 1 milliard d'euros, soit beaucoup d'argent ! La consommation française de cocaïne nécessite d'acheminer de 15 à 20 tonnes par an, pour une valeur estimée à 800 millions d'euros. Enfin, les consommateurs d'héroïne ont besoin de 8 à 10 tonnes par an, soit un marché de 200 millions d'euros.

D'après les études de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, corroborées par celles de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies basé à Lisbonne, la France compte 1,2 million d'usagers réguliers de cannabis et au moins 550 000 usagers quotidiens. Toutes ces données montrent l'ampleur du phénomène.

La France est également un pays de transit. La résine de cannabis part du Maroc, traverse l'Espagne, la France et se propage en Europe, la France et l'Espagne en absorbant une grande quantité au passage.

La France est aussi un pays de transit pour les drogues de synthèse et l'héroïne. Cette dernière provient d'Afghanistan, remonte par la route des Balkans, « tape » en Allemagne, puis « rebondit » aux Pays-Bas où se trouvent les structures commerciales permettant une diffusion dans le reste de l'Europe : le marché britannique en tête, puis la France, l'Espagne, l'Italie, etc. Environ 80 % de l'héroïne consommée dans nos cités et dans le Sud du pays viennent des Pays-Bas et du Nord de la Belgique.

Notre pays permet aussi de faire « rebondir » la cocaïne vers d'autres pays de l'Union européenne, les deux portes d'entrée principales restant l'Espagne et les Pays-Bas.

Produite uniquement par les pays andins – Colombie, Pérou, Bolivie et peut-être une zone en Équateur –, la cocaïne est transportée par voie maritime ou aérienne. Autrefois, elle arrivait d'Espagne d'où elle se répandait dans l'ensemble de l'Europe. Aujourd'hui, grâce aux dispositifs des États, notamment français, un « bouclier » permet d'entraver les arrivées massives. Grâce à la mutualisation des officiers de renseignement que nous avons déployés en Amérique du Sud et à l'antenne de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants créée à Fort-de-France, qui regroupe des gendarmes, des policiers, des douaniers et des marins, nous arrivons à intercepter et à détourner nombre de bateaux de la zone Caraïbe qui avaient vocation à traverser l'Atlantique pour venir chez nous. Le Centre opérationnel d'analyse et de renseignement maritime pour les stupéfiants surveille l'océan Atlantique pour empêcher les bateaux transportant des cargaisons de cocaïne d'arriver chez nous. Ce dispositif est complété par la création de deux nouvelles antennes, à Dakar et à Accra, qui nous aident à « verrouiller » l'Afrique de l'Ouest et le Golfe de Guinée afin de repousser les bateaux le plus loin possible.

Ce « bouclier Caraïbe » produit aujourd'hui ses effets. Mais si la France est bien placée, sur la façade atlantique, pour la lutte contre la cocaïne, avec l'Espagne, le Portugal et la Grande-Bretagne, il n'en est hélas pas de même pour la lutte contre l'héroïne qui provient d'Afghanistan par la route des Balkans. D'où la nécessité d'une solidarité européenne par le biais de partenariats : pour lutter efficacement, il faut partager les responsabilités et les actions de façon organisée.

La forte demande de stupéfiants est aussi un élément de fragilisation de la sécurité intérieure nationale. Le trafic génère énormément d'argent et les groupes criminels se structurent très rapidement. En seulement deux ans, un groupe criminel né du trafic de résine de cannabis atteint une maturité et un développement problématiques qui nécessitent l'intervention, non d'un commissariat ou d'une unité de gendarmerie territoriale, mais d'unités spécialisées.

Je m'arrête sur le bilan des saisies numéraires. En 2010, 39 millions d'euros d'avoirs criminels ont été saisis en France. Cet effort a été consenti par la police et la gendarmerie à parts égales. D'année en année, notre pays améliore ses résultats. Le dispositif est donc dans une phase très performante et va être complété par l'action de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, créée récemment, qui va gérer les biens saisis, notamment immobiliers, ce qui facilitera les saisies auxquelles nous renoncions pour des difficultés de gestion. Nous espérons donc que le montant des saisies augmentera dans les années à venir.

L'internationalisation des trafics est patente. Ils ont changé d'échelle : autrefois, de petites équipes achetaient leur produit en France ou en Espagne où se trouvaient leurs contacts et distribuaient 100 kilogrammes de résine dans une cité ; aujourd'hui, les équipes descendent en Espagne, ont des contacts avec des Français de souche marocaine ou algérienne, voire avec des Colombiens, ce qui leur permet d'accéder à différents produits de qualité satisfaisante et à des prix compétitifs.

J'insiste enfin sur le fait que les pouvoirs publics ne doivent pas se focaliser sur les produits. Certes, le cannabis est un sujet de santé publique et de prévention ; on peut toutefois comprendre que, si l'on a des enfants, trouver une barrette de cannabis n'a pas la même signification que trouver une seringue et un coton ensanglantés. Le débat sur les drogues dures et les drogues douces est légitime, on peut l'entendre. Néanmoins, ce qui compte, ce sont les réseaux criminels qui apportent ces produits chez nous : ces criminels se moquent de notre appréciation du produit et de sa dangerosité, ils trafiquent, ils font de l'argent !

Les trafiquants de cannabis ont progressé et diversifié leurs produits : ils ramènent l'héroïne des Pays-Bas, ils remontent la cocaïne d'Espagne. Mes camarades gendarmes et policiers vous le diront : en Espagne et en France, beaucoup de règlements de compte sont liés au trafic de cannabis. Ces réseaux criminels sont très dynamiques, très organisés et disposent d'une manne financière extrêmement importante. Et comme ils mettent moins de deux ans à se structurer à l'international – à blanchir l'argent, à acheter de l'armement et des faux papiers –, le travail de démantèlement est extrêmement difficile.

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