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Intervention de Jérôme Fournel

Réunion du 30 mars 2011 à 16h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Jérôme Fournel, directeur général des douanes et des droits indirects :

La douane est l'administration chargée de la régulation des échanges de marchandises, ce qui veut dire à la fois faciliter l'accès d'un certain nombre d'entre elles, contrôler les échanges et réprimer ceux qui sont illégaux. Nous sommes donc bien placés pour apprécier la criminalité liée à des marchandises totalement prohibées, comme les stupéfiants, mais aussi à d'autres qui ne le sont pas, comme le tabac. Il n'est pas inintéressant de voir les choses sous cet angle, en particulier pour répondre aux questions relatives aux nouveaux produits synthétiques dérivés de molécules existant à d'autres fins.

La douane se préoccupe depuis longtemps de ces questions. On trouve ainsi dans nos archives des photographies de douaniers dans des champs de pavot en Indochine, au temps où la régie de l'opium était chargée du contrôle de son acheminement et de sa taxation.

Aujourd'hui, la douane saisit en moyenne entre 50 % et 70 % des quantités de stupéfiants saisies par les forces répressives dans notre pays. L'an dernier, cela a représenté 36 tonnes, soit 310 millions d'euros de contre-valeur sur le marché de gros. Les types de stupéfiants sont extrêmement divers. Alors que le trafic était auparavant essentiellement orienté vers le cannabis – nous en avons saisi 27 tonnes l'an dernier et nous sommes parfois allés jusqu'à 50 tonnes par le passé –, nous avons vu augmenter significativement les quantités de cocaïne – plus de 5 tonnes l'an dernier –, d'héroïne, avec des saisies de 400 à 700 kilogrammes ces trois dernières années, ainsi que de produits jusqu'ici peu développés comme le khat et – c'est un phénomène marquant en 2009 et 2010 – de drogues de synthèse : ecstasy et LSD (acide lysergique diéthylamide), mais aussi nouvelles molécules récemment interdites comme la méphédrone, les méthamphétamines, etc.

Nous observons également une diversification des modes d'acheminement. Alors que nos opérations de contrôle portaient traditionnellement sur les poids lourds, les vecteurs sont aujourd'hui bien plus variés : conteneurs – début 2011, près de 800 kilogrammes de cocaïne ont été découverts dans un conteneur arrivant par voie maritime –, véhicules légers, fret express, fret postal, etc.

Les formes de cache et d'organisation sont sophistiquées et mobiles. Outre les convois et les « go-fast », je suis frappé par l'utilisation de plus en plus fréquente de produits industriels, comme des pièces pour les piles de pont, qui sont montées en usine avec de la drogue à l'intérieur, ce qui requiert de grandes capacités d'anticipation et d'investissement. On peut bien sûr voir dans cette inventivité des trafiquants une forme de reconnaissance de l'efficacité de nos services, mais il ne faut pas sous-estimer la dangerosité de ces modes d'acheminement. La semaine dernière encore, un douanier a été tué lors de la poursuite d'un convoi : ces gens ne reculent devant rien !

Face à cela, nous ne disposons plus d'observatoires aux frontières depuis que la Commission européenne nous a demandé de démanteler tous les points de contrôle, ce qui entraîne de facto la création de zones de non-droit lorsque le premier péage se trouve à quelques dizaines de kilomètres. Ces difficultés sont encore aggravées par les possibilités de franchissement automatique des barrières de péage. Tout ceci nous oblige à repenser les modalités du contrôle douanier.

Nous devons dialoguer avec les sociétés d'autoroute et avec un certain nombre d'interlocuteurs pour développer des solutions techniques permettant d'acquérir l'information le plus en amont possible et de modéliser le fonctionnement des trafiquants. Les opérations consistant à monter des « nasses » en bouclant tout un secteur sont fort lourdes. Nous fournissons aussi un important effort pour acquérir en amont, y compris dans les pays étrangers, les renseignements permettant, par exemple, de surveiller les livraisons pour mieux comprendre les circuits.

En intervenant sur des trafics et non auprès des consommateurs, la douane agit au milieu de la chaîne logistique des trafiquants, ce qui permet de saisir des quantités non négligeables et de « taper les trafiquants au portefeuille », mais aussi de remonter les filières.

On avance souvent, en faveur de la dépénalisation, l'idée que l'on supprimerait de la sorte une bonne partie de l'économie souterraine. Mais on voit bien qu'il n'en est rien pour un produit pourtant légal comme le tabac. Les caches, la structure, la complexité et l'organisation des filières de la contrebande de tabac ne sont pas très différentes de ce qui se fait en matière de stupéfiants. L'an dernier, les saisies ont représenté pas moins de 350 tonnes, soit une centaine de millions d'euros. Nos modalités d'intervention – baliseurs, interceptions téléphoniques de sécurité, partenariats internationaux pour le suivi des livraisons – sont, elles aussi, similaires. On constate, là encore, qu'internet et le fret express et postal deviennent des modes de commande et d'acheminement extrêmement fréquents. La différence tient bien sûr à la valeur et aux marges : sur le marché illicite, un gramme de tabac coûte environ 0,15 euro contre 5 euros le gramme de cannabis et 60 euros le gramme de cocaïne.

La polyvalence des organisations criminelles est en outre très forte : les réseaux criminels n'hésitent pas à acheter de la cocaïne à un endroit et à vendre du cannabis à un autre, en fonction des demandes des différents marchés. On n'a pas encore observé une telle porosité entre les stupéfiants et le tabac, mais on sait que les organisations mafieuses comme la Camorra font du trafic de cigarettes, y compris pour se procurer des ressources qu'elles investissent ensuite sur le marché des stupéfiants.

Il apparaît par ailleurs extrêmement difficile d'établir une frontière entre les échanges autorisés et non autorisés, ce que confirment d'ailleurs nos collègues des pays où certains stupéfiants sont dépénalisés : il est par exemple fréquent qu'autour d'un « coffee shop » aux Pays-Bas, se nouent des trafics de produits interdits, voire que le « coffee shop » devienne lui-même une plate-forme. De récents jugements aux Pays-Bas considèrent qu'au-delà d'un certain volume, il ne s'agit plus de l'accompagnement de personnes qui ont besoin d'une prise en charge, mais bien de trafic.

Il n'est pas inintéressant, par ailleurs, de constater que le coût respectif pour la douane de la lutte contre les stupéfiants et de l'accompagnement de l'ensemble de la filière du tabac est assez similaire, de l'ordre de 300 millions d'euros.

Pour améliorer le renseignement, surveiller les livraisons et démanteler les filières, nous avons aujourd'hui un grand besoin de cohérence, tant en interne qu'avec nos partenaires étrangers. L'une de nos grandes difficultés tient à la trop faible harmonisation des règles européennes, en particulier dans la définition des molécules considérées comme produits stupéfiants. Or, les organisations criminelles, dont j'ai souligné la sophistication, sont promptes à s'engouffrer dans de telles brèches.

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