Au préalable, je vous prie d'excuser Mme Christine Lagarde, qui, ne pouvant participer à cette audition, m'a demandé de la remplacer.
Je voudrais également féliciter l'Assemblée nationale d'avoir créé une mission d'information sur un sujet d'une importance majeure pour le Gouvernement et pour l'ensemble de l'économie française. Il est essentiel que tous les acteurs économiques puissent participer à la définition de notre politique économique, en abordant tous les sujets, sans tabou.
Si un consensus semble à notre portée sur le constat, il y aura certainement débat sur les solutions. À cet égard, je salue la contribution que plusieurs syndicats et le patronat ont apportée conjointement, sous la forme d'un document intitulé « Approche de la compétitivité française », dont je partage un certain nombre de conclusions.
Plusieurs études ont mis en évidence un décrochage de la France par rapport à l'Allemagne, en termes de compétitivité et de performances à l'exportation, dans les années 2000. Il convient toutefois de préciser que, si la France a perdu des parts de marché, elle l'a fait à peu près au même rythme que le reste de la zone euro, hors Allemagne.
Si notre compétitivité prix s'est moins dégradée que notre compétitivité coût – sur la période 2000-2008, la première a baissé de 5 %, la seconde de 15 % –, c'est au prix d'un effort important de nos entreprises sur les marges à l'exportation, qui a pesé sur leurs capacités financières ; le recul de 1,3 point du produit intérieur brut (PIB) de la France est à rapporter à la progression de 6,8 points de celui de l'Allemagne. La bonne santé financière des entreprises allemandes leur a probablement permis d'augmenter leurs dépenses en recherche et développement et, plus généralement, d'améliorer leur compétitivité hors prix.
Au fond, en matière de compétitivité, l'exception serait plutôt l'Allemagne. Cette observation ne nous autorise cependant pas à évacuer le problème. Bien que nous disposions de secteurs économiques très dynamiques à l'exportation, comme l'aéronautique, l'agroalimentaire ou le secteur de la santé et de la pharmacie, l'effritement de nos performances dans ces domaines montre que nous avons du pain sur la planche !
Le décrochage de la France par rapport à l'Allemagne s'explique aussi par l'évolution divergente des coûts salariaux. Dans l'industrie manufacturière, le coût salarial horaire est désormais à un niveau quasiment identique dans les deux pays : environ 33 euros en 2008. Mais il faut intégrer dans l'analyse le fait que ces entreprises recourent à des services ; or, dans cette branche, le coût salarial horaire est plus élevé en France – 32 euros – qu'en Allemagne – 26 euros.
Sur la base de ce constat, comment peut-on améliorer la compétitivité de l'économie française ? Il convient de replacer la question dans un contexte plus large.
Le modèle économique allemand a dû faire face, dans les années 1990, au choc de la réunification, qui a provoqué une augmentation des salaires réels beaucoup plus rapide que dans notre pays ; à l'inverse, l'Allemagne a mené, dans les années 2000, une politique de modération salariale. La France a connu une évolution plus conforme à celle de ses autres partenaires économiques.
Par ailleurs, la question du pouvoir d'achat ne peut être balayée d'un revers de la main. Dans notre pays, la consommation a toujours été le moteur de la croissance – y compris dans la période difficile que nous venons de traverser, avec une crise économique mondiale sans précédent. Or, si la divergence des rythmes de progression des salaires en France et en Allemagne a eu des effets négatifs sur notre compétitivité, elle a permis de soutenir durant la crise de 2008-2010 le pouvoir d'achat des ménages français, qui a continué de progresser malgré l'ampleur de la récession mondiale.
Cela est dû, non seulement au plan de relance, dont les mesures ont été ciblées sur les ménages les plus modestes, mais également à la loi de modernisation de l'économie qui a permis à la France d'avoir de meilleurs résultats que l'Allemagne en matière d'évolution des prix. Ainsi, la hausse des prix à la consommation des produits alimentaires est, en glissement annuel, de 0,8 % en France entre février 2010 et février 2011, contre 2,5 % en Allemagne et 2 %, en moyenne, dans la zone euro. Le résultat a été que, durant la crise, le pouvoir d'achat s'est mieux tenu en France que dans le reste de la zone euro, où il était en légère régression.
Il a été émis l'idée d'un transfert de la charge du financement de la protection sociale du travail vers la consommation ; c'est un débat qu'il faut avoir, car, comme je l'ai dit, il ne peut y avoir de sujet tabou. Cependant, le Gouvernement doit prendre en considération le rôle joué par la consommation dans notre pays, ainsi que les attentes de nos compatriotes en matière de pouvoir d'achat. Une augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée provoquerait obligatoirement une hausse des prix, ce qui aurait un impact négatif sur le pouvoir d'achat des ménages. Dans le contexte actuel, marqué par un risque inflationniste lié au contexte international, il ne me semble pas opportun de s'engager dans cette voie.
Par ailleurs, avec l'adoption du projet de loi de finances rectificative, nous venons d'achever une longue séquence dominée par d'importantes réformes fiscales et sociales. Nos entreprises aspirent à la stabilisation de leur cadre d'activité – c'est une demande récurrente de leur part. Il convient de ne pas changer en permanence les règles du jeu. En outre, plusieurs dispositions incluses dans la réforme de la fiscalité du patrimoine concourront au renforcement de la compétitivité de notre économie.
En premier lieu, le Gouvernement a veillé à répondre au besoin de financement des petites et moyennes entreprises, ainsi qu'à la nécessité de renforcer leurs fonds propres et de stabiliser l'actionnariat familial, de manière à éviter les délocalisations. L'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été en grande partie responsable du départ de certaines de nos entreprises hors du territoire national, de leur vente, ou de leur faible croissance, faute d'investissement suffisant – autre différence avec le système économique allemand. C'est pourquoi nous avons décidé de laisser inchangé le dispositif de réduction de cet impôt pour souscription au capital d'une PME – qui a permis près d'1,4 milliard d'euros d'investissements dans les petites et moyennes entreprises en 2010 –, tout en allégeant le barème de l'ISF.
Par ailleurs, nous avons assoupli le régime des « pactes Dutreil », qui prévoit, en cas de signature d'un engagement de conservation des titres d'une société, une exonération de 75 % des droits de succession ou de donation, ainsi que de l'impôt de solidarité sur la fortune applicable aux titres concernés : l'entrée de nouveaux actionnaires dans les pactes sera facilitée et les avantages fiscaux seront maintenus en cas de sortie d'un actionnaire.
La suppression de la taxe professionnelle, impôt antiéconomique dont les bases risquaient de s'effriter à moyen terme, et son remplacement par un financement plus stable et plus dynamique contribueront également à améliorer la compétitivité de nos entreprises. Cette réforme sans précédent, qu'aucun gouvernement n'avait osé entreprendre, a été saluée par le Fonds monétaire international, par l'Organisation de coopération et de développement économique et par la Commission européenne. Elle permet d'alléger de quelque 4,7 milliards la charge fiscale globale des entreprises, en priorité au bénéfice des PME et des entreprises industrielles, avec des allégements de charges allant jusqu'à 40 % voire 60 % dans certains secteurs.
En lançant la révision générale des politiques publiques (RGPP), le Président de la République souhaitait simplifier et réorganiser notre administration. Dès que j'ai été nommé, j'ai décidé d'instituer, dans chaque département, un « correspondant PME » – à qui j'ai demandé de réaliser un stage en entreprise –, et j'ai lancé des « Assises de la simplification » ; inutile de vous dire que les premières réunions ont provoqué quelques sourires ironiques chez les acteurs économiques : le coup de la simplification, on leur avait déjà fait plusieurs fois ! Et pourtant, je n'ai pas sorti des projets tout faits des tiroirs de l'administration : les quatre-vingts décisions qui ont été présentées le 29 avril dernier répondent vraiment aux attentes des acteurs Elles résultent d'une démarche nouvelle, à laquelle ont été associés tant le Parlement que le secteur économique. D'ailleurs, le président Jean-Luc Warsmann – à qui le Président de la République a confié une mission de simplification – et M. Jean-Michel Aulas ont coprésidé ces assises. Bref, le 29 avril, les acteurs économiques n'arrivaient pas à y croire : on annonçait enfin des mesures qu'ils réclamaient en vain depuis des années !
Il m'est impossible de toutes les citer. Une circulaire, parue il y a quelques jours, prévoit qu'à partir du 1er octobre prochain, les textes réglementaires concernant les entreprises n'entreront en vigueur que deux fois par an, le 1er janvier et le 1er juillet ; alors que, lors des discussions interministérielles, cette mesure s'était initialement heurtée à une opposition, tout le monde s'y est finalement rallié et travaille à la rendre applicable au jour dit ! Les acteurs économiques et les salariés se plaignaient de ne rien comprendre aux bulletins de paye : à partir du 1er janvier prochain, leur nombre de lignes sera divisé par deux. Au titre des investissements d'avenir, on étudie la mise en place d'une « armoire sécurisée numérique », qui permettra aux acteurs économiques de ne donner qu'une fois par an des informations sur leur entreprise. Enfin, la déclaration sociale nominative permettra de remplacer les trente déclarations différentes aujourd'hui requises.
Toutes ces dispositions permettront d'améliorer la compétitivité de notre économie, notamment par rapport à l'Allemagne. À l'occasion de ces Assises, de nombreux acteurs économiques m'ont signalé que la transposition des directives européennes était souvent plus compliquée en France qu'en Allemagne. Il serait bon de renforcer la cohérence entre les pays européens dans ce domaine.
Au total, le cabinet Ernst & Young estime que ces mesures permettront de rendre aux acteurs économiques l'équivalent de 1 milliard d'euros ; chaque fois que l'on supprime une déclaration sociale, cela représente une économie de 27 millions d'euros pour le secteur concerné !
On pourrait évoquer aussi le crédit d'impôt recherche, qui, dans toutes les enquêtes, est cité comme la première source d'attractivité de la France. Les entreprises allemandes ont pu investir dans la recherche et le développement grâce à leurs marges élevées. Nous, nous avons décidé de mettre en place un crédit d'impôt de 30 % des dépenses de recherche et développement jusqu'à 100 millions d'euros, et de 5 % au-delà de ce montant ; les entreprises entrant pour la première fois dans le dispositif bénéficient d'un taux de 40 % la première année, puis de 35 % la deuxième année. Cette mesure a eu des effets significatifs sur le niveau d'investissement en recherche et développement ; comme 1 euro investi génère une augmentation de 2 euros du produit intérieur brut dans un délai de quinze ans, elle contribue à créer des emplois, du pouvoir d'achat et des ressources pour les collectivités publiques. En 2008, 3 000 entreprises ont bénéficié du dispositif, dont 60 % n'avaient pas d'activité de recherche et développement auparavant. Les PME, qui représentent les deux tiers des nouveaux entrants, sont les principales bénéficiaires de la réforme. L'Allemagne commence d'ailleurs à s'intéresser à cet outil.
Avec le Grand emprunt, le Gouvernement a là encore fait le choix d'investir dans l'avenir, ce qui pouvait paraître risqué au moment de la crise. La contribution de l'État s'élève à 35 milliards d'euros, mais, si l'on tient compte du secteur privé, ce sont au total 60 milliards d'euros qui seront investis, parfois dans l'humain, massivement dans le numérique, dans le développement durable, et, plus généralement, dans tout ce qui concerne la recherche et l'enseignement supérieur. Cela aussi peut contribuer à réduire l'écart de compétitivité avec l'Allemagne.
Nous avons eu raison d'aller jusqu'au bout de la réforme des retraites : l'INSEE l'a montré, il s'agit d'un facteur de compétitivité pour notre pays. Nous ne pouvions pas regarder nos voisins allemands faire des réformes sans réagir ! L'INSEE table aujourd'hui sur une augmentation continue de la population active jusqu'en 2060, alors que les projections précédentes prévoyaient une stagnation.
Enfin, il est essentiel de parvenir à une meilleure maîtrise de la dépense publique, comme les ministres du budget successifs s'y sont employés. Le désengagement de l'État est un facteur important d'amélioration de la compétitivité de notre économie.
J'espère vous avoir convaincu qu'il existe de multiples leviers permettant de réduire l'écart de compétitivité existant entre la France et l'Allemagne – qui est le meilleur élève de la zone euro. Soyez assurés que, depuis quatre ans, le Gouvernement s'applique à tous les utiliser.