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Intervention de Bernard Boubé

Réunion du 6 avril 2010 à 20h00
Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe a

Bernard Boubé, préfet et ancien directeur de l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, éPRUS :

Je serai plus bref que prévu puisque je suis auditionné après M. Didier Houssin et Mme Françoise Weber. C'est en tant qu'ancien spécialiste de la planification de crise que j'ai suivi les événements relatifs à la pandémie, les réactions qu'elle a suscitées et les décisions qui ont été prises.

Je tiens en premier lieu à vous faire part de l'expérience frustrante que j'ai vécue lors de la constitution de l'ÉPRUS, fin août 2007, jusqu'à juin 2008, période très courte mais riche en événements de toutes sortes, du moins en ce qui me concerne.

Cette période, que je considère comme un échec, est d'abord l'histoire du rejet d'une greffe par un organisme – la DGS, voire le ministère de la santé – qui n'en éprouvait pas le besoin.

J'ai eu l'occasion de présenter, devant la commission des finances du Sénat, le déroulement des événements : le rapport provisoire de l'été 2009 fait clairement apparaître les causes de dysfonctionnement et les insuffisances de l'ÉPRUS, structure condamnée par son administration de tutelle à un rôle subordonné interdisant toute perspective de progrès. Du reste, le rapport du Sénat s'interrogeait sur sa pérennité.

Certaines des difficultés les plus graves qui ont justifié mon départ de l'ÉPRUS ont trouvé des solutions, parfois tardives, qui ne sont pas toutes satisfaisantes. Je pense notamment à l'installation pérenne du siège de l'ÉPRUS au début de l'année 2009, à la révision de son statut juridique au regard de son activité pharmaceutique par un décret d'août 2008 et, consécutivement, à l'ouverture, en avril 2009, d'un établissement pharmaceutique.

L'ouverture de cet établissement était particulièrement importante puisqu'elle conditionnait l'exécution des missions que la loi avait confiées à l'ÉPRUS s'agissant notamment de l'acquisition, du stockage et de la distribution de produits relevant des protections édictées par le code de la santé – le monopole pharmaceutique, pour faire bref.

Le rapport du Sénat indique que les relations entre la DGS et l'ÉPRUS ont été formalisées par une convention. N'en ayant pas connaissance, il m'est difficile de l'apprécier. Le fait que la DGS et moi-même, en tant que directeur de l'ÉPRUS, n'ayons pas eu la même conception de nos rapports a été une des raisons principales des difficultés rencontrées. En dépit de mes propositions réitérées, nos rapports n'ont fait l'objet d'aucune tentative d'organisation.

En revanche, l'organisation des rapports de l'ÉPRUS avec le service de santé des armées, selon les modalités que je souhaitais présenter au conseil d'administration de juin 2008 – conseil annulé en raison de mon départ –, constitue une évolution favorable. La sécurité des stocks concernés est désormais mieux prise en compte. Je ne suis pas certain que ce soit le cas de tous les produits.

D'autres difficultés provenaient de mauvaises pratiques, d'erreurs et de routines sur le plan administratif, que je voulais écarter d'un établissement public créé par le législateur en vue de professionnaliser la logistique de crise sanitaire. Elles portaient à la fois sur les modalités de transfert des marchés par la DGS, la gestion des stocks et la constitution d'une réserve de professionnels de santé, laquelle, malheureusement, en était encore à l'état de projet lorsque je suis parti, en dépit des efforts que l'ÉPRUS avait fournis afin de la mettre en place.

De fait, les blocages que j'ai rencontrés lors de la mise en route de l'ÉPRUS, ainsi que pour assurer la sécurité de l'établissement au regard du code de la défense, ne m'ont pas permis de mener à bien la mission qui m'avait été confiée. C'est la raison pour laquelle j'ai quitté mes fonctions. Certains de ces blocages, je l'ai dit, appartiennent au passé, mais ce n'est pas le cas de tous.

Il est vrai que la loi du 5 mars 2007 présentait quelques ambiguïtés, qui en rendaient l'application difficile. C'est ainsi que le texte ne précisait pas la nature juridique et la domanialité des stocks de produits de sécurité. Ces stocks sont conjointement financés par les budgets de l'État et de l'assurance maladie, qui alimentent à parts égales le budget de l'ÉPRUS. Ils sont acquis par l'ÉPRUS sur demande du ministre chargé de la santé, mais sur le budget de l'établissement, qui dispose de l'autonomie financière. S'ils sont conservés sous la responsabilité de l'ÉPRUS, ils sont délivrés aux autorités sanitaires d'emploi sur ordre du ministre. S'agit-il dès lors de stocks d'État ou de l'ÉPRUS ? Doivent-ils être intégrés dans la comptabilité patrimoniale de l'État ou dans celle de l'ÉPRUS ? Faut-il distinguer les régimes juridiques des stocks constitués par l'État avant la création de l'ÉPRUS et des stocks qui sont constitués par l'ÉPRUS à la demande de l'État ?

La DGS et moi-même n'avions pas la même position en la matière. Je tiens à rappeler que c'est la mienne qui a été confirmée par la Cour des comptes. Il n'en reste pas moins que des sujets aussi importants que la présentation des comptes, la préparation de certains appels d'offre ou la prise en charge des stocks, que je souhaitais formaliser par une convention de transfert, puisque l'ÉPRUS risquait d'en devenir le responsable en tant que personne morale, et non pas simplement comme un établissement se livrant à une activité d'État, soulevaient de nombreuses questions, qui devenaient plus sensibles au fil des mois. Il en était de même du contrôle de la conservation de ces stocks chez les prestataires.

Enfin, la conception de la loi relativement au corps de réserve sanitaire me paraît quelque peu restrictive : l'expérience de la lutte menée contre le virus de la grippe A (H1N1) confirme l'intérêt d'un élargissement de cette conception, pour en faire, à l'exemple des réserves militaires, un corps beaucoup plus large, répandu sur le territoire, qui pourrait, tout d'abord, servir à tester nos réactions en termes de mobilisation, ou du moins de sensibilisation, ce qui nécessiterait la prise en charge sur fonds publics de formations et d'échanges techniques, appelés à devenir opératoires le moment venu. Ces canaux permettraient également de prendre le pouls du terrain et de redresser d'éventuelles erreurs de communication.

Telle est l'expérience que j'ai vécue à l'ÉPRUS. Ma tutelle et moi-même ne partageons évidemment pas le même point de vue sur la façon dont les événements se sont déroulés.

En ce qui concerne la pandémie, il est vrai qu'une des questions posées par l'opinion est celle de la qualité du plan de crise et, plus généralement, d'une préparation dont les autorités publiques se prévalaient avec constance avec un haut niveau de satisfaction. Je n'ai pu porter qu'un regard extérieur, puisque je ne suis plus directeur de l'ÉPRUS depuis juin 2008. Comme vous l'a indiqué Mme Françoise Weber, en dépit d'une observation attentive et de la mobilisation de tout le savoir scientifique, nous n'avons pas toujours connu la situation avec exactitude. Or, ces incertitudes n'ont pas été sans conséquences. L'InVS rappelle les différences considérables entre les estimations des réseaux GROG (groupes régionaux d'observation de la grippe) et Sentinelles au 13 décembre 2009, c'est-à-dire au pic de l'infection : elles allaient de 6,7 à 12 millions de cas et, au total pour l'InVS, de 8 à 15 millions. Ce fait est préoccupant puisqu'il indique qu'on ignore ce qui s'est exactement passé. De même, s'agissant du traitement des malades, on a ressenti un flou certain entre, d'une part, les déclarations officielles et, d'autre part, la façon dont les médecins ont pris en charge leurs patients.

La distinction avec la grippe saisonnière a parfois été assez longue à apparaître et des qualifications contrastées ont affecté le phénomène – on a ainsi évoqué une « grippette ». Quant aux cas de surinfection, nous ne les connaissons avec certitude que pour les patients hospitalisés, mais moins bien pour l'ensemble des personnes atteintes par le virus. Nous ignorons de ce fait l'état réel des malades guéris et le nombre de ceux qui conservent des séquelles respiratoires. S'il est vrai que le quart de la population a été affecté, nous obtiendrons bientôt des réponses à toutes ces questions.

Par rapport aux prévisions du plan, il est vrai que de nombreux sujets n'ont pas été défrichés, compte tenu de la situation réelle de la pandémie. En ce qui concerne les mesures barrières, les fermetures d'écoles n'ont eu que peu d'effets puisque, dans de nombreux endroits, aucun dispositif d'isolement des enfants n'était prévu. Les parents n'ont donc pas pu y recourir dans tous les cas. Quant à la surveillance des voyageurs, elle a été très vite réduite après avoir concerné principalement le Mexique – cette réduction n'est du reste pas propre à la France. Par chance, le virus a tardé à se répandre dans notre pays. Le plan recommandait l'usage de masques de protection et des stocks considérables ont été constitués ; or ces stocks n'ont pas été utilisés. Est-ce dû à la péremption des stocks anciens, au retard dans les renouvellements autorisés par la loi de finances au printemps 2009 ou à la crainte que les salariés et la population ne refusent de se soumettre à la contrainte, mal comprise, de l'usage du masque en public ? Je n'ai toujours pas de réponse à ces questions.

Quant aux antiviraux, il est vrai qu'ils ont montré leur efficacité lorsqu'ils ont été administrés, c'est-à-dire dans les hôpitaux. Au dehors, tout dépendait de la pratique des médecins traitants, qui, pour la plupart, ont utilisé d'autres dispositifs, lesquels, il est vrai, leur avaient été recommandés au début de la pandémie. Ils ont pu ainsi se rendre compte que le paracétamol traitait avec efficacité la plus grande partie des patients atteints. Ce n'est que tardivement que l'usage plus systématique des antiviraux leur a été recommandé.

Fallait-il recourir au système centralisé de vaccination ? Les explications en la matière sont toutes pertinentes. Il n'en reste pas moins que la situation a créé dans l'opinion publique un hiatus important avec les autorités sanitaires, d'où la création de votre commission d'enquête. C'est sans doute le point majeur sur lequel des efforts doivent porter afin de rétablir une relation de confiance, fondée sur la transparence et l'écoute, relation sur laquelle, à juste titre, le plan de crise insistait. Il importe de réduire la méfiance, encore vive, de la population à l'encontre des autorités sanitaires et des experts.

Les difficultés rencontrées lors de la crise proviennent moins du plan lui-même, qui reste bon dans son principe, que de l'usage qui en a été fait. Comme celle de 1976, plus encore que celle de 1968 et 1969, la pandémie « avortée » de 2009 a été provoquée par un virus qui a manqué de franchise. Sa virulence s'est atténuée après son apparition spectaculaire au Mexique, prenant à contre-pied un grand nombre d'autorités sanitaires. Nos plans ont été à l'origine conçus pour une pandémie agressive et un virus meurtrier, et cette dangerosité imprégnait sans doute les esprits, ce qui n'a pas manqué d'influer sur les décisions. Il est souhaitable que la prochaine version du plan reflète davantage la réalité nuancée des pandémies, ce qui permettrait de mieux contribuer au traitement de la crise à venir – il en arrivera forcément une. Il convient, à cette fin, que les causes profondes des difficultés rencontrées aient été préalablement reconnues et traitées.

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