- Merci.
Je suis très honoré de pouvoir apporter ma contribution à un débat particulièrement essentiel pour la bonne démarche de vie dans notre société et qui comporte d'énormes enjeux de toute nature.
Vous mettez l'accent, dans le cadre des objectifs de votre mission, sur les problématiques de consommation et d'usage. On voit bien qu'il existe des possibilités, à travers l'usage des stupéfiants, d'une déstructuration considérable des individus et des groupes de personnes, collectivités familiales et autres.
Il y a également derrière cela des questions d'avoirs illicites rassemblés entre des mains qui n'hésitent pas à les utiliser dans le contexte de réseaux criminels voire, plus largement, de financement du terrorisme.
Il s'agit là d'un enjeu essentiel. Je suis venu accompagné de l'avocat général Philippe Lagauche, qui exerce, au sein du parquet général de Paris, des fonctions d'avocat général central en suivant au quotidien tous les problèmes d'actions publiques émanant des neuf parquets du ressort de la Cour d'appel.
Le parquet général de Paris a une responsabilité sur Paris intra-muros ainsi que sur huit autres tribunaux de la grande région parisienne, dans des départements particulièrement sujets à des problématiques du type de celles qui nous préoccupent : la Seine Saint-Denis – Bobigny - le Val de Marne – Créteil - l'Essonne – Evry - la Seine et Marne - Meaux, Melun et Fontainebleau. Par les miracles de la carte judiciaire, nous avons également un regard sur l'Yonne, avec les tribunaux de Sens et d'Auxerre.
Cependant, nous n'avons pas de responsabilité sur les départements regroupés au sein de la Cour d'appel de Versailles –Yvelines - ni sur les Hauts de Seine – Nanterre - le Val d'Oise – Pontoise - et l'Eure-et-Loir - Chartres.
Nous avons malgré tout à coeur, avec mon collègue procureur général de Versailles, de travailler de manière cohérente sur l'ensemble de l'Ile-de-France, dans le cadre des groupes de travail amenés à s'intéresser à des problématiques diverses et notamment à tout ce qui a trait aux diverses formes de délinquance et de criminalité en Ile-de-France.
Nous nous trouvons en présence d'une problématique qui a connu une évolution considérable depuis les années 1970. Je me souviens, pour avoir exercé mes premiers pas dans la magistrature à la fin des années 1970, qu'on trouvait alors dans les parquets un ou deux magistrats chargés des problèmes de toxicomanie. C'était relativement délimité.
Malheureusement, depuis une trentaine d'années, la drogue et les stupéfiants se sont immiscés un peu partout dans les préoccupations des magistrats et des policiers s'agissant des questions touchant à la délinquance.
Nous avons, face à ce phénomène diffus mais marqué, tenu à nous organiser pour apporter des réponses aux différentes manifestations du phénomène.
Tout d'abord, une réaction très forte et très ferme s'est exercée vis-à-vis de toutes les formes de trafic. Le trafic de stupéfiants constitue toujours aujourd'hui un des éléments très importants de l'activité juridictionnelle en matière de lutte contre le crime organisé. Depuis 2004, l'institution des juridictions interrégionales spécialisées nous permet, en découpant le territoire français en huit, d'avoir une approche plus professionnelle de ce phénomène et, plus généralement, de toutes les manifestations du crime organisé - trafics d'armes, d'êtres humains, etc.
Singulièrement, les trafics de stupéfiants constituent toujours un des éléments essentiels du champ de travail couvert par ces juridictions spécialisées. La JIRSP, Juridiction interrégionale spécialisée de Paris, a une compétence sur les cours d'appel de Paris, de Versailles, d'Orléans et de Bourges. Cela nous amène à couvrir, au-delà de l'agglomération parisienne, tout ce qui se situe au-dessus de cette dernière, jusqu'au centre de la France.
L'expérience a montré que ce travail permettait une analyse beaucoup plus en profondeur des trafics. Bien sûr, ceux-ci proviennent de régions que nous connaissons bien. On sait que les trafics de cannabis remontent essentiellement du Sud, de l'Espagne et en bonne partie du Maroc. La cocaïne nous vient d'Amérique du Sud, également par l'Espagne.
D'autres voies, plus récentes, viennent de certaines parties du Sud de la Méditerranée. L'Atlantique étant fortement surveillé, l'Afrique de l'Ouest est devenue un lieu de passage. On constate également une recrudescence des trafics d'héroïne et de cannabis en provenance des Pays-Bas et du port de Rotterdam.
Si j'évoque très sommairement les routes de la drogue, c'est pour dire que l'approche en profondeur manifestée par la JIRS de Paris nous permet de mieux traiter ce type de problèmes. Des voitures « go fast » empruntent l'autoroute A 10 et traversent la région d'Orléans. On s'est rendu compte qu'il existait des points de stockage à une centaine de kilomètres de l'agglomération parisienne, sur le ressort de la Cour d'appel d'Orléans. Ces points de stockage peuvent servir à alimenter des grossistes qui interviennent sur tel ou tel point de l'agglomération parisienne.
On a ainsi enregistré, l'année dernière, une importante saisie dans les environs de Chartres. Il est important d'avoir une vision élargie qui corresponde à celle que la police a su mettre en place avec les directions interrégionales de police judiciaire.
Ce constat à propos de la grande agglomération parisienne se retrouve dans toutes les JIRS de France. J'ai pris la responsabilité du parquet général de Paris en mars 2010. J'étais auparavant procureur général à la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ; nous avions la même vision en profondeur des trafics de drogues qui traversent la Méditerranée : bateaux « go fast » au départ des côtes marocaines, voitures transitant de l'Espagne en direction de l'Italie, etc. Certains véhicules utilisaient très souvent nos autoroutes sans que ce soit spécialement pour le marché français.
Les schémas de grossistes se retrouvent également dans certains quartiers Nord de Marseille, où il existait des sortes de grandes supérettes de la drogue avec des points de stockage à quelques dizaines de kilomètres, dans le Vaucluse ou d'autres endroits.
Ce schéma d'organisation de la drogue rejoint donc des fonctionnements que l'on retrouve dans la vie commerciale et dans la vie des entreprises, permettant d'approvisionner tel ou tel quartier en flux tendu, d'où l'importance de notre travail concernant les juridictions interrégionales spécialisées. La JIRS de Paris accueille ainsi régulièrement des procédures émanant d'Orléans ou de Bourges.
L'essentiel des trafics poursuivis donne lieu à des investigations sur des constatations effectuées en région parisienne. Dans ces dossiers, nous voyons apparaître beaucoup d'affaires concernant le cannabis provenant du Nord de la France ou du Sud de l'Espagne, ainsi que de la cocaïne. La cocaïne correspond à un marché incontestablement en progression ; sur les trafics de drogues actuellement traités dans le cadre de la JIRS de Paris, une petite moitié concerne la cocaïne. Il s'agit donc d'affaires assez emblématiques de ces préoccupations…
Les saisies sont considérables ; la police, la douane, la gendarmerie procèdent à de très nombreuses investigations. Au cours de l'année 2010, on a ainsi saisi treize tonnes de cannabis, 627 kilos de cocaïne et 54 kilos d'héroïne. Ce schéma apparaît très préoccupant mais illustre aussi l'efficacité du travail mené par les services d'enquête.
Vous le savez sans doute, les services se sont aujourd'hui spécialisés, avec par exemple la mise en place de groupes d'intervention régionaux, les GIR. Il s'agit de services d'enquête qui ne se contentent pas d'interpellations, d'arrestations et de saisies, mais qui essayent également de mener des investigations sur les avoirs financiers provenant de trafics et procèdent ainsi à un travail en profondeur, avec l'appui de policiers, de gendarmes ou de douaniers mais également d'agents des impôts et d'inspecteurs du travail, tous fonctionnaires susceptibles d'avoir une vision élargie du phénomène.
Le trafic représente un défi constant à relever mais on ne peut passer par pertes et profits le travail considérable qui, contrairement à des propos parfois désabusés que l'on entend, débouche sur des résultats dont je viens de donner quelques illustrations.
La JIRS doit ensuite poursuivre le travail, notamment dans le contexte international. Il serait séduisant de pouvoir remonter davantage en direction des têtes de réseaux. Cela passe par un travail international, et la JIRS de Paris est sans doute mieux armée pour le conduire que des tribunaux disséminés.
Nous avons évidemment à faire face à des problématiques plus proches du terrain mais aussi des revendeurs de quartier. Ce sont là des questions intéressant l'usage et la consommation, qui sont l'un des grands sujets qui vous préoccupent dans le cadre de cette mission.
Nous avons là deux types de politique, l'une concernant les dealers qui sont très proches des usagers et des consommateurs. J'évoquais le problème des nourrices et des appartements qui servent à dissimuler les différentes formes de revente. Il est clair que, lorsque nous arrivons à identifier ce type de comportement, nous restons sur un registre de fermeté totale. La recherche porte sur les éléments de preuves susceptibles d'être mises en avant pour convaincre les auteurs de ces faits de revente.
Nos poursuites vont très souvent donner lieu à des procédures rapides, comme les comparutions immédiates ou, dans les cas les moins graves, la convocation par un officier de police judiciaire. Le plus souvent, en présence d'actes de la nature de ceux que j'évoquais, on procède à des poursuites dans le cadre des comparutions immédiates qui pourront déboucher, en fonction des circonstances, sur plusieurs années de peine d'emprisonnement à l'encontre des revendeurs.
Le dispositif voulu en 2004 prévoit que, face à un trafic de drogue d'une certaine importance quantitative et qualitative, l'information établie par la police judiciaire doit être double. Celle-ci, en cas de trafic de stupéfiants en Seine Saint-Denis, par exemple, va aviser le procureur de la République de Bobigny - juridiction compétente - mais également le parquet de Paris en tant que procureur de la JIRS couvrant tout le ressort de la grande agglomération parisienne jusqu'à Orléans et Bourges.
Un échange a alors lieu entre les juridictions de Paris et de Bobigny ; si l'on se rend compte que l'affaire peut conserver une dimension locale, elle restera à Bobigny. Si elle représente une certaine complexité, revêt une dimension internationale ou constitue une saisie importante de fonds, la JIRS de Paris se saisira de l'affaire. La liaison se fait donc au stade de l'enquête.
Il peut même se faire que la JIRS de Paris prenne les affaires les plus complexes et laisser le cas échéant certains revendeurs à la compétence du tribunal local pour ne pas trop surcharger inutilement une procédure qui, pour la JIRS, doit présenter certains critères. L'affaire sera poursuivie sur le terrain de la comparution immédiate ; des saisies d'argent, de drogues, de voitures vont pouvoir être opérées. Celles-ci sont importantes.
Le troisième élément auquel nous sommes extrêmement attentifs concerne l'usager. J'ai tenu à distinguer ces trois niveaux car nous ne sommes pas en présence d'un raisonnement identique. C'est l'évidence mais encore faut-il le rappeler. S'agissant des problèmes de drogues, on simplifie parfois les choses. Ce n'est pas parce que l'usager de cannabis encoure une peine d'emprisonnement qu'on le met en prison.
Les parquets de l'Ile-de-France qui entrent dans le ressort de la Cour d'appel de Paris dont j'ai la responsabilité sont organisés suivant des fonctionnements cohérents qui se retrouvent à peu près partout. Il existe des nuances mais aussi une ligne directrice. Il faut se méfier de la notion de drogues dures et de drogues douces, quelque peu fluctuante ; toutefois, en présence d'usagers ou de consommateurs de cannabis, d'herbe, etc., le parquet réserve une suite lorsque l'infraction est constatée.
Ces procédures ne seront pas simplement classées sans suite. En fonction des circonstances, de la gravité des faits et de la consommation, la réponse qui va être apportée peut prendre plusieurs formes. La forme la plus légère est le rappel à la loi. On pourra se contenter d'adresser une sorte d'avertissement à une personne sur qui on a retrouvé une petite quantité de drogue, en lui indiquant de se conformer à la loi. Cet avertissement demeure dans les fichiers du parquet. On notifiera à l'usager qu'il n'y a pas de suite pour cette fois mais qu'il pourrait y en avoir en cas de réitération.
Ce rappel à la loi sera le plus souvent assuré par un délégué du procureur. Ce sont des personnes qui ont été habilitées par le procureur de la République. Ce peut être d'anciens policiers, d'anciens professeurs de l'éducation nationale, toutes sortes de personnes qui manifestent un intérêt pour ce type de choses et qui s'engagent dans le travail de médiation pénale. Ce rappel à la loi peut être le cas échéant effectué en maison de justice et du droit.
Le second type de réponse aux cas les plus simples consiste à solliciter l'intéressé afin qu'il se soumette à un stage de sensibilisation aux dangers de la drogue. Ces stages sont organisés le plus souvent dans le contexte associatif. Il existe des associations qui s'investissent dans le domaine de la prise en charge des toxicomanes et qui sont en mesure de mettre sur pied des stages de sensibilisation à la drogue et à ses dangers. Ces stages sont le plus souvent payants, dans des gammes de prix oscillant entre 100 et 250 €, le maximum étant celui prévu pour les contraventions de troisième classe, soit 450 €.
L'autre alternative à la poursuite peut être mise en oeuvre par la procédure dite de la composition pénale, procédure qui consiste à inviter une personne à procéder à un certain nombre d'actes : contacter un médecin, payer une amende, effectuer certains travaux si cela s'avère nécessaire.
Qu'il s'agisse du rappel à la loi, de la composition pénale ou de l'invitation à suivre un stage, le parquet laissera le dossier ouvert pendant le temps durant lequel les prescriptions doivent être assurées. Si les choses se déroulent normalement, on aura un classement sans suite mais un classement sans suite peut toujours être repris par le parquet, notamment en cas de renouvellement d'une infraction.
S'agissant des drogues dites « dures » - héroïne, cocaïne - on aura davantage recours à des dispositifs fondés sur l'injonction de soins. Le parquet, via le délégué du procureur le plus souvent, va inviter le toxicomane à se présenter auprès d'un médecin coordonnateur, comme le prévoit la loi de 2007. La prise en charge médicale sera dès lors plus lourde et plus prégnante. Si la personne se soumet à cette injonction de soins, on pourra déboucher sur un classement sans suite au bout d'un certain temps.
Que se passe-t-il en cas de réitération à la suite des classements ou lorsque les mesures prescrites ne sont pas suivies d'effet ? Dans ce cas, une poursuite peut être engagée. Il s'agit souvent d'une poursuite dans le contexte de l'ordonnance pénale, donc d'une procédure très simplifiée. L'ordonnance pénale implique l'engagement de l'action publique, l'interruption de la prescription et débouche sur des sanctions à caractère pécuniaire.
L'autre possibilité de poursuite consiste à aller devant le tribunal correctionnel et à solliciter une peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, ce qui est plus contraignant : on retrouve là des obligations de soins, de prise en charge et la nécessité de pointer régulièrement au commissariat. Ce mécanisme se déroule sur plusieurs années. On s'assurera de la sorte que la personne respecte les prescriptions mises à sa charge.
En cas de non-respect des prescriptions, la sanction tombe et le sursis de mise à l'épreuve sera révoqué par le juge d'application des peines. Cela peut se faire pour un temps, quitte à entrer dans un autre schéma…