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Intervention de Paul Louchouarn

Réunion du 1er juin 2011 à 16h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Paul Louchouarn :

- Deux aspects sont importants en la matière. Le premier est le risque de trafic qui concerne avant tout la résine de cannabis et, de façon beaucoup plus marginale l'héroïne ou la cocaïne. Le second est celui de la prise en charge de l'addiction qui constitue un point commun entre l'alcool, les drogues dures et, dans une moindre mesure, la résine de cannabis car je n'ai pas le sentiment que les responsables de santé sont fortement mobilisés par ce dernier type d'addiction.

L'existence potentielle de trafic à l'intérieur de l'établissement, du fait du phénomène d'introduction et de consommation de produits stupéfiants, est une réalité à laquelle nous sommes confrontés ; elle a des influences sensibles sur les phénomènes de violence dans l'établissement.

Il s'agit avant tout de trafic de résine de cannabis. Comment entre-t-elle dans un établissement pénitentiaire ? Différents vecteurs sont possibles. Le plus évident réside dans l'introduction de produits stupéfiants par les familles à l'occasion des parloirs. Cela peut paraître surprenant, le principe voulant que toute personne ayant eu un contact avec la famille au parloir fasse l'objet d'une fouille intégrale à la sortie. L'expérience démontre en fait que les fouilles peuvent être faites sérieusement ou de façon plus approximative.

Il existe une résistance potentielle des détenus face au fait de se déshabiller et de laisser voir des parties intimes de leur anatomie. C'est une situation qui n'est pas facile à gérer pour le personnel et qui peut parfois donner lieu à des moments de faiblesse de la part des agents. Si les détenus s'en aperçoivent, ils feront entrer les produits en se les scotchant à des endroits où ils sont à peu près certains que les agents n'iront pas regarder.

Même si on peut se louer du sérieux du travail des agents, l'expérience prouve que cela ne règle pas le problème : si les agents font correctement leur travail et que les détenus ont le sentiment que quoi que ce soit de visible sur le corps ne pourra passer, ils utiliseront d'autres moyens contre lesquels les agents ne peuvent lutter : ingestion puis évacuation par les voies naturelles et tri en cellule ou introduction dans l'anus.

Par ailleurs, toutes les personnes entrant dans un établissement pénitentiaire - enseignants, personnels soignants, étudiants du GENEPI, concessionnaires des ateliers - peuvent faire pénétrer des produits stupéfiants d'autant que les moyens de détection à l'intérieur de l'établissement concernent avant tout les masses métalliques.

Le troisième vecteur auquel on pense le moins est le personnel. C'est une réalité : on a surpris à plusieurs reprises des agents impliqués dans des trafics avec la population pénale, soit de téléphones portables, soit de produits stupéfiants.

Le quatrième vecteur qui a tendance à se développer est la projection extérieure : il s'agit d'un trafic organisé avec l'extérieur, les portables ayant largement permis le développement de ce type de procédure. Des personnes extérieures s'approchent du mur d'enceinte et projettent des produits de préférence le long des façades. Cela donne ensuite lieu à tout un jeu de récupération avec ce que les détenus appellent eux-mêmes des cannes à pêche. On trouve des stupéfiants, des portables, parfois même de la viande crue, des plaques chauffantes !

Dans la majeure partie des cas, ce sont souvent les détenus les plus faibles qui sont impliqués dans ces trafics, les têtes de réseaux ne s'y investissent pas ; ce sont de pauvres gars que l'on force à aller chercher les produits au parloir ou, durant la promenade, à escalader les grillages pour récupérer ce qui a été projeté dans les zones neutres. S'ils ne le font pas, ils subissent des violences, ce qui constitue un phénomène préoccupant.

Les moyens de lutte sont limités. J'en veux pour preuve l'escalade de la violence à laquelle on a pu assister depuis une quinzaine d'années dans ce domaine. On a apporté des réponses pénitentiaires, judiciaires parfois. Les parquets ont bien souvent été réactifs par rapport aux découvertes de produits stupéfiants ou de portables, et ont prononcé des peines. Le détenu surpris avec des stupéfiants est bien souvent une « mule » qui, s'il est pris, perd ses remises de peines, ses perspectives d'aménagement et récolte des mois de prison supplémentaires ainsi qu'un séjour au quartier disciplinaire. Certains ont donc refusé de prendre ces risques et le niveau de pression a augmenté. On a ainsi pu assister à des phénomènes extrêmement violents, organisés en cours de promenade pour mutiler des détenus à vie. Lors d'une agression à la maison d'arrêt de Villefranche, que je dirigeais alors, un détenu a ainsi perdu un oeil.

D'autres agressions graves de ce type ont eu lieu. Lorsque j'étais chef d'établissement à la maison d'arrêt de Saint-Etienne, j'avais mis en oeuvre un système de retenue des familles jusqu'à ce que les détenus soient fouillés. Si l'on trouvait quelque chose, la famille du détenu faisait l'objet d'une procédure de police qui pouvait parfois avoir des suites.

Ce mode opératoire a été abandonné à l'époque mais je n'ai pu, après coup, m'empêcher de faire un lien entre cette mesure et l'agression d'un agent travaillant au parloir, le 27 juillet 2000. Il a pris deux décharges de chevrotine à bout portant dans le genou. Il a perdu une jambe et a failli perdre la vie. Même si l'enquête judiciaire n'a jamais abouti, il s'agissait là d'un avertissement de ceux qui dirigeaient le trafic de stupéfiants dans l'établissement.

C'est un phénomène qui pèse aujourd'hui sur les établissements, essentiellement autour de la résine de cannabis. Je n'ai pas le souvenir de découvertes significatives de drogues dures en établissement pénitentiaire. On trouve souvent de la poudre et on la fait toujours analyser mais je n'ai jamais vu un résultat positif sur un retour d'analyses, même s'il est extrêmement difficile de trouver un ou deux grammes d'héroïne dans une cellule. Certains psychiatres m'ont toutefois dit qu'ils avaient eu l'occasion d'être confrontés à des situations où des détenus sont devenus dépendants durant leur séjour, ce qui laisse supposer que ce type de trafic peut exister - mais ce n'est pas le sujet majeur pour un chef d'établissement pénitentiaire.

La confrontation des professionnels de l'administration pénitentiaire aux addictions concerne surtout la prise en charge des détenus arrivant en maison d'arrêt, avec le risque de décompensation lié à un état de manque dans les premières heures de l'incarcération ; celle-ci intervient très souvent après une phase de garde à vue pendant laquelle on peut être certain que le détenu n'a pu consommer. L'état de manque est donc déjà bien avancé quand le détenu arrive dans l'établissement pénitentiaire.

A Fleury-Mérogis, il existe un dispositif que je considère satisfaisant en matière de prise en charge des addictions et des états de manque à l'arrivée, avec un entretien systématique dans les vingt-quatre premières heures et une évaluation par des professionnels de santé spécialisés du CSAPA. Ils effectuent une évaluation et peuvent même réaliser une analyse d'urine en cas de doute après discussion avec le détenu. Un protocole de soins est alors mis en oeuvre pour remédier à ces phénomènes d'addiction.

Ce dispositif n'existe pas le week-end mais une évaluation rapide de la situation d'un détenu entrant est rapidement effectuée, avec analyse d'urine par bandelette si le détenu déclare qu'il est en situation de manque afin de vérifier des traces de traitement de substitution dans les urines. S'il y en a, cela peut laisser supposer que le détenu faisait l'objet d'un soin de substitution antérieur. Une prescription est alors établie pour le week-end, en attendant une évaluation complète dès le lundi. Ceci nous évite d'être confrontés à des explosions de violence liées à des états de manque.

A Fleury-Mérogis, 235 détenus par mois en moyenne font l'objet d'une prescription de Subutex et 66 de méthadone. 300 détenus par mois, en moyenne, bénéficient donc d'un traitement de substitution, soit 8 % des détenus.

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