Pour l'honnêteté et la transparence des débats, il nous faut, les uns et les autres, nous replacer dans la situation dans laquelle nous étions le 26 avril, quand l'épidémie a été annoncée.
Pour ma part, j'ai pu analyser la situation à partir de quatre points de vue différents : en tant que l'un des vice-présidents nationaux de MG France à l'époque ; en tant que participant à l'organisation départementale dans la mesure où j'ai aidé la DASS de mon département à trouver les médecins ; en tant que médecin exerçant en maison de santé – nous sommes quatre médecins généralistes, et nous avons décidé que la moitié d'entre nous participerait à l'effort de vaccination collective en centres de vaccination ; et en tant que citoyen, avec deux petits-enfants de moins de six mois et une personne asthmatique dans la famille.
Je remarque d'abord qu'il n'y avait pas de consensus sur la réalité de cette épidémie au moment où elle a démarré. En avril, en mai et en juin, tout le monde s'est demandé ce qui se passait. On était à peu près sûrs qu'il y aurait une pandémie, mais on n'en connaissait pas le degré de gravité.
Au mois de juin, nous avons commencé à organiser des réunions départementales. Personnellement, j'ai organisé une réunion de mon secteur de garde. Le 15 juin, j'ai présenté le dispositif tel qu'il était, à savoir une déclinaison du dispositif aviaire. Les médecins, très dubitatifs, se demandaient pourquoi les consultations pour patients grippés ne seraient pas faites dans les cabinets de médecine générale, mais dans des centres dédiés. Heureusement, à partir du 20 juillet, on a admis qu'il s'agissait d'une grippe de gravité normale qui devait donc être prise en charge en ambulatoire.
L'incertitude régnait sur ce qui se passait. Nous nous interrogions : fallait-il vacciner toute la population, ou fallait-il ne vacciner que les personnes à risque ? Le sentiment des médecins généralistes, dans leur ensemble, était plutôt de vacciner essentiellement et d'abord les personnes à risque puis, éventuellement, s'il restait du temps et des vaccins, les autres.
S'il n'y avait pas de consensus sur la réalité, il n'y en avait pas non plus sur les procédures choisies. On a compris assez rapidement que les procédures n'étaient pas des procédures issues du ministère de la santé, mais du ministère de l'intérieur, ce qui était une erreur en termes de stratégie d'organisation. D'où cette dualité entre le discours qui nous était fait – on ne vous réquisitionnera pas parce que l'on n'a pas besoin de vous – et la réalité : un tiers des médecins qui ont été dans les centres de vaccination étaient des médecins libéraux.
Par ailleurs, il n'y avait pas de connaissance et pas de confiance dans le dispositif ambulatoire de la part de l'administration de la santé, qui ne possédait pas son sujet : elle ne savait pas qui elle pouvait réquisitionner, à quel moment, quelles étaient les personnes à protéger, etc.
Au niveau départemental, nous avions demandé que les secteurs de garde se rencontrent pour s'organiser. S'il fallait recommencer une opération comme celle-là, je suggérerais que ce soit au niveau des secteurs de garde de médecine de ville que l'organisation se fasse – quitte à les mutualiser dans certains endroits s'ils sont trop petits numériquement –, et que les médecins du secteur de garde s'organisent pour proposer une réponse à la fois en termes de prise en charge des patients malades et, éventuellement, de prise en charge de la vaccination.
J'exerce dans une maison de santé pluridisciplinaire, avec trois autres médecins, sept infirmiers et d'autres professionnels de santé. Nous aurions pu très facilement nous transformer en centre de vaccination rapproché avec une organisation, comme nous le faisons d'ailleurs tous les ans pour la vaccination de la grippe saisonnière, et avec un échange d'informations, ce qui n'est pas prévu dans le dispositif de vaccination de grippe classique. Nous avons demandé, mais nous ne l'avons pas obtenu, d'avoir un retour d'informations systématique pour mettre nos dossiers à jour. Quoi qu'il en soit, il existe ainsi des points d'accès libéraux, soit individuels soit de groupe, comme le sont les maisons de santé, qui sont susceptibles de répondre à un afflux même très important de demandes de soins ou de vaccination.
On peut expliquer le manque d'adhésion de la population par la perte de crédibilité de la parole publique comme de la parole médiatique : cette épidémie, d'abord annoncée comme potentiellement très grave, a ensuite été considérée comme n'étant pas grave, avant d'être jugée comme pouvant être grave et nécessitant une vaccination, sachant que, dans un second temps, il a été demandé de se faire vacciner par précaution parce qu'il pourrait y avoir un deuxième pic !
Ce manque de constance du discours public a traduit en fait un phénomène dont on ne parle pas beaucoup, à savoir la faillite de l'expertise. Les experts ont fait d'emblée une hypothèse maximaliste, qu'ils n'ont jamais remise en cause, et les politiques n'ont jamais pu adapter leurs mesures à la réalité du développement de l'épidémie. Marc Gentilini le dit très clairement : l'expertise scientifique doit conduire à examiner au moins deux ou trois hypothèses différentes concernant une pandémie afin que l'on puisse moduler le dispositif suivant le degré de gravité de cette dernière.
La grande qualité de notre système libéral est son adaptabilité. Nous pouvons voir dans une même journée vingt patients ou soixante. Nous pouvons coopérer avec les infirmiers et les pharmaciens. Une des premières mesures que nous avons demandées quand on nous a annoncé que les vaccinations seraient possibles en ville, c'était que le circuit de vaccination passe aussi par les pharmaciens et que le vaccin puisse être distribué à la population par les 26 000 pharmacies existant en France. C'était évidemment indispensable pour nous ; commencer à vacciner la population sans avoir accès au vaccin n'était pas cohérent.