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Intervention de Xavier Emmanuelli

Réunion du 9 février 2011 à 16h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Xavier Emmanuelli :

- Je suis très heureux et très honoré de me retrouver dans cette enceinte.

Avant d'être secrétaire d'Etat et d'avoir créé le SAMU social, j'étais médecin urgentiste ; j'ai également travaillé à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, où j'ai été médecin-chef de 1987 à 1992. La toxicomanie -parfois par voie intraveineuse- était alors un mystère pour moi.

Les échanges de seringues ont ensuite vu le jour. J'ai continué à chercher à comprendre ce que signifiait le mot « toxicomane ». A l'époque, l'héroïne était la drogue la plus en vogue.

Le mot de « toxicomanie », inventé en 1900, n'a pas été forgé comme le mot « alcoolisme », qui désigne une atteinte aigüe mais, sémantiquement, comme une grave atteinte au psychisme.

En second lieu, l'épidémie de toxicomanie par voie intraveineuse est très datée et remonte aux années 1970. Cette pratique n'était pas, auparavant, perçue comme un phénomène de masse. J'avais en face de moi les gens les plus fragiles et les plus vulnérables. Les dégâts infligés au psychisme et au physique m'ont fait beaucoup réfléchir en tant que médecin.

Après avoir fondé le SAMU social, j'ai rencontré toutes sortes d'addictions et de toxicomanies. 95 % des gens auprès desquels nous intervenons ont un problème d'addiction.

L'addiction est un phénomène sournois qui peut se présenter dans la vie courante. Je connais un certain nombre de gens qui, pour dormir, prennent des somnifères sans s'en apercevoir et ne peuvent plus s'en passer. Des médicaments comme le Stilnox sont considérés comme dangereux parce que conduisant à l'addiction. Or, il est difficile de sortir d'une addiction.

Certes, l'alcool détruit bien des gens mais, d'un autre côté, il constitue un antalgique, un analgésique, un calmant. Il permet aussi de voir la réalité différemment. Au début, c'est convivial et cela donne un sentiment de puissance. Il est donc extrêmement difficile de conseiller à quelqu'un d'arrêter de boire. Quel est son intérêt ? Les gens fragiles sont dans un cercle vicieux…

Je sais que les travailleurs sociaux, très souvent, passent un contrat, s'attachent à la personne et essaient de la suivre sur le long terme. Les gens fragiles, qui n'ont pas d'autres perspectives, rechutent et c'est un échec de plus.

Je me suis donc posé un certain nombre de questions car, aussi bien au SAMU social de Paris, au SAMU social international, chez les enfants des rues ou chez les jeunes de la rue, tous ont une problématique de toxicomanie. A travers le monde, ce qui revient le plus souvent, c'est la colle, le solvant de teinturier. A une époque, les tubes de colle étaient à la mode chez nous. C'est un rapport à la réalité et à l'affect, à l'adulte, à l'image. Je dis toujours qu'on n'existe que par le regard des autres. Si les autres ne vous regardent pas, votre image corporelle disparaît, vous êtes sans intérêt, sans sens, sans amour. Il faut manifester de l'intérêt pour les gens, les accompagner, leur donner du sens.

Je pense également que notre société manque singulièrement de symbolisme. Les gens veulent utiliser les mêmes rituels d'apaisement que les autres. La dignité, c'est donner à percevoir les rites que l'on pratique les uns avec les autres pour faire partie de la même famille. Avec les gens en difficulté que je rencontre, il n'y a pas de rituels. Ils entendent des ordres, des insultes, le vocabulaire est réduit : il ne faut pas entrer dans ce jeu. Avec ces personnes, il faut prendre des précautions oratoires, respecter les distances, ne pas s'approcher trop près, ne pas être trop loin, ne pas techniciser. Il est difficile de trouver la bonne distance opératoire car ces personnes sont avides de votre être, d'existence, d'être prises en considération. Comment faire ?

Il n'existe pas de solution automatique pour sortir les gens de leur addiction. Il faut procéder au cas par cas, en leur manifestant de l'intérêt et surtout sans se décourager, car chacun est faillible. Regardez comme il est difficile pour des gens structurés, qui ont une place dans la société, d'arrêter de fumer. Vous imaginez donc combien il est difficile pour des gens sans repère, sans affection, sans projet d'arrêter de recourir à ce qui les console.

Si on se rapproche de ces personnes, il faut qu'elles y trouvent leur compte mais il est difficile de s'investir si l'on sait qu'on va ensuite « lâcher la rampe » : cela peut être décevant, les gens ne vont pas tenir leurs promesses.

J'ai également remarqué qu'il était difficile d'établir une passerelle avec les jeunes, quelle que soit leur toxicomanie : ils ne vous croient pas. On est dans la virtualité, dans une espèce de rôle où le rapport à l'autre, le mal que l'on fait à l'autre n'a pas d'importance. Il est très difficile de parler de la réalité avec les gens sous l'emprise de la drogue ou de l'alcool. Il faut avoir la foi, pour les accompagner.

J'ai fait un jour une conférence à Cochin pour le SAMU social. Il est difficile de soigner les gens qui récidivent. Quelqu'un m'a dit : « Que fait-on au bout de cinquante-deux fois quand un de tes clients vient aux urgences pour cuver sa cuite ? ». J'ai alors demandé : « Es-tu un guérissant ou un soignant ? Tu es soignant, tu soignes ! ». Les médecins pensent qu'ils peuvent tout guérir, y compris la mort mais on ne « guérit » pas : on peut soigner, accompagner, etc. C'est ce que je me dis en espérant qu'au bout du compte, certains s'en sortent !

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