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Intervention de Henri Bergeron

Réunion du 9 février 2011 à 16h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Henri Bergeron :

- Ma première réflexion portera sur les politiques européennes, leurs points de convergence et leurs points de divergence.

Il faut distinguer, d'une part, les politiques de répression des trafics et de l'usage et, d'autre part, les politiques sanitaires et préventives. Jusqu'à la manifestation du SIDA, au milieu des années 1980 pour les plus rapides des pays européens et un peu plus tard, à la fin des années 1990, pour les autres, les politiques étaient extrêmement contrastées.

Tous les pays avaient signé les conventions internationales, souscrivaient au principe de prohibition de l'usage et menaient des politiques relativement agressives à l'égard des trafiquants, mais les législations n'étaient pas harmonisées.

L'infraction d'usage simple recevait ainsi un traitement juridique et policier extrêmement différent dans les pays européens. D'un point de vue sanitaire, le même type de contraste existait, les politiques étant généralement curatives, faute de politique de réduction des risques. C'était encore l'époque où l'on croyait que la montée de la consommation de substances psychoactives illicites était une poussée de fièvre qu'une politique active pouvait étouffer.

Les politiques curatives étaient très différentes selon les pays. En France, on s'est beaucoup attaché à développer des traitements inspirés par la psychanalyse.

Souvenez-vous : les années 1970 vivent sous la figure tutélaire de Jacques Lacan, la psychiatrie est révolutionnée par les idées psychanalytiques.

D'autres pays, comme l'Italie, avaient choisi des modèles plus comportementalistes -les grandes communautés thérapeutiques ; l'Angleterre avait une tradition de prescription contrôlée d'héroïne. Quelques médecins s'étaient vu octroyer le droit de prescrire ce produit ainsi que d'autres produits de substitution. Toutes ces politiques étaient donc extrêmement contrastées et finalement assez faiblement indexées sur la réalité épidémiologique du problème de la drogue.

Dans notre pays, la loi de 1970 a créé une procédure réglementaire d'interdiction de l'usage privé assez exceptionnelle dans le droit français, alors que les drogués se comptent -aux dires de Claude Olievenstein et de Claude Orsel, les deux spécialistes de l'époque- sur les doigts de la main dans le quartier latin !

Le sujet des drogues, comme les questions d'homosexualité ou d'euthanasie, a pendant longtemps renvoyé les Etats à leurs traditions nationales ; il n'y a guère eu d'interférences européennes.

La donne a changé avec le Traité de Maastricht ainsi que l'entrée en jeu des considérations de santé publique du fait de l'épidémie de Sida, lorsqu'on a découvert que les usagers de drogues par voie intraveineuse étaient des vecteurs de diffusion des virus du Sida et de l'hépatique C. Dès lors, est apparu un mouvement relativement spontané émanant des pays, l'action de l'Union européenne devant respecter le principe de subsidiarité. Les modèles se sont transformés pour se rapprocher.

Deux sujets font historiquement polémique. Le premier est celui de l'attitude à adopter à l'égard de l'usager simple. Il a opposé, à l'époque, les pays de manière extrêmement conflictuelle. Il suffit pour s'en convaincre de considérer la position de la Hollande par rapport à celle de la France ou de l'Allemagne.

Le second sujet est celui de l'introduction de la politique de réduction des risques, qui suscite des conflits extrêmement forts. Jacques Chirac déclarait en 1992 au Nouvel Observateur que l'introduction d'une politique de réduction des risques en France signerait le début de la libéralisation pure et simple des drogues ! Cette association s'inscrit, dans notre pays, dans une tradition de méfiance à l'égard de l'utilisation des produits opiacés.

Le même regard se retrouve dans le traitement de la douleur à l'hôpital. Toute une série de facteurs culturels liés à la profession médicale et à son organisation permettent d'expliquer pourquoi cette politique de réduction des risques n'a pas pénétré chez nous aussi rapidement que dans d'autres pays.

On remarque aujourd'hui une certaine forme de convergence sur ces deux sujets, surtout chez les quinze membres de l'Union européenne les plus anciens.

Il existe, dans la plupart des pays européens, une forte tendance à considérer que l'infraction d'usage ne doit plus recevoir la peine la plus sévère : l'incarcération. Les solutions juridiques retenues, très différentes suivant les pays, favorisent un traitement plutôt médicalisé des usagers, pour peu qu'il n'existe pas de délit associé ou de récidive.

L'utilité de la politique de réduction des risques est désormais reconnue un peu partout en Europe. Elle a été traduite dans beaucoup de textes juridiques nationaux, comme en France la loi de santé publique du 9 août 2004, mais également dans une recommandation du Conseil de l'Union européenne visant à la reconnaître comme un pilier de la politique de traitement des usagers.

Un modèle européen de régulation des problèmes de drogue émerge donc, même s'il subsiste d'importantes différences. Ce modèle se distingue très nettement de celui qui peut être mis en oeuvre aux Etats-Unis, où la réduction des risques, dans beaucoup de ses principes, n'est pas acceptée. En ce qui concerne l'incarcération des usagers, un chercheur estime que le quadruplement de la population carcérale entre 1975 et 1995 aux Etats-Unis s'explique par l'incarcération d'usagers simples qui, jusque là, n'étaient pas emprisonnés.

Je ne partage pas votre diagnostic qui consiste à dire que la politique française en matière de toxicomanie est essentiellement une politique de réduction des risques ; il existe aussi, de mon point de vue, un dispositif curatif. Un certain nombre de structures continuent de proposer des cures d'abstinence et fournissent une voie de sortie légitime pour un certain nombre de toxicomanes qui en font la demande. Ce dispositif historique n'a pas disparu avec le lancement de la campagne de réduction des risques en France, que l'on peut dater d'une circulaire du ministère de la santé de 1995 et du premier programme lancé par Simone Veil. Il a cependant toujours été relativement faible. Jusqu'à qu'il soit récupéré par la Sécurité sociale, il était financé sur le budget de l'Etat ; les financements arrivaient en cours d'année et les associations ne savaient jamais de combien elles allaient disposer. La loi de santé publique de 2004 a quelque peu stabilisé la situation. Les chiffres épidémiologiques d'évolution des consommations de drogues en France laissent penser que ce dispositif pourrait connaître des développements supplémentaires.

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