Comme l'ont souligné mes deux prédécesseurs, c'est avant tout en termes de performance de la dépense sociale – en l'occurrence la contribution des dépenses de la branche Famille à la compétitivité de l'économie – que le gestionnaire des dépenses de sécurité sociale doit réfléchir.
Il convient, en préambule, de rappeler les grandes composantes des dépenses payées par les caisses d'allocations familiales, qui se sont élevées à près de 74 milliards d'euros en 2010, étant entendu qu'il convient d'isoler dans ce montant les prestations de lutte contre la précarité, la pauvreté ou le handicap versées pour le compte de tiers, c'est-à-dire pour le compte de l'État – allocation adulte handicapé et aides au logement en faveur des personnes sans enfants – ou des conseils généraux – le revenu de solidarité active, qui englobe l'allocation de parent isolé et qui est complété, pour ce qui est le « RSA activité », par un financement de l'État.
La contribution de ces dépenses à la performance de l'économie doit également s'analyser en termes de soutien au pouvoir d'achat, de préservation de la cohésion sociale et d'insertion de publics en difficulté. Des progrès importants ont été réalisés pour leur permettre de mieux contribuer à l'incitation à la reprise d'activité, sachant qu'elles ont par ailleurs un objectif de soutien au pouvoir d'achat. La résistance du pouvoir d'achat pendant la période de crise économique et sociale profonde que nous continuons de traverser montre que ces prestations jouent bien le rôle contracyclique d'amortisseur social qu'on leur assigne et que les caisses d'allocations familiales se situent à cet égard en première ligne.
Financées par l'impôt, les dépenses en compte propre de la branche Famille, que ce soit sur le budget général de l'État ou sur celui des conseils généraux, s'élèvent – une fois isolées les prestations pour le compte de tiers – à 54 milliards d'euros et se décomposent en quatre blocs :
– le bloc des prestations traditionnelles à savoir, d'une part, celles qui compensent les charges supportées par les familles pour l'entretien des enfants – allocations familiales universelles – et, d'autre part, le complément familial et l'allocation de rentrée scolaire – sous conditions de ressources –, qui représente un montant de 15 milliards d'euros environ ;
– le bloc des prestations liées à la petite enfance, destinées à accompagner les familles lors de l'arrivée d'un enfant et à les aider à concilier vie familiale et vie professionnelle s'agissant en particulier du mode de garde des jeunes enfants : la prestation d'accueil du jeune enfant, pour un montant de 12 milliards d'euros, et toutes les dépenses engagées par les caisses d'allocations familiales pour les établissements d'accueil collectif des jeunes enfants, pour un investissement de 2 milliards d'euros, soit un total de 14 milliards d'euros ;
– le bloc des allocations logement en faveur des familles qui comprend l'allocation de logement familiale et la participation de la Caisse nationale des allocations familiales aux aides au logement, en particulier l'aide personnalisée au logement, versées – sous conditions de ressources – à des personnes ayant des enfants, pour un montant de 8 milliards d'euros ;
– le bloc universel des droits familiaux pour la retraite, qui correspond au versement de l'assurance vieillesse des parents au foyer, soit 4,4 milliards d'euros, et au financement des majorations de pension pour enfant à charge, pour un montant de 2,8 milliards d'euros.
Pour ces quatre blocs, qui mêlent prestations universelles et prestations sous conditions de ressources, le financement de la branche est composé, pour deux tiers, de cotisations sociales assises sur les salaires – exclusivement sur la part patronale – de 5,4 points, soit un peu plus de 34 milliards d'euros et, pour un tiers, des impôts et taxes affectés – majoritairement de la fraction de contribution sociale généralisée affectée à la branche Famille, qui a été réduite récemment – ainsi que divers autres impôts, soit un peu plus de 16 milliards d'euros.
Au-delà du soutien aux revenus pour lutter contre la pauvreté des familles et des enfants et pour égaliser les niveaux de vie entre foyers avec enfants et foyers sans enfant, la contribution décisive des dépenses sociales au dynamisme de l'économie tient à l'investissement en faveur du renouvellement des générations et du dynamisme démographique. À cet égard, l'efficacité de la politique familiale française a encore été soulignée la semaine dernière dans un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques sur les politiques familiales comparées des États membres, lequel précisait notamment qu' « investir de façon précoce dans la politique familiale garantit une meilleure efficacité et permet d'économiser à long terme ». M. Frédéric Van Roekeghem soulignait que la compétitivité se joue dans le temps : c'est spécialement vrai pour les dépenses d'investissement de ce type, les évolutions en matière démographique ne pouvant être évaluées que sur le long terme.
Pour ne citer que quelques chiffres, ce même rapport précise que « La France occupe une position favorable sur plusieurs dimensions des vies familiale et professionnelle : la fécondité est très supérieure à la moyenne de l'OCDE » – comme d'ailleurs de l'Union européenne puisqu'elle est légèrement supérieure à deux enfants par femme contre une moyenne européenne de 1,5 – « et le taux d'emploi des femmes âgées de 25 à 54 ans est, à 76,6 %, lui aussi supérieur à la moyenne » tant de l'Organisation de coopération et de développement économiques que de l'Union européenne. Il en résulte que les perspectives d'évolution de la population active sont orientées en France plus favorablement que dans les autres pays de l'Union européenne, ce qui avait d'ailleurs conduit, en 2009, le comité de politique économique de l'Union européenne à estimer que l'augmentation des dépenses à destination des personnes âgées serait à l'horizon 2050 deux fois moindre en France qu'en Allemagne, soit 4 % de son produit intérieur brut, et l'institut de l'économie allemande de Cologne à considérer, en 2008, que l'économie française serait en 2035 la plus dynamique d'Europe compte tenu de son assise démographique.
Même si les experts peuvent débattre de la quantification exacte de la contribution des politiques familiales au taux de fécondité, il n'en reste pas moins que la performance relative de la France est significativement supérieure à celle de ses voisins. Le différentiel de 0,5 point entre notre taux de fécondité de 2 et celui de l'Union européenne, de 1,5 en moyenne, doit être mis en regard du nombre d'enfants désirés par femme, lequel est relativement homogène et stable au sein de l'Union européenne puisqu'il se situe depuis deux décennies, selon l'Eurobaromètre, entre 2 et 2,5. La France se distingue en réussissant à combler l'écart entre le nombre d'enfants désirés – entre 2 et 2,5 donc – et celui des enfants effectivement mis au monde – soit 2 contre 1,5 en moyenne dans l'Union européenne. Notre pays a réussi à combler son différentiel de 0,5 point environ parce qu'il a créé un environnement favorable aux familles et à l'accueil des enfants ainsi qu'à la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Offrir aux couples, et spécialement aux femmes, la possibilité – tout en respectant leur libre choix – de faire garder leurs enfants en bas âge, est en effet depuis les années 1970 un objectif structurant de notre politique familiale.
Tel est, me semble-t-il, l'aspect sur lequel se joue surtout la compétitivité de notre économie, et c'est d'ailleurs à quoi contribuent significativement les politiques familiales mises en oeuvre par les caisses d'allocations familiales, politiques d'investissement qui nécessitent, de par leur caractère de long terme, la stabilité de l'environnement des dispositifs et, en termes de financement, la pérennité des recettes affectées.