Dans la réflexion sur l'évolution de la protection sociale en France, le sujet de la compétitivité occupe une place fondamentale, tout comme celui de la solidarité. Encore convient-il d'abord d'en distinguer les enjeux à court et à moyen terme.
L'un des enjeux de la compétitivité des pays à moyen terme réside dans le ratio entre population active occupée et population inactive. Le défi du vieillissement actif est, en effet, central : d'ici vingt à trente ans, la compétitivité des pays dépendra pour beaucoup de leur capacité à mobiliser une grande partie de leur population pour produire de la richesse. Concernant d'ailleurs l'accroissement de la population active, l'Institut national de la statistique et des études économiques a reconsidéré ses précédentes évaluations et l'estime à 2 millions d'individus supplémentaires d'ici à quelques années grâce aux politiques de protection sociale visant, en matière de retraite, à accroître le niveau d'activité des seniors et, en matière de politique familiale, à assurer le renouvellement générationnel, disposer de suffisamment d'actifs dans les années à venir et concilier, surtout pour les femmes, vie familiale et vie professionnelle. La protection sociale constitue un tout – un financement et de la redistribution – qui, bien mené – en permettant à un maximum de gens de travailler, qu'ils soient chargés de famille ou avancés en âge –, peut être un atout pour la compétitivité à moyen terme de la France. Elle ne doit pas seulement être considérée comme une charge.
Aussi convient-il, ensuite, de se méfier de paradigmes, certes utiles, mais quelque peu simplistes, comme le niveau des prélèvements obligatoires. Si le coût global des systèmes sociaux demeure une préoccupation fondamentale pour les différents pays développés, le choix de rendre solidaire la protection en matière de santé n'est pas en soi un facteur de moindre compétitivité. Aux États-Unis, les prélèvements obligatoires en matière de protection maladie sont très faibles, ce qui pourrait laisser penser que ce problème de compétitivité est évité. Pourtant, le Président des États-Unis, Barack Obama, défendait ainsi sa réforme de l'assurance maladie : « L'une des plus grandes menaces qui pèse non seulement sur le bien-être de nos familles et la prospérité de nos entreprises, mais également sur les fondations mêmes de notre économie est l'explosion des coûts de la santé en Amérique aujourd'hui. Investir dans la réforme va permettre de réduire les coûts et sera le meilleur moyen de diminuer les déficits à long terme ». En effet, lorsque, dans un système où la protection obligatoire mutualisée à l'échelle de la nation est faible, des protections sociales d'entreprise fortes se créent, sans maîtrise du coût de la santé, ce dernier se reporte sur les entreprises.
Pour nos pays, le vrai défi tient, avec des coûts sociaux en augmentation du fait du vieillissement de la population, à l'efficience de la dépense, ce qui implique de s'interroger également – au-delà de la question de la solidarité – sur son mode de prise en charge : par la nation ou par d'autres circuits de financement. À cet égard, le choix français d'une protection sociale forte n'a pas empêché de très importants progrès ces dernières années quant à l'efficience du système. En matière d'assurance maladie, la progression des dépenses publiques de santé, qui était de 7 % au début de la décennie 2000, est ainsi passée à 3 % aujourd'hui, soit, sur un budget de l'ordre de 170 milliards d'euros par an, une économie de 7 milliards d'euros chaque année et de 40 milliards sur la période considérée, sachant que l'efficience de la dépense elle-même a aussi progressé. L'enjeu n'est pas seulement, en effet, de dépenser moins, mais également de dépenser mieux au bénéfice de la santé de tous, puisque la dépense en matière de protection sociale a pour objet d'améliorer le bien-être et la santé des personnes, notamment au travail. Une société compétitive, c'est aussi une société dans laquelle les gens vont bien, ont une santé qui leur permet de travailler et d'apporter de la richesse au pays.
Pour autant, accroître l'efficience du système de protection sociale passe également par une évolution des comportements individuels. La cohérence entre les politiques de solidarité et de compétitivité tient en effet aussi au bon usage des systèmes sociaux par l'ensemble de nos concitoyens, qu'il s'agisse, par une bonne compréhension des droits et des devoirs, de lutter contre les abus ou d'éviter les usages inutiles.
Enfin convient-il, toujours en termes de compétitivité, d'éviter, en matière de coût du travail et, plus généralement, de financement du système, des taux marginaux élevés qui découragent le travail ou conduisent à des délocalisations. Aussi suis-je favorable à la mise en place d'assiettes larges de prélèvements. Pour avoir participé à la création de la contribution sociale généralisée, je reste en effet convaincu que celle-ci a été une excellente réforme pour la protection sociale et qu'une assiette large et des taux modérés, une fois établi le choix du périmètre du financement, sont la meilleure option possible.
De même est-il important de choisir des modes de gouvernance efficaces. La persistance des déficits sociaux, qui constitue évidemment un handicap, montre que nous devons progresser – l'actuel projet de réforme constitutionnel répond d'ailleurs à cette préoccupation. Alors que nous étions l'année dernière à moins 20 milliards d'euros nous pouvons espérer, avec la réforme des retraites et une dépense d'assurance maladie en progression de 3 %, c'est-à-dire inférieure à celle du produit intérieur brut en moyenne, atteindre l'équilibre de nos finances sociales.