- Je souscris largement à ces éléments de synthèse.
J'ai la lourde mission de représenter à la fois la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) -Nicole Maestracci ne pouvant se rendre disponible et m'ayant demandé d'en dire quelques mots - ainsi que l'association Aurore, dont je dirige le pôle « Addictions, santé, précarité ».
La FNARS m'a transmis un document que je vous remettrai en fin de séance. La FNARS est un réseau associatif au service des plus démunis qui fédère 850 associations et représente 2 500 établissements de nature différente -centres d'hébergement, foyers, hôtels sociaux, résidences sociales.
Il n'y a pas de réflexion spécifique à la FNARS sur la question des addictions mais un partenariat avec la fédération « Addictions » s'est mis en place. Cependant, il existe une confrontation très large avec l'addiction dans les différents dispositifs d'hébergement et d'insertion fédérés par la FNARS.
Quelques chiffres issus d'études démontrent la prévalence de ces problématiques parmi les personnes les plus démunies. En 2002, 14 % du public de la FNARS déclaraient un problème d'addiction aux drogues illicites et 22 % un problème lié à l'alcool.
Cela concerne plusieurs dizaines de milliers de personnes, ce qui n'est pas négligeable. Le rapport relatif à la santé des personnes sans chez soi, remis à Mme Bachelot en novembre 2009, faisait aussi état d'une surreprésentation des pathologies mentales et des addictions parmi ce public. L'enquête « Samenta » réalisée par le Samu social de Paris montre que la dépendance à l'alcool touche 21 % des personnes rencontrées, la consommation de drogues hors alcool et cannabis 17 %, 16 % de personnes étant concernées par la consommation régulière de cannabis.
Ceci accole à la grande précarité l'image de consommation et de surconsommation ; or, on trouve aussi parmi ce public une surreprésentation de gens complètement abstinents. Le constat de la FNARS -et je pense que l'association Aurore le partage, ayant elle-même des dispositifs d'urgence et de précarité - met en lumière le fait que le secteur de l'hébergement est de plus en plus amené à palier les carences de la politique de santé ou de la politique pénale.
Ainsi, hier, en province, au cours d'une réunion sur la prévention de la récidive, on nous a décrit le cas d'un détenu qui, sortant de six années de prison, a vu son dossier refusé par le Service intégré de l'accueil et de l'orientation (SAIO), censé l'orienter vers les dispositifs d'hébergement, du fait de l'absence d'attestation de ressources ! En six ans, je pense qu'on a le temps de préparer une sortie ! Cela montre bien la difficulté de l'articulation entre les dispositifs. Je crains qu'il y ait de grandes chances pour qu'on retrouve cet ancien détenu dans un des dispositifs de la FNARS !
Il existe également une limite aux politiques publiques de santé et aux sorties d'hôpital car il n'y a pas toujours de possibilités d'hébergement. Ceci a amené la création d'un dispositif, mais il reste insuffisant.
Par ailleurs, des problèmes restent liés à un certain nombre de dispositifs de soins sociaux, certains refusant les personnes couvertes par la seule CMU ou l'aide médicale d'Etat. Il s'agit d'un problème d'accès aux soins pour cette partie de population très précaire.
Les Agences régionales de santé (ARS) prenant en charge le soin et le médico-social et les services de l'Etat traitant le sujet de la précarité et de l'hébergement en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), la FNARS demande à être associée à la définition des politiques publiques à travers les conférences de territoires et les différents dispositifs mis en place entre les ARS et les services de l'Etat.
Il paraît important de pouvoir disposer d'un interlocuteur au sein de chaque ARS concernant la santé des plus démunis, comme cela existe dans certains endroits. Il semble également nécessaire de mettre en place une instance d'articulation entre les secteurs de la santé sociale au sein des ARS afin de favoriser l'articulation sur le terrain entre l'ambulatoire, l'hospitalier social et le médico-social.
Aurore, membre actif de la FNARS, partage l'ensemble de ces constats grâce à son expérience de plusieurs dispositifs… L'association Aurore est ancienne ; elle a été fondée en 1871 pour réinsérer les détenus qui revenaient du bagne. Elle s'est développée pour s'organiser autour de trois axes -soigner, héberger et insérer - répartis en sept pôles, dont un pôle « Addictions, santé, précarité ».
Ce pôle comporte un certain nombre d'établissements, une centaine d'appartements de coordination thérapeutique et un service « lits halte soins santé » pour des personnes en situation de précarité nécessitant des soins.
La partie addictologie comprend un CSAPA ambulatoire qui traite plus particulièrement de l'alcool à Paris. Il ne s'agit pas d'un choix - je suis personnellement plutôt généraliste - mais d'une demande de l'autorité de contrôle dans la mesure où il existait peu de dispositifs spécifiques dans la capitale. Une communauté thérapeutique fonctionne également en Dordogne depuis trois ans ; elle a été l'une des premières à être créée suite à l'appel d'offres de la MILDT-DGS. Une autre communauté thérapeutique a ouvert ses portes en Seine-Saint-Denis. Il s'agit d'un projet un peu particulier, puisque nous sommes contraints d'attendre le dispositif d'hébergement qui permettra à cette communauté de fonctionner à plein.
Nous y expérimentons le travail communautaire de jour, qui n'existe pas en France mais que l'on a pu voir à l'étranger. Nous proposons à des gens de s'engager dans un cycle de quelques semaines ou de quelques mois. La méthode repose globalement sur un tiers de travail de groupe, un tiers de travail individuel et un tiers d'activités sportives et artistiques.
Il existe également, à côté de ces dispositifs, un centre de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie avec hébergement, dont la partie collective reçoit spécifiquement des usagers de drogues sortant de prison. Il s'agit là d'un accompagnement à la sortie de détention qui compte trois places extérieures, dans le cadre d'une convention avec les services de la justice, et 24 appartements thérapeutiques recevant un public généraliste.
Enfin, on trouve à Bussy-le-Long un CSAPA qui fonctionne sur le principe du modèle « Minnesota » très orienté sur l'abstinence comme but mais également comme moyen. Ce modèle est basé sur le principe des douze étapes d' « Alcooliques anonymes » et de « Narcotiques anonymes ».
A côté de ces dispositifs, on trouve quelques actions au financement instable, notamment des places de CHRS destinées à des usagers de drogues en insertion ou à des personnes sous main de justice.
Il existe également un dispositif d'accueil inconditionnel à haut seuil de tolérance pour des usagers en situation de sur-exclusion à Paris, qui ne parviennent pas à intégrer les dispositifs classiques d'hébergement ou de soins.
J'insiste sur tous ces dispositifs pour en montrer la diversité. Comme Alain Morel l'a souligné, il n'existe pas de réponse unique mais une multitude de réponses, qui correspondent à une diversité de situations et de capacités des personnes à s'engager dans tel ou tel type de traitement.
Je ne reprendrai pas non plus tout ce qui a été dit à propos des politiques publiques. Je souscris là encore largement à ce qu'a dit Alain Morel à ce sujet. Je m'en tiendrai aux dispositifs de soins résidentiels et d'hébergement. Les soins résidentiels s'adressent à des personnes pour lesquelles les soins ambulatoires sont insuffisants et qui ont besoin d'un cadre protecteur pour pouvoir mener à bien leur projet.
Il me semble qu'il convient de réfléchir à plusieurs axes pour traiter ces questions, et tout d'abord développer les capacités d'accueil des dispositifs généralistes d'hébergement ; on s'aperçoit en effet que les usagers de drogues, lorsqu'ils sont stigmatisés comme tels, ont beaucoup de mal à intégrer les CHRS ou les lits de stabilisation.
Il faut donc renforcer leurs compétences, par la formation des personnels et par l'incitation, pour que toute personne qui en a besoin puisse accéder à un dispositif d'hébergement adapté qui ne soit pas nécessairement spécialisé mais de droit commun.
On doit également développer des passerelles permettant l'accès des personnes en situation de sur-exclusion ou de sur-stigmatisation - les femmes, les plus jeunes, les usagers vieillissants, les personnes sortant de prison… Organiser de telles passerelles suppose un maillage des outils de la prévention, du soin et de la réduction des risques pour conduire ces personnes vers les dispositifs auxquels elles peuvent prétendre.
Il faut aussi repenser les schémas régionaux prévus par la loi de 2002 relative à la rénovation de l'action sociale et médico-sociale. Certains établissements doivent pouvoir avoir une compétence régionale ou nationale, comme les communautés thérapeutiques. Les établissements dotés de spécificités devraient aussi pouvoir bénéficier d'un recrutement national identifié comme tel.
Enfin, il faut insister sur le fait qu'il n'existe aujourd'hui ni programmations ni moyens dans le champ médico-social des addictions. Or, le médico-social paraît incontournable dans l'accompagnement des usagers.
Je pense qu'il faut veiller aussi à ce que ces problématiques figurent dans les priorités des conférences territoriales, où la question pèse très peu dans le dispositif de santé. Il est important que la question des addictions soit prise en compte à sa juste valeur, les budgets de l'addictologie pesant relativement peu au regard des budgets de la santé mais les conséquences des addictions étant potentiellement lourdes en matière de santé et de société.