Chaque personne étant un sujet singulier, il n'y a pas de réponse univoque à la question de la sortie de la méthadone. Le traitement de substitution permet de stabiliser la situation thérapeutique, sociale et affective des personnes traitées. Concrètement, sur une file active de huit cents personnes par an, une quinzaine arrête progressivement le traitement de substitution. D'autres font le choix de partir en cure hospitalière et en postcure ou en communauté thérapeutique. Certains suivent des stratégies personnelles – ils rencontrent l'amour, font un enfant, etc. – et parviennent à arrêter le traitement sans qu'on s'explique trop comment. Mais d'autres ont besoin de continuer ce traitement pour vivre dans la société telle qu'elle est.
Il faut souligner que ces traitements de substitution doivent être associés à d'autres programmes de réduction des risques, notamment d'infection aux VIH et VHC, comme les programmes d'échange de seringues. C'est ce que prouve une étude néerlandaise, fondée sur l'observation de 1 700 personnes sur vingt ans, qui fait état d'une diminution des contaminations par le VIH ou le VHC. Je considère, de façon très terre à terre, qu'avant de débattre du bien-fondé de tel ou tel traitement, il faut commencer par s'assurer que les personnes restent en vie. Quand nous recevons des malades de quarante à cinquante ans qui cumulent des problématiques telles que la grande précarité ou la maladie, leur dépendance n'est pas notre premier souci. Notre souci, c'est de les maintenir en vie et de leur procurer un semblant d'hébergement, afin qu'ils puissent jouir à nouveau de leurs droits de citoyens. Ce n'est qu'au bout de ce long chemin, qui prend parfois dix ans, qu'ils pourront travailler sur leur dépendance.
J'invite ceux qui nous demandent combien de personnes nous « guérissons » à venir voir les gens que nous recevons au sein des « Bus méthadone », afin de mesurer les difficultés qu'ils affrontent. Ce sont des difficultés majeures, des souffrances anciennes, des manques, des failles, des problèmes qui s'accumulent depuis l'enfance et que la simple administration d'un produit ne suffira jamais à régler.
C'est un ensemble de mesures thérapeutiques et sociales qui est susceptible d'amener ces personnes au point où elles pourront commencer à travailler sur leur dépendance. Nous ne les empêchons pas d'aller vers un sevrage sec, mais il faut qu'elles le souhaitent et non qu'elles se voient imposer une méthode qui ne leur conviendrait pas. J'ai vu des usagers faire une dizaine de sevrages par an, leur état se dégradant au fil de ces tentatives. Sortir de la dépendance est un long cheminement qui peut prendre une dizaine d'années, quand on ne reste pas dépendant à vie.