Si la substitution est un bon outil, elle n'est pas la panacée. Elle est une réponse thérapeutique à deux formes de toxicomanie seulement : la dépendance tabagique, traitée par les substituts nicotiniques, et la dépendance aux opiacés, à l'héroïne principalement. Elle ne peut donc être qu'une réponse partielle à une certaine étape de l'existence de personnes devenues dépendantes aux drogues. D'une façon générale, les toxicomanies – car il s'agit d'un phénomène pluriel – n'appellent pas une réponse univoque : s'il existait un traitement efficace à tous les coups, on le saurait depuis longtemps. Il y a des réponses de plusieurs ordres et ce qui est important, c'est de pouvoir conjuguer une large palette de méthodes selon les usages, les formes cliniques, les parcours des usagers, les produits, etc.
En ce qui concerne la loi du 31 décembre 1970, je rappelle que la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie, présidée par M. Roger Henrion, avait déjà posé la question de sa révision et qu'elle ne s'était prononcée qu'à une très courte majorité, si mes souvenirs sont bons, en faveur du maintien du régime de prohibition. Le problème, c'est que ce régime ne fait pas de distinction entre les différentes drogues. Alors qu'on sait depuis le rapport sur les problèmes posés par la dangerosité des drogues, du professeur Bernard Roques, que tous les produits ne présentent pas la même dangerosité sur le plan sanitaire et social, il n'y a pas de corrélation entre le régime de prohibition et cette dangerosité. Ainsi, l'alcool est responsable de 35 000 morts par an, voire de 100 000 quand sa consommation est associée avec le tabagisme, et le coût qui en résulte pour la collectivité est de 300 euros par an par habitant. L'Institut national du cancer parle même de dangerosité dès la consommation quotidienne d'un seul verre. Ce produit est donc aussi, voire plus dangereux que le cannabis. Il est pourtant licite.
Soyons clairs, nous sommes tous convaincus ici que les substances psycho-actives présentent trois caractéristiques : des effets modificateurs du comportement qui peuvent être dangereux, la possibilité d'induire des addictions et des effets toxiques. La question est de savoir si la prohibition est le bon régime. La prohibition de l'usage privé des produits illicites, voilà la grande nouveauté introduite par la loi du 31 décembre 1970 : jusqu'alors, seul leur usage public était interdit. S'il est difficile d'avoir des certitudes sur un sujet aussi compliqué, j'observe qu'on commence, un peu partout dans le monde, à s'interroger sur le caractère peut-être contre-productif de la prohibition, d'autant que la licéité de l'usage d'un produit n'interdit pas la possibilité d'injonction thérapeutique et de réponses sociales en cas de mise en danger d'autrui, comme c'est le cas pour l'alcool. En réalité, la loi du 31 décembre 1970 n'apporte pas de réponse conforme à une conception addictologique : elle traite des produits, non des comportements. Or, selon beaucoup d'addictologues, il peut y avoir des « usages doux » de « drogues dures » et des « usages durs » de « drogues douces ». Certains usages privés et occasionnels de drogues ne sont pas plus dangereux que certaines consommations privées et occasionnelles d'alcool. Quant à l'escalade, je m'inscris en faux contre ce qu'a dit M. Jean Costentin : elle n'a rien de certain. Je préfère la « théorie de la porte ouverte », selon laquelle le franchissement d'une première étape peut conduire à une deuxième étape, etc. Quoi qu'il en soit, nous plaidons pour une révision de la loi de façon à ce qu'elle prenne en compte l'ensemble des problèmes d'addiction, au-delà de la dichotomie entre substances licites ou illicites. Elle pourrait ainsi, tout en maintenant l'illicéité de certains produits, ne plus en prohiber l'usage. Un tel choix faciliterait le traitement des toxicomanes, la prohibition dissuadant certains d'entre eux de demander des soins.