Le Centre national de prévention, d'études et de recherches en toxicomanie n'est pas une association « quantitative », mais plutôt « qualitative », dont les membres sont issus des académies nationales de médecine et de pharmacie, des instituts et du monde de la recherche. Il s'assigne trois missions principales.
La première est la prévention des drogues et des toxicomanies, pour laquelle certains d'entre nous font régulièrement l'effort d'aller au contact des équipes éducatives et des lycéens.
La deuxième est une réflexion visant à démonter toutes les manipulations qui, dans notre pays et ailleurs, s'attachent à « enrober » le problème des toxicomanies. La drogue est en effet volontiers travestie en médicament, comme on l'a vu récemment avec le cannabis. Quant à l'argument scientifique, étant moi-même titulaire de trois doctorats et ayant dirigé pendant trente ans et jusqu'à une date récente une unité du Centre national de la recherche scientifique, je me crois aussi habilité que d'autres à déterminer ce qui est « scientifiquement prouvé ». Dans ce vieux combat contre les toxicomanies, on prétendait, voilà une dizaine d'années, que bien des choses avaient été prouvées à propos du cannabis. Nous disposions cependant d'éléments scientifiques nous permettant d'affirmer qu'il ne s'agissait pas de la drogue douce, la « fumette » que certains présentaient avec beaucoup de complaisance, mais d'une « cochonnerie », comme l'a confirmé tout ce qui a été établi depuis lors – son rôle dans la dépendance physique et psychique, l'anxiété, la dépression et la relation maintenant clairement démontrée avec la schizophrénie.
Quant à l'« expérimentation », le terme – employé de façon récurrente pour les « salles de shoot » – devrait renvoyer à une nouveauté. S'agit-il donc de refaire ce qui a déjà été expérimenté au Canada ou ailleurs ? Par ailleurs, à la différence de l'Europe du Nord, la France n'a pas la culture de l'expérimentation. Tout ce que nous faisons est gravé dans le marbre : pour l'effacer, il faut casser la tablette. Ce n'est pas à des spécialistes de la politique que j'apprendrai combien une loi engage l'avenir. Quand on met les pieds sur une terre nouvelle, il faut le faire avec d'infinies précautions.
En matière de toxicomanie, les données françaises sont calamiteuses. Sur les vingt-sept pays de l'Union européenne, les Français sont les plus gros consommateurs de cannabis, car la notion de drogue a été biaisée. Les salles de consommation seraient d'ailleurs un argument supplémentaire en faveur de l'idée qu'il pourrait y avoir une « drogue médicament ».
L'escalade dans la consommation de drogues – qui, selon ce que disaient certains voilà dix ans, n'existait pas et n'était qu'un fantasme de neurobiologistes – est aujourd'hui un phénomène prouvé. On sait qu'il existe des polytoxicomanies et que la gradation qui fait passer de la caféine au tabac, puis au cannabis, à l'alcool et à la cocaïne, se termine avec l'héroïne. Engagés depuis douze ans dans des actions contre la légalisation du cannabis, nous sommes surpris de constater que les mêmes personnes qui prônaient « l'ouverture du robinet » se retrouvent aujourd'hui prêts à attendre à l'arrivée ceux qui sont issus de ce lamentable cheminement.
L'idée même de salles de consommation comporte de nombreuses perversions logiques. D'abord, elle change l'image de la drogue, qui pourrait être perçue d'une manière compassionnelle par la société, laquelle organiserait des systèmes permettant de venir se l'injecter tranquillement. Les tenants de la manipulation objectent qu'on ne se procurera pas de drogue sur place et qu'il faudra l'apporter de la rue. Or, chacun sait que la drogue de la rue est terriblement coupée : on tolérerait donc, sous contrôle médical, des injections qui ajouteraient aux dégâts de la drogue ceux résultant des nombreux ingrédients dont elle est coupée. Quel médecin fidèle à son serment d'Hippocrate pourrait superviser une telle démarche ? Il est en outre aberrant de prendre en charge une toxicomanie en facilitant l'accès au produit qui la provoque. C'est ce qu'a rappelé récemment l'Académie nationale de médecine, n'en déplaise à certains détracteurs qui n'ont vu là qu'une démarche idéologique et ont voulu gommer les préoccupations sanitaires qui l'animaient.
La substitution peut être un outil, mais pas une fin en soi. Il convient en particulier de veiller à éviter son détournement. Un tiers du marché de la buprénorphine servirait actuellement, dans notre pays, à contaminer de jeunes individus qui n'étaient pas encore passés aux agents morphiniques et entreront par ce sas dans l'héroïnomanie, dont on voit d'ailleurs le nombre de victimes croître à la mesure de l'augmentation de ce détournement. Il est insupportable qu'un produit qui coûte si cher à la collectivité nationale puisse être à ce point détourné. Il s'agit d'un outil intéressant s'il est employé dans une démarche de diminution des doses, en se fixant pour but l'abstinence.
La substitution n'est d'ailleurs pas la seule solution. Si rudes soient-ils, certains sevrages secs sont très efficaces – j'en ai vu –, ce qui ne signifie pas que cela doive être la règle, car le toxicomane est un sujet malade qui mérite toute notre compassion. Il faut penser aux communautés thérapeutiques et veiller à un bon usage des médicaments de substitution. Je le dis et le répète : commencer par la buprénorphine est une erreur. On devrait toujours commencer par la méthadone et en diminuer très progressivement les doses avant de passer à la buprénorphine.
De nombreuses associations ont déploré le manque de moyens mis en oeuvre dans le domaine des toxicomanies, mais le coût des salles de consommation serait précisément autant de moyens détournés de la prévention et de la prise en charge ou du sevrage.
Le plus grand des risques est celui de la diffusion des drogues. Oui à la réduction des risques, mais en aucune façon en facilitant la diffusion des drogues.