Le Groupe SOS, avec l'une de ses trois associations fondatrices, SOS Drogue international, gère une trentaine d'établissements de nature très diverse – des « sleep-in » célèbres dans certains arrondissements parisiens et marseillais à des communautés thérapeutiques en province, du Sud de la France à la Guyane. Proposant aussi bien des dispositifs de réduction des risques que des appartements thérapeutiques ou des dispositifs d'accueil de jour, nous observons un renforcement des demandes d'admission pour tous les types de structures. Sur le plan quantitatif, le dispositif a vraisemblablement diminué au cours des dernières années, avec la disparition d'un certain nombre d'associations et de lieux de soins de petite taille. Les structures encore existantes continuent de recevoir des demandes d'admission, à raison de cinq ou dix pour une place disponible. En même temps que nous recevons des personnes de plus en plus âgées, exclus vieillissants ne trouvant plus de place ailleurs, nous constatons un rajeunissement de la moyenne d'âge.
Les politiques de réduction des risques nous semblent essentielles à la résolution du problème de santé publique lié aux toxicomanies, mais elles ne sont pas les seules solutions. C'est en outre une erreur majeure que d'opposer santé publique et sécurité publique. Lorsque nous proposons des offres de santé publique efficaces, les usagers de drogues sont certes mis à l'abri, mais nous constatons aussi – notamment, depuis 1994, dans le cadre du « sleep-in » du 18e arrondissement de Paris – que plus de 80 % des personnes accueillies pour la nuit font des demandes de soins et de départ en établissement de post-cure ou en communauté thérapeutique. L'idée que cette population ne voudrait pas de soins est donc erronée : elle n'avait simplement pas accès aux soins en raison de seuils d'exigences institutionnelles trop élevés. Chaque fois qu'on abaisse le niveau de l'accès à l'offre de soins, on permet à des populations plus exclues de s'en saisir. Ces populations ont autant envie que les autres d'être soignées.
On constate une augmentation de près de 50 % de la fréquentation de l'établissement parisien du « 110 Les Halles », soit une suroccupation de 50 % en accueil de jour et en salle de repos. Cette situation risque de remettre en cause le travail difficile accompli, avec l'aide des élus locaux, pour faire admettre de tels établissements par la population du voisinage. En effet, le doublement du flux pourrait devenir insupportable aux riverains. La santé publique, c'est aussi de la sécurité publique : les injections étant impossibles à l'intérieur des établissements, les personnes prises en charge pratiquent leurs injections dans la rue, sous le porche des immeubles voisins, ce qui n'améliore ni la sécurité publique, ni la santé publique. Permettre l'injection sous contrôle médical améliorerait les conditions de cette pratique et limiterait les risques d'accident, tout en diminuant les nuisances pour les riverains. Face à l'ensemble des études scientifiques menées sur le sujet, la position de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie est parfaitement idéologique, voire obscurantiste.
En termes de politique publique, on observe d'importants progrès du côté des élus locaux qui voient bien les conséquences de la politique de réduction des risques pour les quartiers qu'ils administrent. La mairie de Marseille a ainsi fait savoir qu'elle serait prête à accompagner la création d'une salle d'injection et le cabinet de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, alors ministre chargée de la santé, avait lui aussi indiqué officieusement qu'il serait prêt à accepter une telle expérimentation. Sur le plan national cependant, on pourrait résumer la situation d'une phrase : il n'y a plus de politique. Les velléités d'expérimentation du ministère de la santé sont pratiquement annulées par les positions idéologiques de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, qui n'ont de rapport avec la réalité ni en matière de santé publique, ni en matière de sécurité publique. De vraies améliorations avaient pourtant été réalisées dans le passé, notamment grâce aux positions courageuses de certains ministres chargés de la santé, comme Mme Michèle Barzach, qui a autorisé la mise en vente libre des seringues, ou Mme Simone Veil, et la mission interministérielle elle-même avait fini par adopter, ces dernières années, une politique à peu près équilibrée.