Psychiatre addictologue à l'hôpital à Reims et en milieu associatif, je suis ici en ma qualité de président de l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, vieille association fondée par Claude Bernard et Louis Pasteur, qui gère, sur l'ensemble du territoire national, quatre-vingt-cinq établissements médico-sociaux, centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie et centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues, autorisés par les agences régionales de santé et financés par l'assurance maladie. Notre activité de prévention, de soin, médico-sociale et d'accompagnement emploie 1 400 professionnels et accueille annuellement 70 000 usagers.
La loi du 31 décembre 1970, qui structure la politique publique en matière de toxicomanie, devrait être modernisée, car les connaissances, les usages, le contexte socio-historique et les pratiques de consommation ont beaucoup changé. Lorsque j'étais étudiant – et donc consommateur potentiel –, on parlait de « la » toxicomanie et j'étais incapable de faire la différence entre le « shit » et l'héroïne, de sorte que j'aurais pu consommer l'un ou l'autre, avec des risques très différents.
Aujourd'hui, il faut parler « des » toxicomanies car les effets, les risques et les dommages et, surtout, le statut des produits sont pluriels. En matière d'addictologie, du reste, toute la politique publique est marquée par la dichotomie opposant les substances licites et illicites. La loi qui a rendu licites les jeux de hasard et d'argent en ligne, précédemment prohibés, montre qu'il est possible de réviser périodiquement les lois et d'évaluer les politiques publiques afin de voir comment les améliorer.
En outre, depuis 1998, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie et ses présidents successifs ont fait évoluer les approches, l'approche par produit ayant cédé la place à une approche par comportement. Or les comportements sont eux aussi pluriels, avec des risques divers induisant des états plus ou moins pathologiques, selon un continuum clinique de gravité. Les politiques publiques, tant au niveau de la prévention qu'à celui de la réponse, doivent donc couvrir un spectre très large et répondre à des besoins de plus en plus différenciés que les usagers eux-mêmes, « engloutis » dans les toxicomanies, sont souvent de moins en moins en mesure d'exprimer et qu'il incombe de plus en plus aux professionnels d'identifier.
Pour formuler à grands traits quelques propositions, il nous faut construire une politique publique visant, au-delà des toxicomanies, l'ensemble des comportements addictifs, quel que soit le caractère, licite ou non, des produits sur lesquels ils portent. Ainsi, l'aide que l'on peut apporter aux personnes susceptibles de devenir toxicomanes du jeu – les « joueurs pathologiques » – exige elle aussi la mise en place de dispositifs d'accès aux soins, de repérage et d'aide. Il y aurait aussi beaucoup à faire pour ce qui concerne l'alcool. La démarche doit être globale, addictologique, privilégiant une approche par les comportements et des réponses diversifiées en fonction de leur sévérité, de la gravité des conséquences et des besoins des patients dans leur parcours de vie.
Nous disposons à cette fin des instruments nécessaires, avec notamment une prévention – au sens de l'éducation à la santé – qui doit s'appliquer en amont des premières consommations. Le dispositif français en la matière est toutefois, par rapport à celui des pays étrangers, très peu financé et c'est sans doute là un des enjeux de la prochaine loi de santé publique.
Il faut aussi renforcer le maillage territorial des structures de proximité qui mettent en oeuvre les actions de réduction des risques évoquées par les orateurs précédents, en augmentant notamment le nombre de centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues. À titre d'exemple, celui de la Marne, ouvert depuis un an, est doté d'un financement de 125 000 euros, soit environ deux équivalents temps plein, pour un département de 550 kilomètres carrés et 550 000 habitants : l'offre d'accompagnement est donc limitée à la ville de Reims, voire à un simple quartier de celle-ci. Il est certes inévitable que la construction d'un tel dispositif soit progressive, mais le maillage n'en doit pas moins être densifié, afin que nous puissions aller au plus près des personnes vulnérables qui ne viennent pas spontanément vers nous.
Pour ce qui est des salles de consommation à moindres risques, qui sont dans une large mesure à l'origine de cette mission d'information, des associations d'élus se sont documentées et ont établi que des expériences plutôt positives avaient été menées à l'étranger. L'expertise collective de l'INSERM consacrée à la réduction des risques chez les usagers de drogues, publiée le 2 juillet dernier, a proposé bien d'autres mesures que nous soutenons.