Ce sujet représente en effet un défi majeur pour l'industrie française. Mon collègue Thierry Mariani a parfaitement résumé les enjeux, notamment en matière de réglementation et de suivi du secteur ferroviaire. Je souhaiterais pour ma part évoquer plus directement l'industrie ferroviaire, ses entreprises, son savoir-faire et ses emplois, en insistant sur son poids en France et son positionnement dans une concurrence internationale toujours plus vive.
Notre filière ferroviaire recouvre trois segments principaux d'activité. D'abord, la construction des matériels roulants, avec les motrices, les voitures de voyageurs, les wagons de marchandises et l'ensemble des composants, depuis les bogies jusqu'aux roues, en passant par les freins. Ce segment représente 77 % du marché français et surtout 80 % des exportations de la filière ferroviaire, dont vous connaissez les principaux acteurs – Alstom, Bombardier et Siemens Mobility.
Ensuite, les infrastructures et la signalisation – la fabrication des rails, des caténaires, des appareils de contrôle et de sécurité – c'est-à-dire 18 % du marché français.
Enfin, la réparation et le reconditionnement des appareils roulants, autrement dit la « maintenance », qui représente 5 % du marché.
L'industrie ferroviaire, dans ses trois composantes, emploie directement 17 000 personnes pour un chiffre d'affaires de 4,1 milliards en 2009, dont 1,1 à l'export. Elle contribue de manière positive à notre balance commerciale à hauteur de 720 millions. Il s'agit surtout d'un secteur historique et emblématique. La France a toujours misé sur le développement du train : avec le lancement du TGV en 1981, le sauvetage d'Alstom par l'État en 2004 ou, plus récemment, le lancement des chantiers du Grenelle de l'environnement. Et la France a su exporter ses productions.
Notre industrie ferroviaire dispose de nombreux atouts, liés à cette tradition et à l'existence d'entreprises publiques et privées de premier plan. L'originalité de notre filière ferroviaire est d'être concentrée autour de quelques grands acteurs, qui l'animent avec le concours de nombreuses PME. Je pense évidemment à Alstom, en premier lieu – la filiale Transport de ce groupe emploie 8 800 personnes en France sur onze sites. Elle a acquis un leadership mondial dans la très grande vitesse. Je pense aussi à la SNCF, à la RATP ou à Systra, leur filiale commune, qui enregistre de grands succès à l'international depuis sa création en 1997.
Autour de ces acteurs de premier rang, gravitent de nombreuses PME, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais, ce berceau historique du ferroviaire que vous connaissez bien, monsieur le président, et qui rassemble toujours près de 60 % des effectifs de cette industrie. Les trois grands constructeurs y sont implantés ainsi que la quasi-totalité des grands organismes et instituts du ferroviaire.
Toutefois, ce seul constat ne suffirait pas à assurer l'avenir de l'industrie ferroviaire française. Elle a su tirer parti hier de l'ouverture à la concurrence du marché européen. Elle peut aujourd'hui bénéficier de perspectives de croissance favorables sur le marché mondial. Les besoins des pays émergents sont immenses, du fait d'un sous-équipement important, d'une forte croissance économique, de la saturation de leurs infrastructures routières et de leur dynamisme démographique.
Ces marchés ne sont pas, c'est vrai, intégralement ouverts à la concurrence, ils peuvent être volatils, et nos grands acteurs devront rester vigilants. Ils constituent néanmoins, pour les années à venir, une opportunité pour notre industrie, reconnue pour ses compétences et son haut niveau de fiabilité.
Toutefois, beaucoup d'incertitudes demeurent. Tout d'abord, la filière ferroviaire n'a pas été épargnée par la crise de 2008 et 2009. Si le plan de relance mis en oeuvre par le Gouvernement et le soutien important des collectivités aux projets de tramway, ont permis de préserver le marché national, l'industrie française a connu un fort repli des commandes à l'exportation, qui sont passées de 40 à 30 % de l'activité entre 2007 et 2009. Cette crise se conjugue à un essor de la concurrence internationale, avec notamment les chinois CNR et CSR, le coréen Hyundai, les japonais Kawasaki et Hitachi et les espagnols Caf et Talgo.
La filière ferroviaire a ensuite pu manqué de structuration, voire parfois de solidarité entre les différents acteurs. Je crois d'ailleurs que c'est l'un des sujets de préoccupations de votre commission. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité réagir en créant un comité de filière.
Cette conjonction de la crise et d'un manque de solidarité au sein de la filière a entraîné des difficultés pour plusieurs entreprises, notamment dans le domaine de la construction et de la maintenance des wagons. Des entreprises comme les Ateliers Bretons de Réalisations Ferroviaires (ABRF) dans les Pays-de-la-Loire, Ansaldo Breda à Cannes ou ACC à Clermont-Ferrand en subissent les conséquences : je connais vos inquiétudes à leur sujet.
Je tiens à vous dire que nos deux ministères sont très attentifs à leur devenir. Toutes les solutions sont examinées chaque fois, afin de leur donner la bouffée d'oxygène nécessaire pour surmonter la crise et préserver les emplois. Plus globalement, le Gouvernement a mis en oeuvre toute une série d'actions pour accompagner la filière et lui permettre de continuer à innover.
Je passe rapidement sur les mesures générales prises pour améliorer la compétitivité de nos entreprises, comme la suppression de la taxe professionnelle, la réforme du crédit impôt recherche ou le soutien à l'exportation. L'industrie ferroviaire est le principal bénéficiaire des 420 millions d'euros engagés chaque année au titre du FASEP (Fonds d'études et d'aides au secteur privé) et de la RPE (Réserve pays émergents), permettant d'accompagner des projets emblématiques comme les métros du Caire ou de Hanoï, ou encore la ligne à grande vitesse marocaine. Je tiens également à rappeler l'accélération de la politique des pôles de compétitivité. La région Nord-Pas-de-Calais bénéficie du pôle de compétitivité « I-TRANS », un des 18 pôles reconnus à vocation mondiale. Il a permis, à ce jour, de labelliser 67 projets d'innovation et 28 projets de recherche, pour un montant de quelque 230 millions d'euros.
Le secteur ferroviaire bénéficie également de mesures spécifiques. D'abord, la constitution d'un comité stratégique de filière ferroviaire (CSF), créé dans le cadre des États généraux de l'industrie, par mon prédécesseur, Christian Estrosi. Le CSF, présidé par le sénateur Louis Nègre, également président de la Fédération des industries ferroviaires (FIF), doit permettre une concertation de l'ensemble des acteurs, y compris les partenaires sociaux, en vue d'élaborer des propositions d'actions pour dynamiser la filière. Il a constitué des groupes de travail thématiques, qui ont déjà commencé à travailler.
De leur côté, les grands groupes prennent conscience de l'intérêt de développer des coopérations avec leurs sous-traitants, sous peine de fragiliser le réseau local. M. Henri Lachmann a raison de souligner qu'il ne faudrait plus parler de donneurs d'ordres et de sous-traitants mais de partenaires, comme en Allemagne. C'est une révolution qu'il faudrait mener à bien dans la filière ferroviaire comme dans bien d'autres.
Alstom, la RATP et la SNCF font désormais partie des 36 grands comptes qui ont adhéré aux engagements volontaires de l'association « Pacte PME », en vue de bannir sept mauvaises pratiques identifiées par le Médiateur de la sous-traitance, comme la modification unilatérale des conditions d'un contrat ou l'interruption du contrat en dehors des cas prévus. Ces engagements complètent ceux déjà pris dans le cadre de la charte des bonnes pratiques. Je fonde de grands espoirs sur ce partenariat volontaire.
L'industrie ferroviaire bénéficie enfin de la labellisation, comme Institut de recherche technologique (IRT), du projet « Railenium », qui figure parmi les six IRT qui ont été lauréats, le 9 mai dernier, de l'appel à projets dans le cadre du programme des Investissements d'avenir. Ce projet vise à créer un centre de R & D de niveau mondial dédié à l'infrastructure ferroviaire, disposant d'une boucle d'essais de cinq kilomètres pour réaliser des tests jusqu'à 120 kmh. C'est un projet de très grande ampleur, avec un budget de 550 millions, étalé sur la période 2012-2021, dont 20 % sont apportés par l'État et 15 % par le Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais. Ce projet démontre la capacité de l'État et des régions à se mobiliser ensemble pour soutenir l'industrie, notamment ferroviaire.
C'est un autre exemple des actions mises en oeuvre pour permettre à la filière française de prendre une longueur d'avance technologique par rapport à la concurrence étrangère, dans les domaines comme ceux de la durabilité des infrastructures, de la réduction de la consommation d'énergie et de la diminution des coûts de maintenance.
J'ajoute que, dans le cadre des Investissements d'avenir, l'industrie ferroviaire bénéficiera de 150 millions d'euros au sein du programme « Véhicule du futur ». L'appel à projets doit être lancé très prochainement par l'ADEME. Ces fonds financeront des programmes de R & D. Les projets seront pilotés par des industriels et orientés notamment vers la maîtrise des consommations énergétiques et des nuisances environnementales du transport ferroviaire.
Nous avons de nombreux défis à relever, et d'abord celui de la réciprocité entre entreprises françaises et étrangères. Dans le domaine ferroviaire, 30 % des marchés étrangers ne sont pas ouverts à la concurrence. C'est pourquoi j'ai confié, en janvier 2011, à M. Yvon Jacob, ambassadeur pour l'Industrie, une sur la réciprocité industrielle, afin de cerner les principaux problèmes et de faire des propositions. Je suis en contact étroit avec la Commission européenne et son commissaire chargé de l'Industrie, M. Antonio Tajani, pour faire avancer cette question essentielle, en dehors de toute tentation protectionniste. Puisque nous ouvrons nos marchés, nous attendons la réciprocité absolue.
Il reste également beaucoup à faire pour mieux structurer la filière à l'international. Le comité stratégique de filière est une bonne réponse qui demande toutefois à être approfondie. Il faut constituer une « équipe de France du ferroviaire », capable de vendre nos savoir-faire et nos compétences à l'étranger. Le président de la SNCF, lors de son audition devant votre commission, a proposé de jouer un rôle de premier plan dans ce domaine. Ce travail pourra se conduire dans le cadre du CSF. Le Gouvernement disposera d'ailleurs bientôt d'une analyse indépendante, grâce au rapport demandé à M. Abate sur la compétitivité de la filière ferroviaire. Nous rencontrons fréquemment la difficulté de faire travailler ensemble nos entreprises dans le cadre d'appels d'offre internationaux.
Notre détermination est claire : nous voulons agir pour accompagner notre industrie ferroviaire dans son développement. Si l'histoire fait remonter la première locomotive aux Anglais, la « Micheline », comme son nom l'indique, était bien française, le TGV est bien français, et nous allons essayer d'agir ensemble, vous et nous, pour que les transporteurs ferroviaires de demain soient en grande partie français !