- L'étude de l'INSERM est le résultat du travail d'un groupe de quatorze experts qui ont, durant un certain nombre de mois, auditionné des personnalités -scientifiques, médecins- afin d'enrichir cette expertise.
Trois grandes réunions ont également eu lieu avec les associations impliquées dans la réduction des risques ; la première a été tenue avant même le début de l'expertise, afin d'entendre leurs questions ; la deuxième a eu lieu en cours d'expertise et la dernière a permis de leur présenter les principales conclusions de l'expertise avant qu'elles ne les découvrent dans la presse.
Ce processus d'expertise collective est un éclairage scientifique qui doit apporter une aide à la décision et constitue une écoute d'un certain nombre d'acteurs de terrain qu'il est indispensable d'entendre. C'est néanmoins le seul groupe d'experts qui a procédé à l'analyse de la littérature internationale sur les questions de réduction des risques.
Le fruit de ce travail a donné lieu à un ouvrage volumineux et à une synthèse que je vous propose de vous présenter. Elle ne sera cependant pas forcément exhaustive et je vous invite, sur un certain nombre de points qui vous intéressent, à consulter le rapport.
Depuis plusieurs années, une politique de réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues a été mise en place en France comme dans bien d'autres pays.
Qu'est ce qui justifie une telle politique ? M. Bréart vous en a donné les éléments essentiels.
Les personnes concernées sont jeunes. La toxicomanie représente un coût non négligeable. Le coût social a été estimé en France en 2003 à 2,8 Md€ pour les drogues illicites et à 250 M€ pour les coûts directs de santé liés à l'infection par le virus de l'hépatite C. Ces mêmes chiffres s'appliquent au VIH.
Tous les plans gouvernementaux mis en place au cours des dernières années dans le domaine de la toxicomanie ou des hépatites présentent donc un volet consacré à la réduction des risques infectieux -plan MILDT, plan Addictions, plan Hépatites, pour ne citer que ceux-là.
La politique de réduction des risques se décline en programmes. Deux grands types de programmes constituent cette politique, celui d'échange de seringues (PES) et les traitements de substitution aux opiacés (TSO).
Ces grands types de programmes ont été évalués et nous avons analysé dans l'expertise les résultats de ces évaluations qui figurent dans la littérature internationale. Ces évaluations ne sont, en effet, pas uniquement françaises.
Une question importante est de savoir quels types d'indicateurs on retient pour évaluer ces programmes. On peut s'intéresser à des indicateurs proximaux -pour savoir si un programme va agir sur le comportement des usagers- ou à des indicateurs distaux -afin de connaître l'impact du programme sur l'incidence de l'infection par le VIH ou le VHC.
Ce dernier indicateur est le plus intéressant ; néanmoins, on a pu constater qu'il était plus difficile à mettre évidence dans les études d'évaluation.
Des études récentes ont montré un effet visible sur l'incidence des infections VIH et VHC si on prend en compte la combinaison des programmes PES et TSO.
Une troisième étude récente associant les programmes PES, TSO et l'éducation par les pairs a pu démontrer une efficacité de ce type de programme en milieu pénitentiaire sur l'incidence du VHC.
Un autre moyen d'évaluer des programmes est d'étudier le rapport coût-efficacité. Les résultats viennent confirmer les précédents et on peut dire que, globalement, ces deux grands types de programmes ont fait la preuve de leur efficacité dans la réduction des risques d'infection VIH et VHC -même si cela reste plus difficile à démontrer pour le VHC.
Une politique, des programmes, un dispositif : un dispositif de réduction des risques existe en France. Rappelons quelques dates marquant la mise en place de ce dispositif : en 1987, décret autorisant la vente libre des seringues en officines ; en 1994 et 1995, diffusion des Stéribox en kit et PES ; en 1994, prescriptions possibles par tous les médecins de buprénorphine haut dosage (BHD) ; en 2003, prescriptions par tous les médecins exerçant en établissements de santé de la méthadone ; en 2006, mise en place des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues CAARUD).
Quelle est la disponibilité de ce dispositif et l'accessibilité de ses outils ?
En 2008 en France, près de 14 millions de seringues ont été vendues ou distribuées. La répartition est la suivante : 9,5 millions de seringues ont été vendues à l'unité ou distribuées en Stéribox en pharmacie, le reste -4,3 millions- étant fourni par les CAARUD ou par des automates. Cela correspond à 170 seringues par an et par usager en moyenne. Pour certains ce dispositif apparaît satisfaisant pour d'autres encore insuffisant.
Le programme concernant les traitements de substitution aux opiacés -buprénorphine et méthadone- fait apparaître que 130.000 usagers de drogues ont reçu une prescription de TSO en 2009. Ce chiffre est issu de deux sources, les usagers vus par les centres spécialisés et les usagers vus par les dispositifs de réduction des risques (RDR), ce qui pourrait signifier que la majorité des usagers injecteurs sont sous traitement.
Cinq recommandations ont été formulées par le groupe d'experts à propos de ces programmes et des dispositifs existants.
La première concerne le déploiement du dispositif au niveau territorial et en particulier une modernisation nécessaire du réseau d'automates, vieillissant. Soulignons également que deux départements n'ont ni CAARUD ni centres de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA).
La deuxième recommandation insiste sur une prise en charge globale multidisciplinaire à la fois somatique, psychologique, sociale des usagers. Par ailleurs il apparaît indispensable d'adapter les traitements de substitution à la sévérité de la dépendance en termes de posologies, de produits eux-mêmes, de galénique et de proximité du suivi médical.
Une troisième recommandation concerne la prévention du passage à l'injection ou encore la promotion de modes d'administration à moindres risques comme le fait de passer de l'injection à l'inhalation par exemple ; je n'insiste pas : vous aurez l'occasion d'auditionner les personnes de l'INPES qui s'intéressent à ce type de prévention.
Enfin le groupe d'experts a souhaité formuler deux recommandations qui s'adressent à des populations particulières, comme la population des femmes toxicomanes : il est nécessaire de développer des programmes spécifiques pour les femmes -suivi de grossesses, assistance en cas de violences- et de mettre en particulier en place des centres d'accueil mère-enfant.
Une autre recommandation importante pour le groupe consiste à promouvoir une politique de soin et de RDR en milieu pénitentiaire. Cela implique de réaliser un état des lieux, de pallier les carences et d'appliquer le principe d'équité d'accès aux soins et aux mesures de RDR pour les personnes détenues. Vous aurez sans toute l'occasion d'y revenir…
Enfin, l'expertise collective a fait un point de la littérature scientifique sur un dispositif complémentaire à ceux précédemment évoqués, les centres d'injection supervisés (CIS), ainsi désignés dans la littérature.
La plupart sont déjà anciens et sont ciblés essentiellement sur l'injection. La définition donnée au niveau des instances européennes est la suivante : un centre d'injection supervisé peut être défini comme une structure où les usagers de drogues par injection peuvent venir s'injecter des drogues -qu'ils apportent et qu'on ne leur fournit pas- de façon plus sûre et plus hygiénique sous la supervision de personnel qualifié. Cette structure est insérée dans un réseau de services dont elle représente un élément très spécialisé lié à la question de l'injection.
Les CIS ont une histoire. Ils ont été mis en place à la suite d'une succession d'événements dont les trois principaux sont le développement d'une épidémie de consommation de drogues par injection -héroïne et plus récemment cocaïne- l'arrivée de l'épidémie de VIH et la présence constante de consommateurs de drogues en situation d'extrême précarité, souvent sans domicile fixe, se piquant dans l'espace public.
Le premier centre ayant reçu une autorisation est celui de Berne, en Suisse, en 1986.
Les objectifs premiers des centres d'injection supervisés étaient donc de diminuer les nuisances, les délits, éviter les problèmes de santé publique liés au matériel d'injection abandonné dans l'espace public et obtenir l'adhésion des habitants du quartier.
Les objectifs pour les usagers sont de répondre à leurs besoins, de réduire les risques liés à l'injection, réduire la morbidité et la mortalité, améliorer l'accès aux soins et ne pas engendrer d'effets secondaires en augmentant par exemple le nombre d'injecteurs.
La littérature présente quelques évaluations de ces centres. Les évaluations réalisées ont pris en compte quatre types d'indicateurs.
Ces centres permettent-ils d'atteindre les injecteurs à hauts risques ? Généralement, les centres remplissent cette mission…
Améliorent-ils l'état de santé des usagers ? Oui, ils permettent de diminuer les comportements à risque même si l'on a plus de difficultés à démontrer l'effet sur l'incidence du VHC.
Ils permettent de réduire la mortalité, en particulier par overdose et ont un impact sur l'ordre public puisqu'ils permettent de réduire la consommation dans les lieux publics et les nuisances.
Un autre indicateur utilisé est le coût-efficacité : comme pour les programmes d'échanges de seringues, les résultats sont efficaces pour le VIH mais beaucoup plus difficiles à mettre en évidence pour le VHC.
Une question importante concerne les règles de fonctionnement, très différentes d'un lieu à l'autre : le centre doit-il être réservé aux majeurs ou peut-il être ouvert aux mineurs ; peut-il être ouvert aux résidents, aux femmes enceintes, aux personnes en traitement ? Quelles sont les durées de séjour ? L'enregistrement est-il nominal ou anonyme ? Faut-il une carte, un règlement intérieur qui fixe des interdits et des sanctions pour non-respect des règles en vigueur ? Autorise-t-on une première injection ? Quelle est la réglementation par rapport aux substances illicites ? Quels sont les sites d'injection autorisés ? Ces quelques exemples témoignent de la diversité des questions à aborder en ce qui concerne le fonctionnement d'un centre.
Compte tenu de ces éléments, la recommandation du groupe d'expert est que toute expérimentation de ce type de dispositif doit être précédée d'une étude des besoins afin de définir des objectifs spécifiques. Il faut prendre en considération le problème de l'injection en public, celui du nombre d'injecteurs sans contact ou en rupture avec des structures de soins, celui du nombre d'overdoses mortelles ainsi que la question de l'évolution des modalités de consommation. Doit-on privilégier le crack plutôt que l'héroïne par exemple ?
Voilà un ensemble de questions importantes à prendre en considération.
Par ailleurs un tel dispositif complémentaire ne peut être expérimenté que sous une forme intégrée à un dispositif plus large de services, avec une bonne communication entre ces services.
Enfin, pour garantir un fonctionnement adéquat, il faut qu'il y ait un consensus entre les acteurs locaux, les acteurs de santé bien sûr mais aussi la police, les autorités politiques, administratives, la population en général, le voisinage immédiat et les usagers eux-mêmes.