Au moment du pic de l'épidémie, en décembre, plus de 60 % étaient positifs. Plus de dix mille ont été réalisés la saison dernière contre cinq mille environ d'habitude au sein des groupes régionaux d'observation de la grippe. Il était bien évidemment impossible aux médecins du réseau d'effectuer un prélèvement chez tous leurs patients, pour des raisons à la fois de coût et de charge de travail induite en aval dans les laboratoires de virologie. Nous avons mis au point en 1984 une méthode statistique de surveillance, devenue depuis un standard mondial, consistant à demander à diverses vigies de dénombrer le nombre de sujets apparemment grippés et d'effectuer des prélèvements sur un échantillon de patients. Cette méthode, à la fois très sensible et fiable, permettant de détecter les cas de grippe même lorsqu'ils sont peu nombreux, facilite le suivi au plus près de toutes les épidémies, fortes ou faibles.
Mais il se trouve qu'en raison de la médiatisation de la pandémie entre avril et juin dernier, nous avons dû stopper les prélèvements afin de ne pas déclencher une grève à La Poste ! En effet, les postiers avaient peur que ces prélèvements, qu'ils auraient dû acheminer, ne contiennent du virus H1N1, qu'ils percevaient comme redoutable, mortel… Nous avons discuté avec La Poste ainsi qu'avec la direction générale de l'aviation civile, nombre de prélèvements étant acheminés par voie aérienne, afin de mettre au point un protocole d'envoi avec des emballages étanches, parfaitement sûrs pour les personnels amenés à les manipuler. Cela a pris deux mois et demi et il a fallu plusieurs interventions ministérielles pour aboutir. Nous n'avons pu recommencer à effectuer des prélèvements qu'à la mi-juillet.
Pourquoi les pouvoirs publics ont-ils décidé du jour au lendemain que ces prélèvements n'avaient plus lieu d'être, alors qu'ils avaient été jusque là systématiques chez tous les sujets grippés, et à partir de quand ce virage à 180 ° était-il pertinent ? C'est une tout autre question que celle de la surveillance épidémiologique, liée à une stratégie de confinement des patients contaminés. Le socle du plan de lutte français contre la pandémie, comme dans beaucoup d'autres pays, était qu'il fallait gagner du temps. Pour ce faire, dans une première phase où les cas sont rares, il faut isoler les malades le plus vite possible, effectuer le prélèvement nécessaire pour confirmer qu'ils sont bien atteints de la grippe pandémique, et les maintenir confinés tant qu'ils sont contagieux. Cela a été fait dans une perspective très hospitalo-centrée. Nous avions dit à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques il y a deux ans que dans la gestion d'une pandémie, le problème principal serait celui de la communication. Nous avions souligné qu'il serait difficile de faire comprendre à nos concitoyens, ainsi d'ailleurs qu'au corps médical, que pendant quelques semaines, tout malade présumé grippé devrait être isolé à l'hôpital, soigné par des personnels équipés de masques, gants et combinaisons, puis que du jour au lendemain, les malades pourraient être traités en ville. Et en effet, ce message a eu du mal à passer, d'autant que les médecins hospitaliers, au départ heureux de faire la preuve de leur rôle clé en situation de crise sanitaire – quelques-uns d'entre eux se sont abondamment exprimés sur les ondes et ont même fait de la surenchère – ont très vite été ennuyés, avec leurs lits d'isolement et de réanimation encombrés de patients atteints simplement d'une grippe et n'allant pas si mal que cela. Dès juin, lors d'une réunion avec la ministre, certains médecins hospitaliers – je pense notamment aux professeurs Pierre Carli et François Bricaire – ont fait valoir qu'il n'était pas justifié de bloquer des lits dans leur service pour des malades dont la vie n'était pas en danger et qui avaient seulement besoin d'être isolés, au risque que des malades très graves ne puissent plus être hospitalisés faute de place. C'est alors qu'ils ont préconisé un basculement du dispositif vers la médecine de ville et demandé qu'on n'hospitalise plus systématiquement les patients suspectés de grippe. Ce basculement ne s'est toutefois opéré que fin juillet.
Pourquoi ce décalage, que l'on a retrouvé de manière récurrente durant toute la pandémie ? Entre le moment où, sur le terrain, on sentait que des adaptations étaient nécessaires et celui où les décisions prises étaient effectivement mises en oeuvre, il s'est à chaque fois écoulé un délai de trois semaines. Je ne pense pas que ce soit la faute des responsables politiques mais plutôt de l'organisation alors en place. Le circuit court qui permettait que des décisions soient prises très rapidement entre le ministre de l'intérieur, le cabinet du Président de la République et le ministre de la santé, garantissait efficacité et réactivité, mais présentait l'inconvénient suivant : l'administration, au travers notamment des agences sanitaires gouvernementales, se sentait quelque peu exclue, si bien que lorsqu'elle était sollicitée pour entrer de nouveau en jeu, le délai nécessaire était d'environ trois semaines, ce qui a eu des conséquences extrêmement dommageables, notamment auprès des médecins de ville.