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Intervention de Didier Tabuteau

Réunion du 13 avril 2010 à 15h00
Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe a

Didier Tabuteau, conseiller d'état, directeur général de la Fondation Caisses d'épargne pour la solidarité et directeur de la chaire Santé de l'Institut d'études politiques de Paris :

En revoyant, à la lumière de l'intitulé de la commission d'enquête, le « film » de la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1), je me suis posé six questions – auxquelles je ne sais d'ailleurs pas toujours répondre – sur la manière dont on aurait pu gérer cette situation et dont on pourrait à l'avenir gérer une situation similaire, car je suis persuadé que, depuis une dizaine d'années, nous sommes entrés dans une ère où de tels événements se reproduiront.

La première question, à laquelle j'apporterai le moins de réflexions personnelles, est celle de la légitimité de l'alerte. Bien que n'étant pas en mesure de juger d'un point de vue scientifique des données, notamment épidémiologiques, dont on disposait au départ – je ne suis spécialiste que des politiques publiques de santé –, je considère qu'il est important de se livrer à une analyse rétrospective. Or, ayant suivi l'évolution de l'épidémie par la presse, j'ai constaté qu'ont perduré jusqu'en octobre 2009, bien que de plus en plus contradictoires, des signaux indiquant une épidémie grave. Le débat actuel montre que la diffusion des données par l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, aux instances sanitaires nationales a suscité un questionnement inédit sur la manière d'élaborer une procédure permettant un examen partagé des données épidémiologiques et de santé publique. Je formulerai à la fin de mon exposé une proposition sur ce point.

La deuxième question qui se pose est celle de la proportionnalité de la réaction. En effet, le principe de précaution est d'abord un principe de proportionnalité : la riposte doit être adaptée au risque tel qu'il est apprécié à l'instant où l'on doit se prononcer – ce qui est, bien évidemment, très difficile. Or, nous manquons de moyens permettant d'évaluer le risque. Ainsi, il est toujours difficile d'apprécier le rapport coûtrésultats, par exemple, de dispositifs de santé publique visant à prendre en charge des cas de méningite, ou même celui d'une campagne de vaccination saisonnière. Si nous disposons d'un travail assez bien documenté sur le cancer, qui remonte à plusieurs années et auquel il me semble d'ailleurs que M. Claude Le Pen a participé, nous manquons, dans l'affaire qui nous occupe, d'éléments de référence quant aux coûts médicaux directs – les vaccins – et aux coûts évités, comme les arrêts de travail ou les pertes de production.

La troisième question consiste à se demander quels étaient les objectifs de la politique de santé publique définis au début de l'épidémie et à mesure que s'imposait la conviction qu'un vaccin serait disponible. De fait, pour apprécier les résultats d'une politique, il faut d'abord en définir les objectifs. S'agissait-il de vacciner toute la population – et, dans ce cas, pourquoi la vaccination n'a-t-elle pas été rendue obligatoire ? De vacciner une part suffisante de la population pour endiguer l'épidémie, sachant qu'au-delà d'un certain seuil d'immunisation peut jouer un effet de protection collective ? De vacciner tous les volontaires ? Ou s'agissait-il, enfin, de vacciner tous les volontaires des groupes à risques ? Il m'a semblé que l'objectif était de vacciner tous les volontaires, toutes les personnes souhaitant être vaccinées. En effet, la vaccination n'a pas été rendue obligatoire et, même si l'on a défini des ordres de priorité, le dispositif consistait à permettre à chacun de recevoir un bon de vaccination.

La quatrième question est alors de savoir quels ont été les résultats au regard de l'objectif. S'il s'agissait de vacciner toute la population, le taux de réussite serait évidemment très bas mais, même dans l'hypothèse où l'objectif était de vacciner toutes les personnes volontaires, je sais par des retours qualitatifs, à défaut de données quantitatives, que tous ceux qui souhaitaient être vaccinés n'ont pas pu l'être avant le mois de décembre, à un moment où l'épidémie était pleinement présente sur le territoire national. Il s'agit, dans ce cas, d'un échec, alors même que la quantité de doses vaccinales disponibles aurait permis d'atteindre le résultat visé.

Par ailleurs, cette opération de santé publique a ravivé les tensions entre médecins et pouvoirs publics, séparés par un malentendu historique qui remonte à la création des officiers de santé par la Révolution française, voilà plus de deux siècles. Depuis une vingtaine d'années, des initiatives ont été prises pour tenter un rapprochement. La construction du programme de vaccination n'a cependant pas permis de surmonter l'opposition et, de ce point de vue encore, il ne s'agit donc pas d'un succès.

On a enfin pu observer des tensions entre les services de l'État et les services de santé publique. Certaines notes de service ont pu provoquer au sein des premiers des réactions liées à la difficulté de les mettre en oeuvre. En vue de la préparation d'une autre échéance, et en particulier au moment où se mettent en place les agences régionales de santé, il importe de remédier à cette situation.

La cinquième question porte sur le mode d'organisation. Dans l'élaboration du programme de vaccination – et quel qu'ait été le bien-fondé de celui-ci –, on a oublié que notre système de santé avait beaucoup évolué depuis la fin du xixe siècle et le début du xxesiècle et que ce système était désormais très dense, très bien structuré et capable de prendre en charge la population. Le choix d'un système administratif face à une épidémie dont le déroulement a suivi, à quelques jours près, la projection qui en avait été faite, s'est révélé dommageable. Les médecins et les pharmaciens, vecteurs naturels de l'information sanitaire, se sont trouvés, à tout le moins, en décalage par rapport aux politiques publiques. Si, dès les mois de juin ou juillet, lorsque le processus de vaccination de masse a été envisagé, on avait associé à l'élaboration du plan les professionnels de santé, par l'intermédiaire de leurs organisations professionnelles, syndicales ou ordinales, l'approche générale et les effets des programmes de vaccination auraient certainement été très différents.

Je conclurai en évoquant quelques éléments de réflexion – ou de doute – quant à la manière dont devrait être construit un système analogue si un nouveau défi du même ordre se présentait.

Le premier point, sur lequel je ne reviendrai pas, porte sur la place à y ménager pour les professionnels de santé et pour les associations de patients.

J'observe, en deuxième lieu, que la parole des institutions de santé publique s'est très peu fait entendre. Nous disposons en France, depuis les événements terribles des années 1980, d'un système de santé publique et de sécurité sanitaire très développé, qui rassemble une grande expertise et d'importantes capacités de réaction. Si, depuis le mois d'avril, des instances telles que l'Institut de veille sanitaire, le Haut comité de santé publique ou l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé avaient été officiellement saisies et si leurs avis avaient été rendus publics et discutés par l'ensemble des parties prenantes, au moyen par exemple d'auditions publiques – ou « hearings » – telles que les permet le code de la santé publique, le dispositif aurait certainement été beaucoup plus efficace et aurait bénéficié d'une plus grande crédibilité.

Ma troisième réflexion porte sur les modes de communication. Sur les risques liés à la grippe et au vaccin, cette communication a été d'une ampleur impressionnante : pour la première fois, on a assisté à une pharmacovigilance en temps réel. Il faut cependant que cette communication intervienne dans un cadre général permettant de mettre en perspective tous les éléments. C'est là un point sur lequel nous avons peu d'expérience et sans doute beaucoup de progrès à faire.

Enfin, une timidité excessive a prévalu en matière de déontologie de l'action publique, s'agissant notamment des conflits d'intérêts et de la publication de certaines données. Or, dans ce domaine qui prête aux réactions émotionnelles, le moindre élément de suspicion peut être très lourd de conséquences. C'est ainsi que des polémiques se sont fait jour à propos de liens d'intérêt que pouvaient avoir les experts, en France ou à l'étranger, avec des laboratoires pharmaceutiques. Dès le départ, la suspicion a pesé sur un programme de vaccination qui, par ailleurs, n'était pas porté par les professionnels de santé. De ce fait, la gestion de la vaccination a été un rendez-vous véritablement manqué avec la santé publique, alors même qu'un rapprochement s'était ébauché, notamment avec la création de la médecine générale de premier recours par la loi du 21 juillet 2009. À l'issue de cette épidémie, heureusement beaucoup moins grave que ce qui avait pu être annoncé au départ, la confiance a plutôt régressé sur ces sujets.

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