Les articles 5 et suivants, quant à eux, tels qu'ils étaient initialement rédigés, remettaient en cause les dispositifs conventionnels déjà applicables aux infirmiers libéraux, ainsi que les négociations en cours, Mme la secrétaire d'État l'a rappelé, avec les masseurs-kinésithérapeutes et les sages-femmes. Un consensus a été trouvé sur des méthodes de zonage assorties d'aides financières ; or ces aides disparaîtraient si le texte était adopté dans sa version initiale.
Le risque majeur reste cependant, à nos yeux, celui d'une disparition complète de la médecine libérale. La Fédération hospitalière de France s'est d'ailleurs exprimée en ce sens il y a quelques jours en proposant d'intégrer les médecins libéraux, et notamment généralistes, dans les structures hospitalières. Le projet du parti socialiste propose, lui aussi, un maillage du territoire « hospitalo-centré », la médecine ambulatoire étant appelée à s'organiser comme elle le peut autour des hôpitaux.
Pour nous, ce n'est pas la bonne solution. La disparition de la médecine libérale, qu'impliquerait votre proposition, aurait pour conséquence l'institution d'une médecine salariée, voire fonctionnarisée, avec un temps de travail divisé parfois par deux. Si les maisons de santé ont du mal à recruter des praticiens libéraux, elles n'en ont aucun à trouver des médecins salariés. Nous pensons qu'il faut réfléchir à une organisation globale de la santé, pas seulement des soins, en traitant, par exemple, de médecine préventive.
Beaucoup a certes été fait par notre majorité – législatif et exécutif confondus –, mais les résultats ne sont pas encore parfaitement nets. Nous rencontrons toujours des difficultés juridiques et financières pour créer des maisons de santé. Celles-ci doivent être vraiment interprofessionnelles et intégrer la télémédecine – vous l'avez rappelé, madame la secrétaire d'État – sur laquelle nous avons beaucoup légiféré, mais qui peine à se mettre en place, pour des raisons financières notamment. Nous avons de même beaucoup travaillé pour inciter à l'installation dans les zones défavorisées : reste maintenant – nous nous retrouvons sur ce point, monsieur le rapporteur – à élaguer le maquis touffu des propositions sur les aides existantes, à mieux les expliciter et à mieux les mettre en oeuvre.
Il faudrait enfin réfléchir à accélérer la mixité des rémunérations. Contrairement à ce qu'a dit notre collègue Le Guen, elle existe. Nous l'avons mise en place, il faut maintenant la faire vivre.
Il manque à cette proposition de loi un volet organisationnel très important, concernant notamment les relations entre la médecine ambulatoire et la médecine hospitalière, mais aussi la répartition des tâches entre professions de santé, qu'il serait possible d'améliorer avec de nouveaux modes d'exercice collectif. Une meilleure organisation des soins permettrait de doubler le temps médical disponible. Il faut réorganiser l'exercice en direction d'un temps médical prépondérant, transférer les tâches administratives et paramédicales vers d'autres professionnels. Nous manquons surtout de temps médical, pas de médecins, s'ils sont intelligemment orientés dans leur travail princeps.
Nous devons aussi revoir la formation. Les conseils nationaux professionnels, mis en place par la loi HPST et fédérés au sein de la Fédération des spécialités médicales, doivent repenser la formation initiale. Il n'y a plus assez de mixité sociale dans le recrutement des étudiants en médecine.
Nous préférerions, pour notre part, libérer les initiatives de terrain, foisonnantes, mais trop souvent bridées, et écouter les propositions, nombreuses, de l'ensemble des professionnels de santé, médecins ou non. Beaucoup d'expérimentations de terrain, nous le voyons tous dans nos territoires, ont été conduites, qui ne sont ni assez connues ni assez reconnues ni assez valorisées.
En conclusion, mes chers collègues, le renouveau de l'organisation de la santé passe par trois choix politiques.
En premier lieu, il faut regagner la confiance des professionnels médicaux et de santé. Ce sont ces professionnels qui ont encore la confiance des usagers et de leurs familles, dans un monde où la défiance est généralisée. Les nombreuses réformes trop technocratiques du système de santé depuis trente ans ont progressivement érodé la confiance de ces professionnels dans la politique, car ils ont pris conscience de l'écart grandissant entre cette succession ou ces théories de réformes et leurs pratiques professionnelles de terrain.
En deuxième lieu, nous ne pouvons éviter de nous fonder sur l'émergence d'un paradigme interprofessionnel de la santé. Des initiatives sont en cours pour accélérer cette émergence entre grandes organisations professionnelles, réseaux de recherche et établissements d'enseignement supérieur. Ces initiatives doivent permettre de ramener à sa juste place le modèle d'organisation institutionnelle de la santé, dont on ne peut dorénavant ignorer les limites dans les agences régionales de santé, et d'ouvrir enfin la voie à un modèle évolutif d'organisation interprofessionnelle de la santé.
Pour cela, en troisième lieu, il nous faut établir une grande gouvernance politique du système de santé.
La dispersion, le morcellement, la fragmentation des institutions de la santé, en particulier la dispersion des agences de l'État, la guerre larvée entre les caisses d'assurance maladie et les administrations centrales et régionales, 1'émergence d'autres formes d'assurance, notamment en ambulatoire, les difficultés de positionnement des collectivités territoriales et des partenaires sociaux, tout concourt au développement de l'insécurité institutionnelle.
Nous préférons, pour notre part, l'incitation à la coercition, la confiance à la stigmatisation, le développement de la pratique interprofessionnelle au communautarisme des professions de santé.
En conséquence, nous serons contraints, monsieur le rapporteur, et j'en suis désolé, de rejeter les amendements que vous nous proposez, qui posent, tout le monde l'a dit, de bonnes questions, mais qui, à notre avis, n'apportent pas de réponses satisfaisantes, équilibrées et pérennes.