Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Marie-Hélène Amiable

Réunion du 26 janvier 2012 à 15h00
Biologie médicale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Hélène Amiable :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous rediscutons aujourd'hui, au pas de charge, d'un texte caractéristique de l'obstination aveugle du Gouvernement depuis près de quatre ans. Le rapport Ballereau qui préconisait cette réforme date en effet de 2008, et les tribulations d'une ordonnance devenue proposition de loi après être passée par le texte « Hôpital, santé, patients, territoires », la loi Fourcade et le Conseil constitutionnel, relèvent du fiasco législatif, un fiasco qui suscite l'amertume de toute la profession.

Une amertume d'ailleurs bipolaire, une sorte de bataille des anciens contre les modernes, des praticiens contre les industriels, des hospitaliers et des libéraux aspirant à l'indépendance contre les oligarques financiers.

Contre toute attente, alors que, dans notre pays et en Europe, s'élèvent un nombre toujours plus important de voix contre la mainmise de la finance sur un nombre croissant de secteurs, notamment ceux d'entre eux qui appartiennent de droit à l'ensemble de nos concitoyens, tels que celui de la santé, par le truchement de la sécurité sociale, cette proposition de loi fait le jeu de la finance.

L'enjeu d'une telle réforme réside en toute logique dans la réaffirmation de l'indépendance des professionnels, dans la préservation du maillage territorial, dans la garantie d'un égal accès aux soins de qualité sur tout le territoire, et dans la protection du secteur de la biologie médicale contre les assauts d'investisseurs peu scrupuleux pour qui santé publique rime avec investissements juteux et sécurité sanitaire avec potentiel de croissance.

Or ce texte, sorte de confession de l'absence de volonté politique de la majorité, entérine une situation préjudiciable aux professionnels et aux usagers, et confine la biologie médicale à son potentiel de rentabilité financière, avant toute considération de santé.

Depuis plusieurs années, nous assistons à la mutation de ce secteur médical en un véritable marché de la biologie médicale et nous ne cessons de le dénoncer. Une mutation qui s'explique par plusieurs facteurs intimement liés.

D'un côté, des fonds d'investissements, tels que Duke Street ou Capio, ou des groupements, tels que Labco, parviennent à détourner les règles d'acquisition du capital des laboratoires grâce à une multiplicité de statuts juridiques permettant les participations croisées.

Leurs pratiques d'investissement agressives poussent les biologistes, jusqu'alors indépendants, à vendre à prix d'or leur outil de travail, alimentant une bulle spéculative des prix de rachat des parts de capital. La rédaction du nouvel article L. 6223-6-1 du code de la santé publique, qui vise à remédier au problème de la situation ultraminoritaire dans les laboratoires constitués en sociétés d'exercice libéral a d'ailleurs fait réagir des groupes tels que Labco, lequel y voit une disposition qui, je cite, « vise à mettre un terme à la consolidation du secteur avec le support de capitaux tiers » et nous appelle à le supprimer au nom de la réduction des coûts de notre biologie et de sa nécessaire mutation en un secteur industriel permettant des économies d'échelle. Cette mue est présentée par ceux qui veulent en tirer profit comme incontournable en raison de l'accréditation dont doivent désormais se prévaloir les laborantins et qui ne serait accessible qu'avec le support de capitaux tiers.

Cette stratégie d'accréditation couplée au benchmarking est caractéristique de l'approche technocratique du développement de tous les secteurs de l'économie au niveau européen, qui favorise des évolutions poussant des pans entiers de l'économie à des modernisations à marches forcées, avec leur lot d'économies d'échelle, de licenciements, de dépossession des travailleurs de leur outil de travail. On ne pourrait en trouver meilleur exemple que la stratégie de ces investisseurs qui, sous prétexte de réduire les coûts pour notre système de santé et d'assurer une meilleure qualité de service pour les usagers, sont en réalité vent debout contre toute norme législative ou réglementaire qui viendrait entraver le mouvement de concentration capitalistique dont ils tirent d'alléchants profits. Or cette activité spéculative se fait au détriment de l'indépendance déontologique des biologistes, pourtant constitutive de cette profession médicale.

Coté laborantins, du fait de l'existence même de cette bulle spéculative, les biologistes seniors encore propriétaires de leurs laboratoires concentrent un capital survalorisé qui place les jeunes biologistes dans une position intenable de subordination et de soumission aux pressions financières des actionnaires majoritaires. Dans ces conditions, reprendre la direction d'un laboratoire devient quasiment impossible, et en ouvrir un, impensable.

Une telle situation n'est pas sans incidence sur les biologistes, qui non contents de voir leur indépendance professionnelle assujettie aux intérêts économiques et financiers, ressentent comme une humiliation le traitement qui leur est réservé par le législateur alors même que leur rôle dans la médecine moderne et la recherche médicale est reconnu par tous !

Le résultat de cette évolution ubuesque est sans appel : des laboratoires indépendants et de proximité disparaissent tous les jours, notamment dans les territoires ruraux, au profit d'une concentration de l'activité sur des plateaux techniques éloignés des bassins de population, mettant à mal un maillage territorial pourtant exemplaire et qui donne toute satisfaction non seulement aux usagers mais également en termes de qualité du service médical rendu. La concentration que subit le secteur accentue donc le phénomène d'inégalité d'accès aux soins. Non seulement la situation des laboratoires de biologie médicale et des professionnels qui y exercent est désormais préoccupante dans le public et catastrophique dans le privé, mais surtout cette situation engage la santé publique et la sécurité sanitaire des patients, dont la prise en charge pâtit de la logique de profit immédiat qui préside aux stratégies des investisseurs en pleine prédation du secteur. Le jugement de la Cour de justice européenne du 16 décembre 2010 ne dit pas autre chose en soulignant que l'indépendance professionnelle des biologistes médicaux est assujettie aux intérêts économiques, et ce au détriment de la santé des Français, les jeunes biologistes ne pouvant plus, dans les faits, créer de nouveaux laboratoires ni s'associer pour préserver leur indépendance, seule garante de l'éthique médicale.

Dans un tel contexte, un nouveau cadre législatif est indispensable. Celui-ci devrait garantir la pérennité de la profession, son indépendance et son recentrage sur le soin et non plus sur la valorisation des capitaux. La possession de leur outil de travail par les laborantins doit leur être assurée, le libre choix quant aux investissements nécessaires au strict respect des impératifs de sécurité sanitaire et de santé publique doit leur revenir et ne pas être laissés à l'appréciation intéressée des investisseurs et des spéculateurs de tout poil qui ne voient dans la santé qu'un terrain propice à la rentabilité financière à court terme.

Le sort que vous réserverez aux amendements que nous avons déposés visant à ramener cette réforme de la biologie médicale sur les véritables enjeux de santé conditionnera le vote des députés communistes, républicains et du parti de gauche. Pour nous, la cause est entendue : les soins et la santé de nos concitoyens ne doivent pas être au service de la finance !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion