Monsieur le président, madame la secrétaire d'État chargée de la santé, mes chers collèges, j'ai l'honneur de vous présenter les conclusions de la CMP qui s'est réunie la semaine dernière pour parvenir à un texte commun entre l'Assemblée et le Sénat.
Le processus législatif a été long puisque la proposition de loi a été déposée le 9 janvier 2009. Mais ce laps de temps a finalement été fructueux puisque le texte a été fortement enrichi. Ainsi, nous sommes passés de quatre à quinze articles, lesquels sont parfaitement justifiés.
Je dois reconnaître qu'au départ le texte proposé par l'Assemblée nationale et celui issu du Sénat étaient fort éloignés l'un de l'autre. Mais ces trois ans ont été très productifs et ont permis une démarche constructive. Mon homologue au Sénat, Jean-Pierre Godefroy, a été aussi soucieux que moi de s'inscrire dans ce cadre.
Je veux également associer à cette démarche transcourants le professeur Touraine avec qui j'ai travaillé avec beaucoup de plaisir. Les clivages habituels entre la gauche et la droite ont complètement volé en éclats, ce qui a permis d'aboutir à un texte souhaité par les chercheurs mais aussi les associations de malades.
J'ai la ferme conviction que cette proposition de loi marquera une étape très importante dans l'évolution du droit de la recherche. Ce droit est issu de la loi fondatrice de Claude Huriet du 20 décembre 1988. Mais cette loi avait été modifiée par de nombreux textes, si bien que nous étions parvenus à un millefeuille, un texte difficile à appliquer, voire complètement déconnecté de la recherche actuelle.
Notre proposition de loi étend le champ d'application de la loi Huriet et en met certains aspects à jour. Toutefois, elle ne cherche pas à déplacer l'équilibre qui avait été obtenu en 1988, à savoir promouvoir la recherche sans laquelle il n'y a pas de progrès pour l'homme tout en protégeant les personnes qui se prêtent à ces recherches. Cet équilibre a été maintenu, ce qui est une excellente chose.
La loi devait évoluer parce que la science a évolué. En vingt-quatre ans, la science a changé et la recherche observationnelle est devenue une réalité qui permet des avancées. Cette observation sur des groupes importants permet de sérier complètement nos indications. En pédiatrie, peut-on faire vivre un enfant qui naîtra alors que la mère était à cinq mois et demi de grossesse sans altérer son quotient intellectuel à vingt ans ? Je pense également aux malades du coeur à qui l'on pose des stents. Les problèmes de rethrombose sont-ils liés à des habitudes alimentaires, à des habitudes de vie ?
La recherche observationnelle est importante. Suivre des cohortes pendant de longues périodes est tout à fait primordial. Le développement de ces recherches est tout à fait récent ; elles étaient jusqu'à présent ignorées de la loi. Il n'y avait aucun contrôle par un comité d'éthique, aucun guide de bonne pratique par l'AFSSAPS. Il y avait donc là un vide juridique qu'il fallait combler. Contrairement à certaines idées reçues, ce vide juridique était mal vécu par les chercheurs qui sont demandeurs d'un cadre légal plus solide. La raison en est simple : les grandes revues scientifiques internationales n'acceptent de publier les résultats d'une étude que si celle-ci a été contrôlée par un comité d'éthique. Le professeur Touraine, le professeur Thuillier et moi-même avons tous rencontré le même problème de chefs de clinique qui n'arrivaient pas à faire des publications internationales à cause de ce vide juridique.
Cela illustre l'une de mes convictions les plus profondes, à savoir qu'il n'y a pas de contradiction entre l'intérêt des chercheurs et la protection des personnes. Notre mission n'est pas de privilégier les uns au détriment des autres. Elle consiste à organiser leurs rapports dans l'intérêt de tous.
Si je disais à l'instant que le droit en vigueur méritait une refonte d'ensemble, c'est aussi parce que les nombreuses retouches dont la loi Huriet a fait l'objet au cours de la dernière décennie en ont fait un véritable millefeuille, les textes étant parfois complètement contradictoires. Personnellement, je suis totalement responsable puisque j'ai voté en 2004 la loi relative à la santé publique et la loi relative à la bioéthique, ces deux textes étant contradictoires. Je m'en suis rendu compte plus tard. À force de légiférer, on a parfois du mal à en voir tous les impacts.
Voilà les raisons qui m'ont conduit à présenter cette proposition de loi, qui remet sur le métier tout notre droit. Je dis « tout notre droit », parce que notre texte offre à l'ensemble des recherches sur la personne un cadre légal commun, avec un socle de procédures et de garanties communes à toutes les personnes, à tous les chercheurs, et à toutes les instances de contrôle.
Le principe est de considérer qu'il y a trois niveaux de recherche : le niveau de recherche avec risques, base de la loi Huriet, la recherche en soins courants ou avec risques minimes, enfin la recherche observationnelle. Dans cette logique, il n'y aura plus de différence procédurale d'une recherche à une autre qu'en fonction du risque et des contraintes que chacune présente. D'où un niveau équivalent qui correspond au niveau de l'acceptabilité de ce type de recherche.
Si j'insiste sur le fait que notre texte ne traite que de la recherche impliquant la personne humaine, c'est parce que j'ai tenu à ce que cette recherche fasse l'objet d'un travail législatif spécifique. Ce n'est pas une loi d'éthique, mais une loi totalement organisationnelle de la recherche médicale. La recherche ne doit pas être traitée au détour d'un texte sur les droits des malades, comme en 2002 avec la loi Kouchner sur la santé publique, ou en 2004 avec la loi relative à la bioéthique. On pourrait citer aussi les directives européennes de 2001, la loi de 2006 de programme sur la recherche et la loi de 2008 sur le médicament.
Venons-en au résultat des travaux de la CMP qui s'est tenue la semaine dernière. Sur les quinze articles que compte le texte, six avaient déjà été adoptés dans les mêmes termes par les deux assemblées.
Six modifications introduites par le Sénat m'ont semblé tout à fait utiles. Il s'agit de dispositions précisant le contenu du répertoire des recherches, renforçant les garanties des personnes hors d'état de consentir à une recherche, précisant les conditions de prise en charge de certains produits par l'assurance maladie, étoffant l'information des comités de protection des personnes sur les recherches entreprises hors de l'Union européenne demandée par les chercheurs, enfin améliorant le contrôle des fichiers informatiques.
Restaient quatre points de divergence tout à fait importants entre le texte du Sénat et celui de l'Assemblée, et qui ont nécessité toutes ces navettes et des discussions certes assez productives, mais parfois difficiles.
Le premier concernait les formalités de recueil du consentement des personnes aux recherches. Nous avons trois niveaux de recherche et j'ai proposé, ainsi que Jean-Louis Touraine, trois niveaux de consentement, alors que le Sénat n'en souhaitait que deux. La CMP a choisi de reprendre la gradation très claire des formalités de recueil du consentement en fonction du degré de risque, qui découle de la convention d'Oviedo : consentement écrit pour les recherches avec risque, consentement « libre et éclairé » pour les recherches avec risques minimes, et délivrance d'une information pour le stade 3. Je salue d'ailleurs la présence du professeur Lemaire, lequel m'a bien aidé dans la compréhension de cette convention.
Le deuxième point touchait au mode de désignation des comités de protection des personnes. Le texte du Sénat retenait le principe du tirage au sort. Or nous avons 40 CPP de niveau, il faut bien l'admettre, inégal. Le texte de l'Assemblée, lui, s'en tenait au système actuel dans lequel le promoteur d'une recherche s'adresse au comité de son choix. Les deux systèmes avaient chacun des avantages et des inconvénients. Ainsi, le Sénat préférait le tirage au sort par souci d'éviter les conflits d'intérêts, voire le « copinage » ; à l'inverse, le point de vue de l'Assemblée reposait sur le constat que les CPP actuels ont des pratiques encore trop hétérogènes pour que n'importe lequel d'entre eux puisse examiner un projet de recherche avec le même degré d'expertise.
Là aussi, les travaux de la CMP ont été fructueux. Elle propose de laisser deux ans à la commission nationale de recherche pour harmoniser les pratiques des CPP. Le tirage au sort est tout à fait envisageable mais il convient pour cela d'avoir des CPP de même niveau. La commission nationale permettra d'harmoniser ces CPP avant la date butoir du 1er juillet 2014.
Le troisième point de divergence concernait le statut de ladite commission nationale. Le texte de l'Assemblée visait à la rattacher au ministère de la santé. Cette proposition a finalement été acceptée par le Sénat qui a abandonné la notion d'un rapprochement avec la Haute autorité de santé dont les missions ne prévoient aucun travail de recherche mais d'accréditation.
Le quatrième et dernier point de divergence touchait à la dose maximale. Supprimer les phases 1 reviendrait à supprimer la recherche française puisqu'on s'interdirait de passer aux phases 2 et 3 qui seront effectuées à Shanghai ou en Europe de l'Est. Jean-Pierre Godefroy s'est rangé à notre idée : nous avons donc supprimé l'amendement de suppression des phases 1. La CMP a jugé préférable de s'en tenir au dispositif réglementaire actuel qui encadre strictement ces essais sans les rendre impossibles.
Voici, monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le résultat des travaux de cette CMP dont je vous demande d'adopter les conclusions. Elles ont fait l'unanimité des quatre groupes – j'y insiste car ce n'est pas toujours le cas : j'ai ainsi pu travailler aussi bien avec Cécile Dumoulin qu'avec Jean-Louis Touraine et Jacqueline Fraysse. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)