Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui n'est pas aussi simple à appréhender qu'elle peut le paraître au premier abord.
Si l'on ne peut qu'approuver le geste généreux et solidaire de salariés qui donnent des jours de congé à un collègue dont l'enfant est gravement malade, doit-on pour autant en faire une loi ?
Comment ne pas être touché par ces situations dramatiques d'enfants gravement malades ayant naturellement besoin de la présence de leurs parents à leurs côtés ? Comment ne pas réagir avec émotion à des situations douloureuses vécues par des familles confrontées à la maladie ?
Pour autant, en tant que législateurs, nous devons aussi nous interroger sur l'intérêt et la nécessité de légiférer. Ce n'est pas manquer de coeur que de s'interroger, c'est avant tout regarder avec la distance nécessaire s'il faut ou non passer par la loi pour améliorer le vécu de nos concitoyens.
Face à une situation humainement bouleversante, on pense aussitôt à un nouveau texte de loi. Cet élan part, je n'en doute pas, d'un bon sentiment. Toutefois, est-ce adapté ? A-t-on besoin de légiférer à la suite d'un geste de solidarité qui a conduit les collègues du père d'un enfant gravement malade à se dessaisir de leurs droits à congé à son profit afin qu'il puisse passer davantage de temps avec son enfant ? Le législateur doit-il tirer d'une telle situation une règle de droit appelée à s'intégrer dans notre code du travail ? C'est, je le crois, la vraie question.
Aujourd'hui, rien dans la loi n'empêche des salariés de faire don de leurs congés de RTT dans ce même dessein, par exemple, dans le cadre d'un accord d'entreprise. La loi le permet déjà et vous en avez donné des exemples, monsieur le rapporteur.
On peut se demander si, en légiférant, on ne risque pas de créer une sorte de générosité forcée. Il ne sera probablement pas simple, pour le salarié d'une entreprise qui souhaite conserver ses droits au repos, de refuser le don de jours de RTT, fût-il non obligatoire et anonyme, dans le cadre de l'application d'un texte de loi. Dans ce cadre législatif, la pression exercée sur les salariés ne sera que plus forte : nous aurons ainsi perdu le caractère volontaire, spontané et généreux de l'initiative. Inscrire le transfert de droits à congé dans une enveloppe normative, celle de la loi, revient à mettre l'accent sur la nécessité plutôt que sur la possibilité.
La force et l'autorité propres à la loi couplées à la stigmatisation du regard des autres collègues de travail placeraient ainsi certains salariés dans une situation de générosité subie en les conduisant, contre leur gré, à sacrifier leur temps de repos. Et ce n'est pas le caractère anonyme des dons qui changera la donne. La direction de l'entreprise et le service des ressources humaines sauront qui a donné des jours, qui n'en a pas donné.
Je crains que toutes les garanties ne soient pas mises en oeuvre pour éviter que le transfert des droits à congé soit vécu par les salariés comme un impératif catégorique. Il serait en effet fâcheux que la contrainte morale prenne le pas sur la logique des droits, spécialement lorsqu'ils sont aussi fondamentaux que le droit au repos ou le droit à la santé.
Je tiens également à souligner le risque d'inégalité entre les salariés. Selon que vous travaillerez dans une grande ou une petite entreprise, selon que l'employeur sera ou non d'accord, vous bénéficierez de plus ou moins de jours pour pouvoir rester auprès de votre enfant malade. De fait, deux familles vivant la même situation douloureuse nécessitant une présence forte auprès d'un enfant malade ne pourront pas bénéficier des mêmes facilités. Ce dispositif peut engendrer une inégalité réelle entre salariés.
En outre, chers collègues de la majorité, permettez-moi de m'étonner que le dispositif tel que vous le présentez vienne s'appuyer sur le don des droits à RTT. Faut-il y voir de votre part une tardive conversion aux 35 heures ?