Certes, la DCRI le ferait pour les ingérences étrangères. Mais pour les problèmes nationaux ? Les services de police et de gendarmerie ?
Une entreprise accepterait-elle de confier son sort à des policiers profanes en matière économique ou sur des sujets sensibles ? Je pense au cas de Renault, par exemple.
Se pose donc à nouveau la question de l'existence d'une filière de renseignement économique à vocation également judiciaire.
Enfin, quel débouché judiciaire ces enquêtes connaîtraient-elles ? N'importe quel tribunal pourrait-il être compétent pour juger des affaires particulières ? Et j'ose à peine évoquer ici l'absence de culture économique au sein de la magistrature, que reconnaissent d'ailleurs les magistrats eux-mêmes.
Je crains donc que cette loi n'ajoute un étage à une fusée branlante, faute d'un réel investissement des autorités publiques en matière de culture économique et de culture de sécurité économique.
Enfin, il convient de dire un mot de la liberté de la presse. Vous proposez un quantum des peines élevé dans le but de dissuader la divulgation d'un secret des affaires. C'est naturel, la peine doit être dissuasive. Il est légitime, cependant, que des voix s'élèvent pour appeler notre attention sur la complexité accrue qui en découlerait pour des journalistes économiques voulant simplement faire leur métier.
Je sais bien que vous répondez que le droit commun continuera de s'appliquer et que la loi prévoit de sanctionner celui qui divulgue l'information, et non celui qui la publie. Mais l'argument peut laisser sceptique, puisque, si l'on peut certes évacuer le principe de complicité, le journaliste pourra néanmoins être poursuivi pour divulgation.
En revanche, je vous donne acte du fait que ce dispositif n'est pas de nature à inciter les entreprises à classifier des documents afin de dissimuler certaines turpitudes car, dans le cadre d'une procédure judiciaire, le juge appréciera le caractère abusif ou non de la classification. Vous l'avez parfaitement dit.
Au final, ma réserve essentielle tient donc au fait que, quel que soit le contenu du texte, il risque de ne servir à rien si l'on n'a pas réfléchi en amont à la manière de le rendre efficace dans sa mise en oeuvre.
Nous avons déjà connu un exemple avec l'introduction dans le livre IV du code pénal, à la suite d'une loi votée en 1992, de la notion juridique d'« intérêts fondamentaux de la nation ». Le texte était intelligent, et même en avance sur son temps. Pourtant, sa mise en oeuvre fut difficile, tout simplement parce que, par la suite, l'encadrement réglementaire, la discussion doctrinale, la formation des magistrats n'avaient pas suivi.
Il nous semble qu'en matière de secret des affaires, on pourrait se trouver, si l'on n'y prend pas garde, mutatis mutandis, dans le même genre de situation. Cela justifiera l'abstention de notre groupe, que mon collègue Jean-Michel Clément a évoqué tout à l'heure.