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Intervention de Jean-Pierre Brard

Réunion du 23 janvier 2012 à 21h30
Sanction de la violation du secret des affaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Brard :

…et que les contes d'Alice au Pays des Merveilles n'étaient plus d'actualité. Et quand nous assistons à un tel échange de politesses, vous savez bien, monsieur Jacob, vous qui êtes un vieux routier plein d'expérience, que c'est immédiatement suspect : la mariée est trop belle pour qu'il n'y ait pas un défaut quelque part.

Nous savons en effet que s'opère en droit européen un rapprochement de plus en plus fréquent entre le secret des affaires, reconnu par la charte des droits fondamentaux, et le droit au respect de la vie privée consacré par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme.

C'est ainsi que la Cour européenne – par ailleurs suppôt du libéralisme et du droit anglo-saxon plus que de la transparence et de la justice sociale – a pu explicitement souligner, dans un arrêt de 2003, que « la vie privée peut s'étendre aux activités professionnelles et commerciales ». On en perçoit bien les dérapages possibles : pour dissimuler le secret des affaires, on mettra en avant le secret de la vie privée. On sait qu'il s'agira par là de protéger les intérêts des privilégiés.

Il nous paraît excessivement dangereux qu'une personne morale puisse se prévaloir du droit au respect de la vie privée en dehors des actes soumis à publicité légale. C'est particulièrement vrai pour les grands groupes dont le poids économique ou l'importance stratégique interdit de considérer qu'ils pourraient seuls décider du périmètre de leur obligation d'information.

Quand on constate de quelle manière ces grands groupes – et vous êtes bien placé pour le savoir, monsieur le ministre –, ces grands capitaines d'industrie qui ne doivent ce qu'ils sont qu'au manque de vigilance des pouvoirs publics, ne respectent pas l'État, on perçoit bien le mésusage qu'ils pourraient faire de votre texte.

Le droit de savoir et la manifestation de la vérité ne sont pas moins des principes fondamentaux que le respect du secret des affaires.

Curieusement, c'est la logique inverse qui doit selon vous primer dans le droit des affaires. Priorité est accordée au droit des entreprises personnes morales sur le droit à l'information. Les quelques garanties auxquelles vous consentez ne sont guère que les exceptions à un principe de portée générale qui affirme le droit à la vie privée des entreprises.

Nous sommes donc légitimement inquiets.

Vos mesures ne risquent-elles pas de modifier le périmètre des informations que les membres du comité d'entreprise ou les représentants syndicaux seront autorisés à diffuser dans l'intérêt des salariés qu'ils représentent et auxquels ils doivent pouvoir rendre compte ? Vous n'apportez sur ce point aucune réponse convaincante, monsieur le rapporteur. Le droit à l'information des salariés ne fait l'objet dans votre texte d'aucune mesure de protection spécifique alors qu'ils sont en première ligne pour révéler les scandales du monde des affaires.

Par ailleurs, la commission a ajouté le secret des affaires à la liste des secrets figurant au dernier alinéa de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cette modification permettra à toute personne poursuivie pour diffamation de produire pour sa défense des pièces couvertes par le secret des affaires afin de prouver sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires, sans courir le risque d'être condamnée pour recel. Nous doutons qu'une telle mesure soit suffisante pour garantir le secret des sources des journalistes et l'information du public. Nous aimerions que vous dissipiez tout malentendu sur ce point. Et peut-être devriez-vous consulter, au préalable, M. Guéant ou M. Squarcini…

Si nous pouvons approuver vos propositions en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles déloyales, nous sommes réservés et même hostiles à la reconnaissance d'un droit de portée générale au secret des affaires des entreprises.

Il y a donc, si j'ose, dire, monsieur Carayon, à boire et à manger dans votre rapport. C'est pourquoi les députés de mon groupe s'abstiendront et, monsieur Hunault, sachez que l'abstention ne vaut pas consensus. Nos collègues du groupe SRC ont également annoncé leur abstention. Je sens bien, certes, qu'en fin de législature vous souhaitez que nous nous embrassions tous mais nous défendons des positions tellement différentes sur tant de sujets ! Au reste, les Français seront appelés à nous départager, au printemps prochain, pour choisir des projets de société conformes à la vision, aux ambitions que nous avons pour notre peuple.

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