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Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 23 janvier 2012 à 21h30
Sanction de la violation du secret des affaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l'initiative est bonne, nous allons voir maintenant si le contenu l'est aussi. (Sourires.) Le texte que nous examinons ce soir est le reflet d'un monde sans scrupules dans lequel tous les moyens sont bons pour espérer accaparer toujours plus de profit.

Nous connaissons depuis toujours l'espionnage industriel et ses épisodes parfois rocambolesques : le cinéma américain en témoigne, et même le cinéma muet. Mais, avec le développement des technologies de l'information et de la communication, la dématérialisation des informations et leur circulation rapide et fiable exigent qu'un nouveau regard soit porté sur l'intelligence économique et son corollaire, le secret des affaires.

C'est l'objet du texte qui nous est proposé.

D'autres pays avant nous s'en sont préoccupés, sans pourtant que nous soyons restés l'arme au pied, puisque vous-même, monsieur le rapporteur, y travaillez depuis longtemps. Plusieurs rapports et propositions de loi se sont succédé, sans suite jusqu'à aujourd'hui.

On peut d'ailleurs dans un premier temps s'interroger sur ce long délai nécessaire pour parvenir à l'examen d'une proposition de loi. Le sujet est-il si important, et le cadre juridique de cette protection ne trouvait-il pas dans le droit commun les sources d'une protection suffisante ?

Certaines incriminations du code pénal, dont les peines sont lourdes, ont déjà pu être utilisées, dès lors qu'il s'agissait de punir une atteinte aux biens. Certes, la notion de secret des affaires n'est pas expressément visée, vous l'avez dit, mais elle est très largement sous-jacente.

Je pense par exemple à la notion d'abus de confiance, dont les conditions sont strictement définies pour l'auteur de l'indélicatesse, c'est-à-dire la personne à qui a été confié le secret ; souvenons-nous de l'affaire Valeo, que vous avez évoquée tout à l'heure. Je pense au recel, notion bien définie, qui implique d'avoir eu connaissance de l'origine frauduleuse du bien : ici, il s'agirait de l'information et ses conséquences économiques. Je pense au vol, réprimé par l'article 311-1 du code pénal et applicable au vol d'informations confidentielles : la chambre criminelle de la Cour de Cassation a tout à fait normalement adapté sa jurisprudence à l'évolution du monde des affaires, en affirmant que le vol du « contenu informationnel » de disques informatiques est constitutif du vol de biens incorporels et doit être qualifié pénalement de vol. Je pense encore à la violation du secret professionnel, à la divulgation d'un secret de fabrique, ou aux atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, infractions toutes réprimées par le code pénal.

Pour autant, il peut arriver que ces sanctions ne soient pas suffisantes parce que la justice est parfois instrumentalisée par des entreprises indélicates, qui utilisent des procédures judiciaires afin d'accéder à des secrets d'affaires de leurs concurrents. D'indélicate, la procédure devient alors agression.

Ce n'est pas le cas de la procédure française, mais c'est celui des procédures dites de discovery employées par la justice américaine ; or notre rempart législatif, c'est-à-dire la loi dite « loi de blocage », s'est révélé inefficace : ne prévoyant pas de sanction précise, elle est décrédibilisée. Dans ces cas-là, le recours à la justice est dévoyé, en tout cas selon l'idée que l'on se fait de la procédure judiciaire en France : une justice qui protège. En effet, le recours devient moyen de « captation judiciaire » de secret d'affaires, puisque le défendeur devra produire des éléments inhérents à ses propres secrets pour rapporter la preuve de ses dires.

Enfin, on nous dit que le contrat n'assure pas une sécurité juridique suffisante. Il faut donc légiférer pour l'assurer.

Il conviendra d'être précis et exhaustif dans cette loi, sauf à laisser des zones d'ombres, qui seront sans nul doute utilisées par ceux-là même qui, hier, savaient utiliser la captation judiciaire pour justifier leurs demandes. Le risque existe alors que notre remède amplifie le mal qu'il est censé soigner.

Nous avons besoin d'une loi efficace. Qu'en est-il du texte qui nous est proposé ?

La définition proposée à l'article 1er est à la fois large et floue. Elle peut surprendre, lorsqu'on pense à la conception libérale traditionnelle de l'entreprise, laquelle vit souvent l'intervention de la loi comme une intrusion dans leur gestion. Si les entreprises se montrent opposées à toute contrainte – et l'exemple du primat de l'économie sur l'environnement est là pour en témoigner – elles en appellent aussi au législateur pour se protéger. Il y a là matière à réflexion.

Les critères proposés sont apparemment clairs, mais en réalité ils ne le sont pas et laissent place à des interprétations qui seront forcément du ressort du juge.

En revanche, les moyens pour sanctionner les salariés sont évidents. Ils ne le sont jamais assez pour les salariés indélicats. Mais dans certaines situations, le lien de subordination pourrait conduire ceux qui ne sont pas indélicats, malgré eux, à des incriminations de complicité.

Je pense ici à des domaines où la connaissance du support de l'information est en décalage avec l'information elle-même. La question du discernement sera inévitablement posée lorsque la mesure du risque d'atteinte au secret des affaires ne pourra être maîtrisée par celui qui sera chargé de surveiller les supports dématérialisés.

De plus, sur le plan technique, c'est bien l'entreprise elle-même qui définira d'abord ce qu'elle considère comme des informations couvertes par le secret des affaires.

Vous comptez sur la jurisprudence pour préciser la notion d'informations protégées. En attendant, quelle sera l'incidence du secret des affaires sur le statut des salariés ? Si cet encadrement constitue l'étape complémentaire nécessaire, il ne saurait laisser les salariés dépendant d'un lien de subordination dans des rapports de droit aux contours incertains pour l'exécution de leurs relations de travail.

La soumission au secret professionnel est aujourd'hui bien définie, y compris dans les clauses inscrites dans un contrat de travail. Imagine-t-on, demain, y inscrire de la même manière une clause relative au secret des affaires, alors que celui-ci reste à parfaire par l'autorité judiciaire, créatrice de droit a posteriori ?

Cette insécurité déséquilibrerait, à n'en pas douter, le contrat de travail qui ferait référence à une telle clause.

Par ailleurs, et le point est essentiel, les entreprises ne sont pas égales dans le monde des affaires. Qu'y a-t-il de commun entre une entreprise française cotée en Bourse et une PME innovante susceptible de connaître un développement rapide ? Pourront-elles sécuriser leurs secrets de la même manière ? Quels moyens seront dédiés à cette sécurité par les plus petites et moyennes entreprises ?

Si elles n'y pourvoient pas, elles s'exposeront au risque du déni de délit pénal. Faute de pouvoir faire valoir leurs droits, leur situation se trouvera dégradée.

En créant une infraction spécifique, n'affaiblit-on pas le domaine des infractions de droit commun ? La question mérite d'être posée. Specialia generalibus derogant dit l'adage.

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