Je vais pour ma part évoquer les « engagements de long terme », en insistant sur l'éducation. Auparavant, je souhaite ajouter deux éléments à ce qui vient d'être dit. D'abord, concernant le Rafale, l'avion français est le meilleur, la campagne en Libye l'a prouvé, et les informations dont nous disposons indiquent que l'offre française est moins chère que celle d'Eurofighter. Il faudra donc nous interroger si le Rafale ne remportait pas le marché. Ensuite, il faut avoir conscience que les firmes indiennes sont très riches, n'ont pas de problème d'actionnariat car elles sont familiales et qu'elles peuvent acheter à peu près tout en Europe. La première industrie manufacturière en Grande-Bretagne est le groupe Tata, propriétaire de Jaguar, Land Rover et surtout Chorus. Lorsque j'avais rencontré le groupe à Londres il y a deux ans, j'avais demandé la raison pour laquelle il n'avait acheté aucune entreprise française. La réponse, très sérieuse, fut que Peugeot PSA n'était pas à vendre ! Arcelor a été achetée pour 9 milliards d'euros, c'est-à-dire un an et demi de profit de la famille majoritaire. Cela donne l'ordre de grandeur.
L'Inde a un besoin immense en matière d'éducation et notamment d'enseignement supérieur. C'est le grand goulot d'étranglement du pays. L'Inde dispose d'une éducation d'excellence inouïe. Ils ont l'équivalent de plusieurs Polytechnique et HEC, avec des instituts de technologies (IIT) et de management (IIM) d'un excellent niveau et de très grandes universités comme la Jawaharlal Nehru University de Delhi (JNU). Mais cela concerne très peu de personnes, recrutées sur des concours féroces offrant quelques dizaines de places pour un million de candidats. Le pays manque aussi d'une offre d'enseignement supérieur classique.
En réponse à ces carences, on assiste, d'une part, à la multiplication d'établissements de niveau médiocre, d'autre part, à l'envoi de dizaines de milliers d'étudiants à l'étranger. Nous avons visité plusieurs établissements d'enseignement supérieur en Inde et nous avons pu constater que nos relations en la matière sont largement insuffisantes. Il existe quelques 200 accords de coopération (memorandum of understanding), signés après des rencontres de représentants d'établissements, qui débouchent sur très peu de choses. Trois partenariats sont plus substantiels : un accord entre Sciences-Po Paris et la JNU, un partenariat entre HEC et l'IIM d'Ahmedabad, tous deux permettant à quelques étudiants d'obtenir un double diplôme, et, surtout, un établissement franco-indien créé par l'Institut catholique d'arts et métiers (ICAM) et le Loyola College à Chennai, dont le rapprochement a été facilité par l'héritage des Jésuites.
L'Inde est en train de construire de nouveaux IIT pour faire face à ses besoins de formation, dont un serait situé au Rajasthan, à Jodhpur. Les Indiens ont proposé à la France de s'associer à ce projet. Notre pays s'est engagé à hauteur de 2 millions d'euros par an, soit un montant inférieur à celui initialement demandé. A ce jour, les sommes ne sont pas débloquées et le projet est en suspens. Il devrait certes finir par aboutir, mais c'est symptomatique de la faiblesse de nos collaborations dans le domaine de l'éducation. Le risque n'est pas nul que le Japon par exemple se propose comme partenaire en apportant les sommes demandées, qui sont au demeurant peu élevées.
Une politique de coopération académique très forte avec l'Inde présente plusieurs avantages. L'obstacle de la langue est un faux problème : à ce niveau de qualification, l'anglais est la langue commune ; les Indiens venant étudier en France suivront des cours en anglais et seront ravis d'apprendre le français, qui demeure la première langue étrangère enseignée en Inde (en dehors de l'anglais qui est une des langues officielles). Certains obstacles relatifs aux visas devront en revanche être levés.
Ceci posé, une bonne coopération académique constitue le meilleur moyen de disposer d'une véritable influence. C'est ainsi que l'on construit une « soft diplomacy ». Signer de grands contrats est une chose, disposer d'ingénieurs et de décideurs qui ont une formation commune en est une autre. Nos deux pays disposent de filières d'excellence. Les Français n'ont par exemple rien à apporter aux Indiens en matière de génome végétal ou d'informatique mais sont en avance sur eux dans d'autres domaines : il peut donc s'établir des collaborations fructueuses. Il convient de se fixer des objectifs, dans l'enseignement d'élite mais aussi dans l'enseignement général, y compris en matière de formation des techniciens et en s'appuyant le cas échéant sur une nouvelle loi indienne en cours d'examen qui permettra aux établissements d'enseignement étrangers d'ouvrir une filiale en Inde.