Ne reprochons pas leur démarche aux auteurs de cette proposition de loi. Elle a l'intérêt de remettre sur la table le problème majeur de l'accès aux soins, lequel, contrairement à ce qu'on prétend au Gouvernement et au plus haut niveau de l'État, n'est en rien réglé, notamment dans sa dimension territoriale. La passion, l'emballement même autour de cette proposition de loi témoigne bien que le problème demeure entier.
Dès la réforme « Douste-Blazy » de 2004, les plus visionnaires d'entre nous avaient commencé de comprendre que les difficultés n'avaient pas trait seulement à l'assurance maladie, mais à l'organisation même de notre système de soins et que celle-ci ne pourrait plus continuer. Bien que le diagnostic ait été posé sur tous les bancs et que le problème ait été identifié depuis longtemps, il n'a pas été traité. Et il n'existe toujours pas aujourd'hui de réponse juridique, politique, financière à la hauteur des défis. Les problèmes, déjà importants, d'accès aux soins vont inévitablement s'aggraver car les réformes, quelles qu'elles soient, ne pourront pas porter leurs fruits en quelques mois. Ce n'est pas une loi qui pourra d'emblée changer une telle réalité sur le terrain ni modifier l'attitude psychologique des professionnels de santé ! Je remercie donc notre collègue Vigier d'avoir soulevé le problème et, d'ailleurs, d'avoir ainsi apporté de l'eau au moulin de ceux qui estiment que notre système de santé n'a pas progressé depuis cinq ans.
J'entends aussi ce que dit notre collègue Lefrand, dont je partage les critiques. La vision globale qu'il appelle de ses voeux et sur laquelle on pourrait largement converger, n'est autre que ce qui devrait être fait et ne l'a pas encore été.
Les solutions que propose notre collègue Vigier sont très largement insuffisantes. Le problème n'est pas seulement celui de la répartition des médecins sur le territoire. Une mutation profonde de l'organisation des soins doit s'engager, non seulement en raison de la démographie médicale mais aussi du fait qu'on ne soigne plus aujourd'hui de la même façon les mêmes personnes des mêmes maladies qu'il y a dix, vingt ou trente ans. S'il est vrai que l'organisation de la médecine libérale d'antan n'est plus adaptée, je ne pense pas qu'il faille pour autant renoncer à certains principes essentiels de la médecine libérale. Il faut plutôt laisser une pluralité de modes d'exercice se mettre en place. Mais rien ne sert de coller des rustines, de forcer un système dépassé à s'adapter à une réalité qui a changé.
Avant d'entreprendre toute réforme, il faut une vision globale. En matière de formation, par exemple, c'est une loi globale, concernant d'ailleurs l'ensemble des professions de santé, qui serait nécessaire. Il faut des médecins formés à la médecine de premier recours – nul ne le conteste. Pour autant, il ne faut pas infléchir toute la formation au risque d'empêcher que des étudiants puissent suivre d'autres filières répondant aux besoins de la recherche par exemple, de l'excellence scientifique – qui ne se résume pas à l'excellence médicale. Le cursus devra être organisé de sorte qu'à un moment, certains puissent devenir des spécialistes hyper-pointus, travaillant aux confins de la recherche, et d'autres pratiquer la médecine de premier recours, sans que l'on porte aucun jugement de valeur sur ces deux types de parcours.
À ne traiter les problèmes que sous le seul angle de l'installation, votre proposition de loi est profondément déséquilibrée et serait profondément déséquilibrante. C'est pourquoi nous ne pouvons vous suivre. Mais la future majorité en juin prochain, quelle qu'elle soit, devra s'attaquer à une réforme en profondeur de l'organisation de notre système de soins – formation, action des agences régionales de santé, modalités d'exercice, coopérations entre professionnels de santé…–, seule à même d'apporter une réponse aux problèmes que vous avez identifiés.