Les accords aujourd'hui soumis à l'Assemblée nationale participent de l'approfondissement des relations entre la France et le Kazakhstan qu'appelait de ses voeux le traité de partenariat stratégique signé le 11 juin 2008 par les deux pays.
Ces accords ont été signés le 6 octobre 2009, il y a donc plus de deux ans. Ce délai n'incombe d'ailleurs pas à la commission des affaires étrangères mais à un ordre du jour surchargé ou à une transmission tardive par le Quai d'Orsay. Les accords, déjà ratifiés par les autorités kazakhstanaises, visent à renforcer et à mieux encadrer la coopération en matière de lutte contre la criminalité et dans le domaine de la protection civile.
Le Kazakhstan est en effet exposé à de nombreux risques, criminels, naturels et technologiques. Si la coopération existante en matière de sécurité civile semble fructueuse, la coopération en matière de lutte contre la criminalité semble à la peine, victime d'un certain autoritarisme bureaucratique.
Pour vous familiariser avec ce pays que nous connaissons mal, je vous recommande un article de la revue Géo dont le titre, certes journalistique, est « Extravagant Kazakhstan » d'août 2011 : « Avec son pétrole, son or, son uranium et son président mégalo, cet immense pays indépendant depuis la chute de l'Union soviétique se voit comme un émirat des steppes entre Chine et Russie.»
Si le régime a fait avec succès le choix de l'ouverture sur le plan économique, il n'en va pas de même sur le plan politique. Le régime autocratique du Président Nazarbaev se caractérise ainsi par des atteintes répétées aux libertés fondamentales. La France semble pourtant faire fi de ces considérations pour privilégier une approche strictement commerciale.
Le Kazakhstan, cinq fois grand comme la France et peuplé de 16 millions d'habitants, est indépendant depuis le 16 décembre 1991. Fort de sa position géostratégique avantageuse et de ses nombreuses ressources naturelles, il suscite l'intérêt croissant des grandes puissances malgré une relation toujours privilégiée avec la Russie.
Le Kazakhstan détient en effet 75 % des réserves d'hydrocarbures de la mer Caspienne (3 % des réserves mondiales de pétrole, 1,7 % de gaz) et pourrait devenir d'ici 2020 le 7ème producteur mondial de pétrole, une fois le gisement géant de Kashagan entré en activité. Le Kazakhstan possède en outre les 2èmes réserves mondiales d'uranium. Il en est aujourd'hui le premier producteur.
Sur le plan politique, le Kazakhstan est dirigé de manière autoritaire par Noursoultan Nazarbaev, aujourd'hui âgé de 71 ans, depuis son indépendance. Il a été élu en avril dernier avec 95 % des voix.
Quant au multipartisme, il est purement décoratif, lors des élections parlementaires qui ont eu lieu dimanche dernier, le parti du Président, Nour Otan, a recueilli 80,74 % des voix. Deux autres partis, très proches du pouvoir, ont dépassé le seuil nécessaire de 7 %.
Les défenseurs des droits de l'Homme et les ONG dénoncent régulièrement les atteintes aux libertés fondamentales qui s'inscrivent actuellement dans un contexte de tensions sociales et de développement d'actes extrémistes.
Les célébrations du vingtième anniversaire de l'indépendance en décembre ont ainsi donné lieu à des troubles sévèrement réprimés dans l'Ouest du pays. Les protestations, d'abord organisées par des ouvriers du secteur pétrolier réclamant des hausses de salaires et s'opposant aux licenciements, ont trouvé un écho populaire en réaction à la violence de la répression qui a fait selon le bilan officiel 14 morts. Le président a décrété l'état d'urgence et a accusé les forces étrangères d'être à l'origine du mouvement de protestation.
C'est ce pays qui est le principal partenaire en Asie centrale de la France avec lequel elle a noué dès 2008 un partenariat stratégique concrétisé sur le plan politique par une commission présidentielle franco-kazakhstanaise, de nombreuses visites de haut niveau ainsi que l'ouverture en 2010 d'un consulat général à Almaty.
En matière économique, les échanges commerciaux sont déséquilibrés. Avec une part de marché de 1,6 %, la France demeure un partenaire secondaire pour le Kazakhstan alors que le pays est pour la France un partenaire stratégique dans certains secteurs : il est notamment l'un des premiers fournisseurs d'uranium pour Areva. Je regrette que dans le cas du Kazakhstan, comme dans d'autres, les visées économiques et commerciales françaises semblent interdire un dialogue critique avec le pouvoir sur les principes démocratiques.
J'en viens maintenant aux deux accords qui nous intéressent aujourd'hui dont je dois préciser la modeste portée.
L'accord relatif à la coopération en matière de lutte contre la criminalité, signé le 6 octobre 2009, vient renforcer la modeste coopération existante. Si la coopération technique fonctionne de manière satisfaisante, la coopération opérationnelle est difficile – l'obtention de renseignements est rendue particulièrement délicate par la nature du régime et la bureaucratie. L'accord signé diffère ainsi clairement des accords de coopération en matière de sécurité intérieure qui donnent un contenu bien plus dense à la coopération. En outre, au vu de l'expérience passée, il n'est pas acquis que cet accord parvienne à développer la coopération. A défaut, il a le mérite de lui apporter un cadre légal plus précis.
L'accord reprend les dispositions classiques des nombreux accords dans ce domaine que la commission des affaires étrangères a pu examiner et qui précisent les modalités de l'échange d'informations entre les deux pays et les domaines dans lesquels celui-ci peut intervenir. En outre, la portée de cet accord est particulièrement restreinte du fait des insuffisances de la législation kazakhstanaise en matière de protection des données personnel-les qui justifient l'interdiction d'échanger de telles données pour le moment.
Concernant la sécurité civile, le Kazakhstan est également exposé à de nombreux risques naturels et technologiques (séismes dans le sud, glissements de terrain et coulées de boue, feux de forêts dans les régions de montagne, inondations, risque chimiques nucléaires et industriels).
S'appuyant sur l'article 13 du traité de partenariat stratégique précité, une solide coopération en matière de sécurité civile existe depuis 2009 entre la France et le Kazakhstan.
Faisant suite à la déclaration d'intention relative au développement de la coopération entre les deux pays dans le domaine de la protection civile du 16 mai 2008, l'accord signé le 6 octobre 2009 offre à cette coopération un cadre global que réclamaient les autorités kazakhstanaises.
L'accord de coopération dans le domaine de la sécurité civile ne présente pas de particularités notables. Il vise à mettre en place un cadre général facilitant l'envoi et l'intervention d'équipes d'assistance de l'un des deux Etats en cas de catastrophe ou d'accident grave sur le territoire de l'autre Etat.
En conclusion, ces accords de facture classique et de portée modeste ne présentent pas de difficulté juridique particulière.
Ils ne semblent pas concerner des domaines dans lesquels notre attachement aux droits de l'homme pourrait se trouver en porte-à-faux, je veux néanmoins vous faire part de ma perplexité et de mon embarras. Une fois de plus, le Gouvernement nous demande d'approuver un accord dont nous ne connaissons pas les tenants et les aboutissants. On en vient à s'interroger sur les véritables motivations de ces accords : des considérations géostratégiques ou économiques, qui ne seraient d'ailleurs pas toutes condamnables, ne les expliquent-elles pas ? La coopération en matière de sécurité est un domaine très délicat qui exige une grande prudence. Cette prudence doit se muer en vigilance quand la coopération concerne un pays loin d'être respectueux des règles démocratiques et des libertés fondamentales. Les exemples de la Tunisie et de la Libye sont venus nous le rappeler récemment. Regrettables dérives
C'est pourquoi je laisserai la Commission apprécier l'opportunité de ratifier de tels accords en raison de la nature plus que contestable du régime kazakhstanais. Je fais la part des choses entre la modestie de ces accords et l'absence de difficultés juridiques d'une part, et les domaines concernés par cette coopération qui peuvent poser problème à certains d'entre nous, d'autre part.