Monsieur le ministre, je ne vous comptais pas parmi les collègues parlementaires, mais bien comme le représentant du Gouvernement. Peut-être anticipez-vous déjà votre retour au Parlement, mais je ne me serais pas permis une telle prétention. (Sourires)
Je voudrais faire deux remarques générales avant de parler du texte lui-même. En général, la majorité dit ne pas vouloir protéger le Président de la République, mais la fonction présidentielle. Permettez-moi de trouver amusant que vous vous souciiez, en fin de mandat, de protéger la fonction présidentielle. J'ai tendance à penser, comme beaucoup de Français, que celui qui a le moins protégé la fonction présidentielle depuis bientôt cinq ans, c'est le Président de la République lui-même ! Je pourrais même élargir ce constat aux cinq années précédentes, lorsqu'il n'avait de cesse d'attaquer le Président de la République pour lequel il était censé travailler, Jacques Chirac.
Au-delà du caractère ironique de mes propos, le fait que la fonction présidentielle ait été à ce point attaquée par le comportement même du Président de la République est un vrai problème. Certains ont parlé du comportement personnel du Président de la République ; pour ma part, je retiens surtout la façon dont certaines décisions ont été prises, s'agissant du pouvoir de nomination ou des rapports avec la justice, dont l'actualité nous donne encore un exemple avec un nouvel épisode de l'affaire Courroye.
Ma seconde remarque générale porte sur la question de l'impunité. Je sais que nos collègues de la majorité sont assez sensibles sur ce point. Cela pourrait d'ailleurs constituer un point d'accord avec moi. Je pense qu'il n'y a rien de pire que l'idée selon laquelle certains citoyens de notre pays bénéficieraient d'une sorte d'impunité. L'idée s'est installée dans notre pays que celles et ceux qui enfreignent la loi pourraient bénéficier d'une façon ou d'une autre d'une forme d'impunité. Le fait qu'un crime ou un délit puisse rester impuni est sans doute l'une des pires injustices, et il n'y a rien de mieux pour faire reculer le sentiment d'injustice que de faire reculer l'impunité.
Or, justement, vous proposez d'installer au sommet de l'État, là où l'on devrait montrer l'exemple, une forme d'impunité. En effet, ce projet de loi organique arrive bien tardivement. Il est attendu depuis une proposition de Jacques Chirac, alors Président de la République, en 2002, et il ne nous est soumis qu'en fin de législature. Or, selon de nombreux spécialistes de droit constitutionnel, cette absence d'application d'un article de la Constitution n'entraîne pas seulement l'irresponsabilité, mais l'impunité totale pour le chef de l'État.
Cette forme de sanctuarisation du Président de la République est inacceptable dans une démocratie comme la nôtre. Il est inacceptable que le chef d'un État de droit ne puisse pas répondre devant la justice d'actes antérieurs à sa prise de fonction, ou détachables de l'exercice de sa fonction. Je le dis d'autant plus que le Président de la République actuel n'a eu de cesse, pour des actes qu'il estimait avoir été commis à son encontre pendant l'exercice de son mandat, de porter plainte et de se porter partie civile dans un certain nombre de procès, l'un d'entre eux l'opposant même à l'un de ses collègues ancien Premier ministre, sous l'autorité duquel il avait exercé une fonction très importante de ministre. Dans d'autres affaires beaucoup plus banales, qui n'avaient rien à voir avec la politique, il a tout de même estimé nécessaire – contrairement à ses prédécesseurs – de porter plainte ou de se constituer partie civile.
Je rappelle que, lorsque, en 1974, Valéry Giscard d'Estaing, élu Président de la République, avait été cité par René Dumont, candidat écologiste à l'élection présidentielle, devant le tribunal correctionnel pour délit d'affichage illégal au cours de la campagne, les juges n'avaient pas décliné leur compétence pour juger des faits antérieurs à la prise de fonction du Président de la République. Je ne vois pas pourquoi cette jurisprudence est remise en cause depuis la décision du Conseil constitutionnel de 1999, notamment par la réforme constitutionnelle de 2008.
Les dernières tribulations de Jacques Chirac montrent qu'il est urgent de légiférer pour en finir avec l'irresponsabilité du chef de l'État en matière judiciaire. Ce qui a choqué les Français, dans l'affaire Chirac, c'est non seulement la légèreté des peines prononcées, qui révèle que le système qui a été mis en place n'a pas véritablement été condamné, mais surtout l'extrême lenteur de la justice, qui a jugé cette affaire tant d'années après la commission de ces délits. Bien sûr, cela a servi d'argument à la défense, et le serpent se mord la queue : on commence par retarder le procès, et l'on prétend ensuite qu'il est trop tard pour juger.
La réforme constitutionnelle a donné au chef de l'État l'immunité vis-à-vis de toute juridiction ou autorité administrative, le temps de son mandat. En contrepartie, cette réforme prévoyait une procédure de destitution en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. Auparavant, le président n'était responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Mais, depuis la réforme constitutionnelle, il ne s'est rien passé, comme si l'on voulait pouvoir exonérer l'actuel chef de l'État de toute poursuite éventuelle. Cette innovation constitutionnelle reste théorique depuis son adoption.
Alors que l'article 67 de la Constitution aménage une irresponsabilité pénale au bénéfice du Président de la République, empêchant toute instruction et toute poursuite pendant la durée de son mandat, l'article 68, qui prévoit la mise en jeu de sa responsabilité politique devant le Parlement, par la voie d'une procédure de destitution, est en effet aujourd'hui inapplicable, faute d'une loi organique.
Cette situation schizophrénique est inscrite profondément dans les gènes de la Ve République, qui a instauré un régime présidentialisé – certains ont même évoqué une « monarchie présidentielle » – qui, en contrepartie de l'élection du Président de la République au suffrage universel, avait tendance à amoindrir ou à effacer les contre-pouvoirs. Il convient néanmoins de noter que le général de Gaulle engageait régulièrement sa responsabilité politique devant les Français entre deux élections présidentielles, par des référendums, des élections législatives, et qu'il en tirait les conséquences. C'est d'ailleurs ce qu'il a fait en 1969, alors que la Constitution ne l'y obligeait nullement. Même par rapport à la pratique initiale, les institutions se sont déséquilibrées encore davantage.
Nous pourrions comparer ce projet de loi organique à la proposition de loi constitutionnelle que nous avons défendue en décembre dernier, dont notre collègue Noël Mamère était le rapporteur au nom des écologistes, et qui visait à réformer la responsabilité civile et le statut pénal du chef de l'État.
Évidemment, il ne faut pas que toute personne puisse poursuivre le chef de l'État à tout moment, sans le moindre filtre. Mais, une fois qu'un filtre est trouvé, les actes antérieurs à la prise de fonction d'un Président de la République doivent pouvoir faire l'objet de poursuites : il ne doit pas y avoir d'impunité.
C'est pourquoi nous voterons contre un projet de loi organique qui, dans son état actuel, présente encore bien des défauts, comme nous avions voté contre la réforme constitutionnelle et comme nous avions dénoncé – nous n'étions pas nombreux à le faire – la décision du Conseil constitutionnel qui, de fait, a créé cette impunité.