Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant d'aborder le contenu de ce projet de loi organique, je souhaiterais prendre quelques minutes pour revenir sur la méthode.
Il y a une semaine, était voté le projet de loi portant application de l'article 11 de la Constitution relatif à l'organisation d'un référendum d'initiative populaire. Dans nos interventions, nous avons dénoncé la lenteur avec laquelle ce gouvernement avait tardé à présenter un texte permettant d'appliquer la réforme constitutionnelle de 2008.
Mais cela n'est rien en comparaison avec le nombre d'années qu'il aura fallu attendre pour enfin voir ce texte-ci aboutir. Annoncée par Jacques Chirac dès la campagne électorale de mars 2002, la réforme du statut pénal du chef de l'État avait été présentée comme une urgente nécessité parce qu'elle concernait « les fondements mêmes de la République ». L'urgence était telle qu'un projet de loi avait fini par être déposé en juillet 2003, pour n'être examiné qu'en 2007, soit quelques jours avant la fin du mandat de Jacques Chirac. Autant dire que cela partait mal !
Ainsi, plus de quatre ans après les promesses de campagne de Jacques Chirac, la révision constitutionnelle du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution créait une nouvelle procédure : la destitution du Président de la République.
Mais, si la Constitution permet désormais aux parlementaires de se constituer en Haute Cour et de destituer le Président de la République « en cas de manquement manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat », encore fallait-il qu'une loi organique soit votée pour rendre ce dispositif applicable.
Or, depuis 2007, et malgré les promesses répétées du Gouvernement, aucun texte n'a été présenté, si ce n'est aujourd'hui. Pourtant, à plusieurs reprises, les sénateurs socialistes ont tenté de faire en sorte que ce sujet fasse l'objet d'une discussion. En octobre 2009, François Patriat, Robert Badinter et les sénateurs socialistes avaient déposé une proposition de loi organique visant à fixer les conditions d'application de l'article 68 de la Constitution. La majorité UMP de l'époque avait balayé cette proposition en votant une motion de renvoi en commission. La garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie, avait déclaré qu'un projet de loi organique serait présenté au cours du premier semestre 2010. L'année 2010 est passée, ce projet de loi n'a pas été présenté.
Un an et demi plus tard, constatant que l'examen du projet de loi organique n'était toujours pas d'actualité, et profitant du basculement du Sénat à gauche, les sénateurs socialistes ont présenté à nouveau leur proposition de loi organique. Elle a été adoptée par les sénateurs de gauche, et elle est très proche du texte qui nous est aujourd'hui proposé par le Gouvernement.
Face à la menace de voir aboutir une proposition de loi socialiste, le Gouvernement a finalement été contraint de déposer et d'inscrire à l'ordre du jour le tant attendu projet de loi organique.
Au passage, on pourra tout de même constater que notre actuel Président de la République a réussi à bénéficier pendant tout son mandat du volet protecteur de la réforme de 2007, c'est-à-dire l'immunité, sans pour autant être exposé à la menace d'une procédure de destitution. Pour celui qui, autrefois, vantait les mérites d'une République exemplaire, quelle triste réalité !
On constatera que, à droite, l'histoire se répète. Tout comme son prédécesseur Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy aura attendu les dernières semaines de son mandat pour faire passer ce texte qui – rappelons-le – n'aurait certainement jamais vu le jour sans la pression des socialistes au Sénat.
Après ce petit historique qui illustre la réticence de cette majorité à mettre en oeuvre la procédure de destitution du Président de la République, je souhaite évoquer rapidement ce projet de loi. Je profite d'ailleurs de cette tribune pour saluer les travaux de la commission des lois, qui ont permis de sérieuses avancées en adoptant un certain nombre d'amendements socialistes, portés notamment par Jean-Jacques Urvoas, permettant ainsi à ce texte de se rapprocher de celui des sénateurs socialistes.
Mes chers collègues, alors que nous sommes à moins de cent jours des prochaines élections présidentielles, le climat actuel est là pour nous rappeler combien cette élection se distingue des autres. L'intérêt porté par nos concitoyens à cette échéance traduit l'importance qu'ils attachent à la fonction présidentielle.
Parce qu'elle peut aboutir à destituer un homme ou une femme élu au suffrage universel par le peuple souverain, cette destitution doit rester exceptionnelle. Et pour que le peuple souverain ait le dernier mot, il est prévu que la destitution entraîne mécaniquement une élection présidentielle anticipée au plus tard dans les trente-cinq jours.
Ainsi, s'il y avait nécessité à prévoir une contrepartie au régime d'irresponsabilité pénale du Président de la République tel que consacré par l'article 67 de la Constitution, il fallait toutefois veiller à ne pas créer une disposition qui aurait pu se transformer en motion de censure politique du Parlement à l'encontre du Président de la République.
De plus, toujours dans l'idée de conserver le caractère exceptionnel de cette démarche, les socialistes avaient présenté et fait adopter en 2007 un amendement portant la majorité nécessaire à l'adoption de la proposition de résolution aux deux tiers, afin d'éviter que des coalitions de circonstance ne permettent de faire un usage politicien de cette nouvelle procédure.
De la même manière, un amendement socialiste a précisé qu'un parlementaire ne pourra être autorisé qu'une seule fois durant son mandat à signer une proposition de résolution.
Je me félicite également de la suppression du filtre de la commission des lois initialement prévu par ce texte.
Néanmoins, concernant le fait de réserver l'initiative de l'engagement de la procédure à un dixième des parlementaires, il serait souhaitable, comme le prévoyait le texte socialiste du Sénat, d'imposer plutôt la signature de soixante députés ou de soixante sénateurs.
À l'heure où la confiance de nos concitoyens dans le monde politique ne cesse de s'étioler, ce texte est une formidable occasion pour leur démontrer que le législateur n'est pas frileux lorsqu'il s'agit d'apporter des améliorations à notre République.
C'est également l'occasion de vous prouver mes chers collègues, monsieur le ministre, que nous, députés socialistes, nous serions capables, pour faire avancer la démocratie, de voter un projet de loi présenté par un gouvernement de droite, alors que, au Sénat, la proposition de loi de nos collègues sénateurs n'a pas eu votre approbation, monsieur le ministre, ni le vote des sénateurs de droite. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)