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Intervention de Patrice Calméjane

Réunion du 17 janvier 2012 à 15h00
Application de l'article 68 de la constitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Calméjane :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui d'un sujet d'importance pour le fonctionnement de la Ve République : la nouvelle procédure de destitution du chef de l'État, prévue à l'article 68 de la Constitution.

Nombre de nos collègues de l'opposition nous ont reproché d'avoir tardé à inscrire ce texte à l'ordre du jour, mais la complexité des mécanismes institutionnels en jeu méritait sans nul doute le temps de la réflexion. Il est en outre paradoxal de nous demander de traiter rapidement une disposition que vous n'avez pas votée…

Issu de la révision constitutionnelle du 23 février 2007, cet article institue une procédure de destitution du Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».

Certes, le chef de l'État bénéficie d'un régime protecteur : parce qu'il est le représentant de la nation et qu'il participe directement à l'exercice de la souveraineté, il doit pouvoir pleinement exercer le mandat dont il est investi en toute indépendance.

Ainsi, pour les actes qui peuvent être détachés du mandat – commis avant le mandat ou ne présentant pas de lien direct avec celui-ci – le président bénéficie de l'inviolabilité, c'est-à-dire qu'il ne peut être l'objet d'aucune action devant une juridiction ou une administration pendant la durée du mandat. En revanche, cette immunité cesse avec ses fonctions et le chef de l'État relève alors du droit commun.

D'autre part, pour les actes qu'il accomplit en qualité de chef de l'État, le Président de la République est irresponsable. Il n'a à en répondre ni pendant ni après son mandat, sous deux réserves : en cas de génocide ou de crime contre l'humanité et, désormais, en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l'exercice de son mandat », comme le prévoit, dans sa nouvelle rédaction, l'article 68 de la Constitution.

En effet, le constituant a souhaité assortir ce régime protecteur d'un dispositif de sauvegarde qui permet la mise en cause de la responsabilité du Président de la République dans l'hypothèse absolument exceptionnelle où il aurait manqué à ses devoirs de manière tellement grave et manifeste qu'il se rendrait, par là même, indigne de poursuivre l'exercice du mandat que lui a pourtant confié le peuple français,

Dans le nouvel article 68, on a préféré, comme critère de saisine de la Haute Cour, cette conception du « manquement manifestement incompatible avec l'exercice du mandat » à la notion de « haute trahison ».

D'ailleurs, il convient de préciser que la principale innovation apportée par la loi constitutionnelle du 23 février 2007 est la suppression de la Haute Cour de justice, remplacée par la Haute Cour. Et c'est désormais au Parlement, et à lui seul, constitué en Haute Cour, que l'article 68 confie le pouvoir de mettre en oeuvre la procédure de destitution.

La procédure retenue est totalement parlementaire et ne présente plus aucun caractère juridictionnel. Contrairement au dispositif antérieur, les parlementaires ne sont pas des juges politiques, mais des représentants prenant une décision politique, afin de préserver les intérêts supérieurs de la nation. Il s'agit de se prononcer sur la dignité du titulaire de la fonction à exercer celle-ci, et seule la représentation nationale peut légitimement interrompre un mandat directement confié par le peuple à la personne du chef de l'État.

L'article 68 est relativement précis en ce qui concerne la saisine et le fonctionnement de la Haute Cour. Il prévoit en particulier que la mise en cause du Président doit faire l'objet d'un accord de la majorité des deux tiers des membres de chaque assemblée. Après quoi la décision du Parlement réuni en Haute Cour intervient dans le mois suivant, à nouveau à la majorité des deux tiers de ses membres, à l'issue d'un vote à bulletins secrets.

S'agissant des autres éléments de procédure, l'article 68 confie au législateur organique le soin de fixer ses conditions d'application. C'est précisément l'objet du projet de loi organique que nous allons examiner, qui permet de préciser les deux phases de la procédure.

Ainsi, les articles 1 à 3 bis définissent la procédure pouvant conduire à l'adoption par les deux assemblées d'une proposition de résolution visant à réunir la Haute Cour. Pour leur part, les articles 4 à 7 définissent la procédure applicable devant la Haute Cour.

Sans revenir sur l'intégralité des dispositions du projet de loi organique, ce qui serait fastidieux, je crois utile de m'attarder sur certains points qui démontrent que le projet, tel qu'issu de la commission des lois, répond pleinement aux exigences d'équilibre et d'indépendance des institutions.

Tout d'abord, il est primordial, pour la stabilité de notre pays, que la procédure de destitution du chef de l'État soit strictement réglementée et limitée à des situations précises.

Ce projet prend en compte les exigences particulières liées au statut du Président de la République. Il est prévu que la proposition de réunion de la Haute Cour prend juridiquement la forme d'une proposition de résolution. Il est également précisé que cette proposition de résolution doit être motivée. L'exposé des griefs reprochés au chef de l'État est indispensable à la discussion de la proposition. Concrètement, il s'agira d'indiquer, avec suffisamment de précision, en quoi certains faits seraient susceptibles de constituer un « manquement aux devoirs du Président de la République manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».

Le texte comporte également des dispositions évitant toute banalisation de la procédure de destitution. Il précise que la proposition de résolution doit être signée par au moins un dixième des membres de l'assemblée devant laquelle elle est déposée, soit cinquante-huit députés ou trente-cinq sénateurs : avant 2007, la saisine de la Haute Cour de justice obéissait à la même condition.

À l'initiative de notre collègue Jean-Jacques Urvoas, notre commission des lois a souhaité introduire un garde-fou supplémentaire : au cours d'un même mandat présidentiel, un député ou un sénateur ne peut être signataire de plus d'une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour.

Ces différentes garanties étant apportées, il était essentiel que la procédure suive efficacement son cours, qu'elle ne soit pas uniquement lancée à des fins partisanes, mais qu'elle ne puisse pas non plus être bloquée par la volonté d'une majorité.

C'est une des raisons pour lesquelles le rapporteur, Philippe Houillon, a proposé de supprimer le mécanisme de filtrage prévu initialement à cet article, qui consistait en une appréciation par la commission des lois de l'Assemblée ou du Sénat du « caractère sérieux » de la proposition de résolution tendant à réunir la Haute Cour. Notre commission des lois a substitué au dispositif initial un simple contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution que j'ai évoqué précédemment. Elle l'a confié au bureau de l'assemblée devant laquelle la proposition de résolution a été déposée, cet organe ayant pour avantages d'offrir une composition pluraliste et de refléter la configuration politique de chaque assemblée.

Une fois déclarée recevable par le Bureau, la proposition de résolution sera ensuite envoyée pour examen à la commission des lois, comme le prévoit le premier alinéa de l'article 2. Cet examen au fond portera alors sur l'opportunité de la réunion de la Haute Cour et, en raison de l'absence de droit d'amendement, ne pourra se conclure que par le rejet ou l'adoption, sans modification, de la proposition de résolution.

La commission des lois ne disposerait donc d'aucun droit de veto. En cas de rejet de la proposition de résolution, sa discussion se poursuivra ensuite en séance publique, le vote négatif de la commission invitant simplement l'assemblée plénière à rejeter à son tour la proposition.

La version initiale de ce projet de loi organique avait par ailleurs pour défaut de ne pas prévoir de délai d'inscription à l'ordre du jour de la proposition de résolution tendant à réunir la Haute Cour. Notre commission a donc prévu que la proposition de résolution est inscrite à l'ordre du jour au plus tard le treizième jour suivant les conclusions de la commission des lois, et que le vote intervient au plus tard le quinzième jour.

Enfin, je tiens à saluer l'effort de transparence qui prévaudra durant les différents stades de la procédure. Les auditions menées par la commission parlementaire ad hoc, chargée de réunir les informations nécessaires à l'accomplissement de la mission de la Haute Cour, seront rendues publiques, de même que le rapport qu'elle distribuera aux membres de la Haute Cour avant qu'ils ne mènent leurs propres travaux.

Ce projet de loi organique pose également le principe de la publicité des débats de la Haute Cour, alors qu'au contraire l'ancienne Haute Cour de justice pouvait exceptionnellement ordonner le huis clos.

Nous devons être satisfaits de l'équilibre trouvé. La nouvelle procédure de destitution se trouve clarifiée. La mise en cause du chef de l'État ne saura être invoquée par la représentation nationale que dans des circonstances exceptionnelles. Dans le même temps, des garanties d'efficacité, de pluralisme et de transparence sont apportées.

Le groupe UMP votera donc ce texte équilibré et juste. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

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