Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le début des années 2000, les différentes réformes constitutionnelles n'ont été pensées que pour renforcer la présidentialisation du régime, les pouvoirs personnels du Président, qu'il s'agisse de l'élargissement du champ référendaire et de l'instauration du quinquennat en 2000 que de l'inversion du calendrier électoral en 2001 qui instaure la concomitance des élections présidentielle et législative et soumet la seconde à la première.
En ce qui concerne l'application de l'article 68 de la Constitution, modifié par la loi constitutionnelle du 23 février 2007, il aura fallu attendre cinq ans pour que soient mises en oeuvre les conditions de son application, qui donnent les modalités exactes de la destitution du Président de la République. Vous avouerez que c'est vraiment long mais que, au regard de la crise systémique vécue par de nombreux pays, cette question est bien mineure.
S'il est important de connaître les conditions selon lesquelles un président peut être destitué, force est de constater qu'en l'état de nos institutions il y a peu de chances que la destitution du chef de l'État soit un jour prononcée, sauf dans des circonstances exceptionnelles où « les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate » pour reprendre les termes de l'article 16 de la Constitution portant sur les pouvoirs exceptionnels du chef de l'État, avec lequel la procédure dont nous débattons maintenant entre en contradiction.
Dès lors, il faut bien préciser que les termes de ce projet de loi n'ont d'autre intérêt que celui de démontrer que nous nous trouvons devant une crise de la démocratie. Il serait temps d'avoir un vrai et sérieux débat parlementaire pour mettre à plat ce qui ne fonctionne plus dans nos institutions et dans notre vie politique et élaborer un diagnostic qui permettrait d'identifier les fausses solutions qui ne font qu'aggraver la situation.
Force est de constater que la démocratie politique française connaît une crise profonde, comme en atteste une abstention de plus en plus massive aux élections, notamment dans les milieux populaires. Les formes classiques de la représentation politique survivent mais leur légitimité s'amenuise et leur efficacité décline. On peut même affirmer que le modèle de gouvernance de la Ve République est à bout de souffle.
Une question se pose alors : comment sortir de cette situation mortifère pour la démocratie? On parle, à juste titre, de la parité entre hommes et femmes dans l'exercice du mandat d'élu, mais les élites qui nous gouvernent au plan national ne se sont guère préoccupées d'avoir la même démarche pour permettre la juste représentation des couches ouvrières et populaires dans les institutions et les collectivités. Pourtant, le renouveau de la démocratie en France en dépend pour l'essentiel.
Il est donc indispensable de créer les conditions qui permettront à chacun, quelle que soit sa situation sociale, de se sentir partie prenante des débats, avec la possibilité de participer concrètement et réellement au choix et aux orientations qui intéressent le quotidien, du local au mondial.
Cela suppose le renforcement du pouvoir d'agir des habitants sur leur territoire. La co-construction des activités socio-économiques entre élus, mais aussi avec les habitants, les services administratifs et techniques, doit être au coeur d'une nouvelle gouvernance des territoires, pour permettre la mise en mouvement des citoyens et ainsi sortir de l'opposition archaïque entre élite et population. Mettre en synergie, dans une dynamique commune, démocratie élective et démocratie participative, tel est bien l'un des grands défis de notre époque.
Il serait temps de sortir des formules incantatoires sur la démocratie participative et la citoyenneté pour commencer à les traduire concrètement en actes. Il serait temps de sortir de la République et de la démocratie des élites et des experts pour construire une République et une démocratie du peuple, pour et par le peuple.
Pour l'heure, dans ce contexte de crise, la dictature des marchés impose sa loi.
Le peuple grec a été sommé d'obtempérer, et ce sera bientôt le tour du peuple français. Dans l'Europe du traité de Lisbonne, les marchés et les banques ne tolèrent pas la démocratie. Pour eux, elle devient un luxe inadmissible, et les citoyens ne peuvent qu'approuver les orientations et les décisions prises par leurs dirigeants. Leurs votes ne valent que s'ils sont conformes à l'idéologie dominante.
Les États, dont la France, ont oublié qu'ils étaient signataires du Pacte international sur les droits économiques et sociaux de 1966, dont l'article 11 reconnaît le droit pour toute personne et sa famille de bénéficier d'un niveau de vie suffisant – alimentation, logement, santé et éducation –, ce qui condamne de facto le désengagement social. Je rappelle que la Déclaration de 1789 n'est pas seulement celle des droits de l'homme, c'est aussi celle des droits du citoyen, et qu'elle prévoyait bien le contrôle populaire des finances publiques.
Ajoutons que, sous l'emprise du capitalisme financier, aucun pays de l'Union européenne ne peut prétendre être un instrument de paix et de coopération. Parlons plutôt d'une machine de guerre économique prête à dévorer les peuples et leur environnement pour retrouver une croissance destinée à nourrir les groupes industriels et financiers.
Cette même Union européenne, en s'inscrivant délibérément dans le cadre d'une compétition mondiale animée par la seule recherche du profit, contribue activement, et depuis longtemps, à l'augmentation des inégalités et à l'aggravation de tous les déséquilibres Nord-Sud.
Désormais, sous les traits arrogants du Président de la République et de la Chancelière allemande, l'Union européenne mène une politique qui attise ouvertement les rivalités et les antagonismes intracommunautaires, ce qui menace de dresser les peuples européens les uns contre les autres. Il est grand temps de sortir la France des griffes de tous ces grands prédateurs pour la rendre responsable et solidaire.
Cela suppose de réfléchir à une nouvelle Constitution, ce qui ne peut se faire qu'en mettant en place une Constituante, qui devrait revoir de fond en comble la Constitution de 1958. C'est cela que nous devrions discuter.