Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans aucun régime démocratique le chef de l'État n'est un justiciable comme les autres.
Partout, il se révèle indispensable de concilier, d'un côté, la continuité de l'État et la séparation des pouvoirs et, d'un autre côté, la nécessité de pouvoir mettre en cause un chef de l'État qui commettrait des actes particulièrement graves.
C'est cette conciliation que s'est efforcé de réaliser le constituant en 2007. C'est cette réforme que vient parachever le projet de loi organique que notre assemblée examine aujourd'hui.
Avant la réforme de 2007, le statut pénal du chef de l'État avait fait l'objet d'interprétations jurisprudentielles partiellement divergentes de la part du Conseil constitutionnel d'une part et de la Cour de cassation d'autre part.
S'inspirant des travaux de la commission de réflexion présidée par le professeur Pierre Avril en 2002, la loi constitutionnelle du 23 février 2007 a clarifié le statut juridique du Président de la République, défini aux articles 67 et 68 de la Constitution.
D'abord, le constituant a réaffirmé le traditionnel principe d'irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions.
Ensuite, la réforme de 2007 a précisé la portée du principe d'inviolabilité dont bénéficie le chef de l'État pour les actes sans lien avec la fonction présidentielle : aucune action juridictionnelle contre le Président de la République ne peut avoir lieu durant son mandat. Cette inviolabilité n'est toutefois que temporaire, puisque la nouvelle rédaction de l'article 67 de la Constitution prévoit que « les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions. »
Enfin, la loi constitutionnelle de 2007 a rénové les conditions dans lesquelles, par dérogation aux deux principes qui précèdent, le Président de la République peut exceptionnellement être mis en cause. Le constituant a abandonné la notion un peu vieillie de haute trahison et a mis fin aux ambiguïtés de la procédure, mi-politique mi-pénale, de jugement par la Haute Cour de justice.
Le nouvel article 68 de la Constitution permet désormais au Parlement constitué en Haute Cour de destituer le chef de l'État « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. » La procédure retenue est totalement parlementaire et ne présente plus aucun caractère juridictionnel.
Le nouvel article 68 est relativement précis sur la saisine et le fonctionnement de la Haute Cour.
Il prévoit en particulier que la mise en cause du Président doit faire l'objet d'un accord de chaque assemblée à la majorité des deux tiers de ses membres. Après quoi, la décision du Parlement, réuni en Haute Cour, intervient dans le mois suivant, à nouveau à la majorité des deux tiers de ses membres, à l'issue d'un vote à bulletin secret.
Je rappelle d'ailleurs que, dans un souci de protection de la fonction présidentielle, c'est à l'initiative de M. André Vallini qu'a été retenue en 2007 cette exigence de majorité des deux tiers, alors que le projet initial ne prévoyait qu'une majorité simple.
S'agissant des autres aspects de la procédure, l'article 68 confie au législateur organique le soin de fixer ses conditions d'application. C'est ainsi que le projet de loi organique que nous examinons aujourd'hui traite de deux phases de la procédure : les quatre premiers articles définissent la procédure pouvant conduire à l'adoption par les deux assemblées d'une proposition de résolution visant à réunir la Haute Cour ; les autres articles définissent la procédure devant la Haute Cour, notamment en instituant une commission parlementaire chargée de réunir toutes les informations nécessaires à ses travaux.
Tout en l'approuvant, la commission des lois a modifié assez substantiellement ce projet de loi organique.
La modification essentielle porte sur la mission de filtrage de la proposition de résolution tendant à réunir la Haute Cour, que l'article 2 du projet initial entendait confier à la commission des lois de la première assemblée saisie. Selon le texte du Gouvernement, la commission des lois devait s'assurer que la proposition n'était pas « dénuée de tout caractère sérieux. » À défaut, la proposition n'aurait pu être mise en discussion.
Un tel filtrage ne faisait pas partie des recommandations du rapport de la commission Avril de 2002. Il était à la fois contestable sur le fond et discutable du point de vue de sa constitutionnalité.
C'est pourquoi, à mon initiative, ce filtrage par la commission des lois a été supprimé et remplacé par un simple contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution, confié au bureau de l'assemblée concernée. Celui-ci devra ainsi vérifier que la proposition de résolution satisfait à trois conditions.
Première condition : elle doit avoir été signée par un dixième des membres de l'assemblée concernée. Je précise que, à l'initiative de notre collègue Jean-Jacques Urvoas, une limitation a été introduite afin d'éviter les mises en cause répétitives du chef de l'État : chaque parlementaire ne pourra signer qu'une seule proposition de résolution durant un même mandat présidentiel.
Deuxième condition : la proposition de résolution visant à réunir la Haute Cour doit être motivée. La commission des lois a ajouté que la proposition devrait « justifier des motifs susceptibles de caractériser un manquement » au sens du premier alinéa de l'article 68 de la Constitution. Le bureau de l'assemblée pourra donc déclarer irrecevables les propositions de résolution fantaisistes ou manifestement abusives.
Troisième et dernière condition : la proposition de résolution doit avoir été transmise au Président de la République et au Premier ministre.
En dehors de cette question centrale de la recevabilité de la proposition de résolution, la commission des lois a apporté plusieurs autres modifications d'importance.
D'abord, comme le suggérait la commission présidée par le professeur Avril, des délais ont été ajoutés devant la première assemblée saisie : l'examen de la proposition de résolution interviendrait dans les treize jours suivant la transmission du texte par la commission des lois, le vote ayant lieu au plus tard deux jours après. Sans empiéter sur les règles habituelles de fixation de l'ordre de jour, l'objectif est d'éviter qu'une procédure ne traîne en longueur, ce qui ne serait bon pour aucun des acteurs concernés.
Ensuite, devant la deuxième assemblée saisie, la commission des lois a prévu que, si la clôture de la session du Parlement venait faire obstacle au respect du délai constitutionnel de vote dans les quinze jours, l'inscription à l'ordre de jour de la proposition de résolution interviendrait alors au plus tard le premier jour de la session ordinaire suivante.
S'agissant de la suite de la procédure, la commission des lois a estimé utile de fixer dans la loi organique le nombre de membres du bureau de la Haute Cour et de la commission chargée de préparer ses travaux – respectivement vingt-deux et douze –, en précisant à chaque fois que la composition de ces organes devra refléter celle de chaque assemblée : le pluralisme politique sera ainsi garanti à tous les stades de la procédure.
Enfin, il a paru nécessaire de préciser que, en plus de l'ensemble des parlementaires, pourront seuls participer aux débats de la Haute Cour, le Président de la République, qui pourra se faire assister ou représenter, et le Premier ministre.
Compte tenu de ces différentes modifications, le projet de loi organique que nous examinons aujourd'hui me paraît parfaitement répondre à une double exigence : permettre de rendre enfin effective la procédure de destitution prévue à l'article 68 de la Constitution, tout en protégeant la fonction présidentielle.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à suivre la commission des lois et, comme elle, à adopter ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)